Le désordre et la nuit : la critique du film (1958)

Policier, Drame | 1h33min
Note de la rédaction :
6/10
6
Le désordre et la nuit, l'affiche

Note des spectateurs :

Un peu mollasson, ce polar nocturne a le grand mérite d’aborder des thèmes osés pour l’époque sans prendre une posture moralisatrice. L’ensemble est servi par d’excellents acteurs et de bons dialogues d’Audiard.

Synopsis : Au cours d’une enquête un inspecteur de police s’éprend d’une jeune droguée.

Critique : Devenu un collaborateur régulier de Jean Gabin, le cinéaste Gilles Grangier a offert à la star quelques-uns de ses plus beaux succès, le remettant notamment en selle en 1955 avec Gas-oil (plus de 3 millions d’entrées) et Le rouge est mis en 1957 (plus de 2 millions de spectateurs). Cette équipe gagnante se reforme donc une fois de plus pour adapter cette fois-ci un roman noir de Jacques Robert intitulé Le désordre et la nuit, publié en 1955. L’auteur a d’ailleurs été très souvent adapté au cinéma, d’autant qu’il fut lui-même scénariste, dialoguiste et adaptateur au cours des années 50 et 60. Ici, son histoire quelque peu prévisible est agrémentée de dialogues piquants de Michel Audiard, toujours prêt à servir des phrases cultes sur un plateau (Les bonnes bourgeoises font souvent les meilleures grues).

Drogue et prostitution, deux thèmes sensibles dans les années 50

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé © 1958 – PATHE FILMS

Mais ce qui fait le véritable intérêt de ce long-métrage vient surtout de sa description sans fard d’un Paris interlope que l’on pensait réservée aux films d’exploitation et non pas à une production d’envergure. Ainsi, le film ose s’aventurer sur des terrains dangereux comme celui de la prostitution et de la drogue. Si certaines séquences démontrent clairement l’attachement des auteurs à une certaine morale publique (la prostitution et la consommation de drogue sont clairement stigmatisées comme étant une dérive de la société moderne), le métrage emprunte toutefois des chemins de traverse plus sinueux et évite notamment de tomber dans une dénonciation moralisatrice, comme pouvait alors le faire un cinéaste comme Léo Joannon. Même le personnage incarné avec autorité par Jean Gabin sort quelque peu des sentiers battus puisque le commissaire finit par tomber sous le charme de la jeune droguée qui peut le conduire à l’assassin. Dès lors, il ne se fait plus juge du comportement de la gamine et tente par tous les moyens de la sauver, au lieu de la condamner à la prison. Certes, ce comportement paternaliste correspond bien à la conception de la morale de Gabin, mais cela passe toutefois par une remise en cause de la loi établie.

Grangier filme mollement un script intéressant et audacieux

Ce léger pas de côté fait tout le charme de cette œuvre par ailleurs réalisée avec une certaine mollesse par un Gilles Grangier peu inspiré sur le plan formel. Il tente bien ici et là de reproduire des effets de lumière typiques du film noir américain (un lustre malmené projette des ombres fugitives sur les personnages) sans que cela soit pleinement satisfaisant, le noir et blanc étant globalement assez plat. En ce qui concerne le rythme, tout ceci est un peu ronflant et l’on ne peut pas dire qu’un vent de passion nous emporte en permanence. La faute sans doute à une intrigue vraiment transparente (on devine tout au moins vingt minutes avant les personnages) et à un casting trop évident. Ainsi, l’absence de Danielle Darrieux pendant près d’une heure nous laisse supposer un peu vite de l’importance de son personnage qui est pourtant présenté de prime abord comme totalement secondaire. Il est d’ailleurs important de souligner une fois de plus la belle alchimie entre l’actrice et Jean Gabin. Leurs scènes communes font clairement partie des excellents moments du film (les deux comédiens ont déjà joué ensemble dans La vérité sur Bébé Donge de Decoin et Le Plaisir d’Ophüls en 1952).

Côté charme, l’Autrichienne Nadja Tiller assure plutôt bien alors qu’elle a appris son rôle en phonétique, avant de devenir une actrice très demandée aussi bien en France qu’en Allemagne. Enfin, du côté des seconds couteaux, on notera la présence de Roger Hanin dans un tout petit rôle (celui de la victime), ainsi que celle de Jean-Pierre Cassel dans un emploi de danseur figurant. Enfin, il est important de signaler la présence au générique de la chanteuse afro-américaine Hazel Scott qui venait de fuir les Etats-Unis à cause de la ségrégation raciale. Celle-ci est d’ailleurs ici désignée comme étant « la négresse », ce qui choque nos oreilles contemporaines, mais ne semble pas avoir déclenché de vague d’indignation à l’époque. Autres temps, autres mœurs.

Un succès de plus pour Jean Gabin

Produit correctement emballé, Le désordre et la nuit n’est assurément pas un chef d’œuvre, mais il s’inscrit parfaitement dans le polar à la française, essentiellement basé sur la psychologie des personnages et non sur le déroulé d’une intrigue banale. Cela a suffi au public de l’époque qui en a fait un beau succès avec plus de 2 millions de spectateurs sur toute la France, confirmant ainsi le statut de star de Jean Gabin. Celui-ci a d’ailleurs enchaîné avec En cas de malheur (1958) d’Autant-Lara dont le parfum de scandale poussa plus de 3 millions de curieux dans les salles. 1958 fut donc une excellente année pour le vieux briscard.

Critique de Virgile Dumez

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