Premier film très théorique de Jean Chapot, La voleuse ressemble à du Antonioni sans en posséder le génie. Le résultat est froid et désincarné malgré la performance de Romy Schneider.
Synopsis : Julia, mariée depuis deux ans, avoue à son mari, Werner, qu’elle a eu un enfant six ans plus tôt et qu’elle l’a abandonné. Puis elle veut le récupérer et l’enlève à ses parents adoptifs, les Kostrowitz. M. Kostrowitz, effondré, monte sur la cheminée de l’usine où il travaille et annonce qu’il sautera si l’enfant ne lui est pas rendu…
Un sujet de mélodrame traité de manière intellectuelle
Critique : Alors qu’il a surtout travaillé au théâtre, notamment avec Simone Signoret, Jean Chapot a également côtoyé au cours des années 50 des personnalités aussi importantes que Bertold Brecht ou encore Raymond Rouleau. Au début des années 60, il commence à être assistant réalisateur et tourne un premier court-métrage en 1965. Il passe enfin au long-métrage en 1966 avec La voleuse qu’il propose à des pointures comme Romy Schneider et Michel Piccoli.
Faisant partie de l’avant-garde sur le plan théâtral, Jean Chapot traite dans ce tout premier long-métrage d’un sujet mélodramatique qui aurait pu donner lieu à des effusions sentimentales larmoyantes. Toutefois, l’artiste n’entend pas se laisser aller à la facilité et préfère opter pour une distanciation qui sera encore facilitée par l’ajout de dialogues confiés à Marguerite Duras. Si le synopsis peut donc faire espérer au spectateur un drame puissant et intense sur le lien maternel, La voleuse prendra soin de faire voler en éclats toute tentation de sentimentalisme.
Un ersatz d’Antonioni, mais sans la saveur
En réalité, Jean Chapot semble avoir beaucoup aimé l’œuvre novatrice de Michelangelo Antonioni et propose ici une variation autour de l’incommunicabilité entre les êtres. Non seulement le couple dysfonctionnel formé par Schneider et Piccoli est incapable de s’entendre et de se comprendre, mais cette impossibilité de communiquer est également au cœur de l’affrontement entre le couple et le père adoptif incarné par Hans Christian Blech. Le film se déroulant en Allemagne, l’incompréhension entre les différents protagonistes en est encore renforcée.
Le seul problème vient du fait que Jean Chapot n’est malheureusement pas aussi doué qu’Antonioni. Là où l’auteur de La nuit (1961) et L’éclipse (1962) parvient à filmer le vide des existences et des grandes aires urbaines avec une puissance d’évocation remarquable, Jean Chapot ne livre qu’un travail formel désincarné. Ses plans de zones urbaines en construction sont certes jolis (sont-ils d’ailleurs de son fait ou de celui de son assistant Peter Fleischmann ?), mais ils ne dégagent pas de réelle profondeur. Pire, ce sont les plans d’intérieur, nettement plus nombreux, qui ne parviennent jamais à insuffler de la vie aux protagonistes.
La distanciation comme seul horizon ?
On a d’ailleurs parfois l’impression de visionner une parodie involontaire du film d’auteur poseur. Les personnages regardent dans le vide par la fenêtre et récitent des dialogues prétentieux, le tout filmé avec des décadrages volontaires. Certes, le spectateur comprend rapidement que le but du réalisateur est d’évacuer toute forme d’émotion et même d’identification avec des personnages tous détestables, mais fallait-il pour autant subir une heure et vingt minutes de dialogues théoriques désincarnés qui ne mènent nulle part ?
Au passage, l’écriture n’épargne pas les quelques personnages secondaires qui peinent à exister. Le gamin qui est l’objet de toutes les convoitises ne prononce pas un mot de tout le film et semble un pantin désarticulé que l’on trimballe d’une pièce à l’autre. Quant à la mère adoptive, elle n’apparaît que cinq minutes et son personnage est tout simplement oublié par la suite.
Romy Schneider, seul éclat d’un ensemble désincarné
Même les protagonistes principaux ont d’ailleurs du mal à acquérir une profondeur existentielle. Preuve en est la prestation correcte, mais pas exceptionnelle, d’un Michel Piccoli largement sous-employé ici. Finalement, seule la magnifique Romy Schneider sort grandie par le long-métrage. Elle qui essayait toujours de se défaire de l’image romantique de la saga Sissi venait tout juste de revenir des Etats-Unis où sa tentative de carrière hollywoodienne ne l’a pas convaincue.
Avec La voleuse (1966), elle continue donc à déconstruire son image publique et entame une mue artistique qui la mènera à accepter des rôles plus extrêmes comme ceux de La piscine (Deray, 1968), Max et les ferrailleurs (Sautet, 1971) et surtout L’important, c’est d’aimer (Zulawski, 1975). Même si la comédienne est desservie par les dialogues peu naturels de Marguerite Duras, elle est assurément la seule bonne raison de redécouvrir aujourd’hui La voleuse.
Un terrible échec commercial à sa sortie
Film prétentieux qui voulait embrasser la modernité artistique de son temps et s’avère du coup terriblement daté de nos jours, La voleuse a été un échec commercial cinglant lors de sa sortie très confidentielle en novembre 1966. Avec 160 436 entrées sur tout le territoire français, le désaveu fut total, à tel point que Jean Chapot a attendu sept longues années avant de tourner son second long-métrage. Restauré en 2019, La voleuse est désormais visible dans une superbe copie qui valorise son noir et blanc, mais ne donne pas de poids supplémentaire à un ensemble toujours aussi froid et sans vie.
Critique de Virgile Dumez