Confirmant le talent du réalisateur Frantisek Vlácil, La vallée des abeilles s’impose comme une œuvre majeure sur les plans visuel et thématique. A découvrir pour tout cinéphile qui se respecte.
Synopsis : Au XIIIème siècle, Ondrej, fils de petits nobles, s’enfuit de la commanderie de l’ordre des croisés et rentre au château familial pour se marier. Armin, dévoué à l’ordre, le poursuit pour le faire rentrer dans le droit chemin.
L’après Marketa Lazarová pour František Vláčil
Critique : Alors qu’il a passé plusieurs années à développer sa fresque historique monumentale Marketa Lazarová (1967), le réalisateur tchèque Frantisek Vlácil souhaite passer au plus vite à une œuvre différente dans son ampleur. En réalité, lorsqu’il démarre l’écriture et la production de La vallée des abeilles (1968), son film précédent est toujours en phase de montage et n’est donc toujours pas sorti sur les écrans. Pour la compagnie de production des studios Barrandov, il s’agissait surtout d’utiliser les costumes, décors et autres objets du film précédent pour tourner au plus vite un deuxième film. Voilà pourquoi Frantisek Vlácil se lance à nouveau dans un film historique encore situé au Moyen-Age, complétant ainsi ce qui s’avèrera être une trilogie initiée avec Ďáblova past (1962).
Pour écrire La vallée des abeilles, le cinéaste s’appuie sur la plume de Vladimír Körner qui signe une intrigue simple et linéaire fondée essentiellement sur un trio de personnages. Cette ligne claire tranche fortement avec le précédent film du cinéaste qui était au contraire une œuvre chorale avec des interactions complexes entre les différents protagonistes. Cette apparente simplicité explique sans aucun doute la rapidité toute relative du tournage de La vallée des abeilles (3 mois contre 18 pour le film précédent). D’ailleurs, la sortie de ce long-métrage a été finalement repoussée pour ne pas être trop éclipsée par celle de Marketa Lazarová.
Une plongée passionnante dans l’Europe centrale médiévale
Même si ce nouveau long-métrage paraît inférieur à la maestria visuelle absolue du chef d’œuvre de 1967, il n’a rien à lui envier sur le plan thématique. Effectivement, La vallée des abeilles propose une plongée enthousiasmante dans cette époque médiévale en Europe centrale marquée par une lutte religieuse entre le christianisme nouvellement établi et des restes de paganisme. Bien qu’il ne signe pas un pur film historique, Frantisek Vlácil offre une description extrêmement plausible du quotidien des nobliaux tchèques de cette époque. On aime notamment sa description très juste des châteaux médiévaux, mais aussi des combats, ainsi que de l’emprise exercée par la religion sur l’ensemble de la société.
Particulièrement sévère envers les ordres de croisés qu’il décrit comme des fanatiques incapables de transiger, le cinéaste s’inscrit bien entendu dans la ligne du Parti communiste qui encourageait vivement cette critique de « l’opium du peuple ». Toutefois, on ne peut que souscrire à la description faite de cette société corsetée par une religion qui n’a d’autre but que de soumettre les êtres et les pousser à rejeter leurs propres désirs. Bien entendu, La vallée des abeilles peut se lire comme un hymne à la liberté qui est systématiquement opprimée (que ce soit par la religion ou le pouvoir communiste dirons nous). Pourtant, il semble être à la fois une description d’un triangle amoureux qui ne dirait pas son nom.
La vallée des abeilles, un curieux triangle amoureux
A l’aide de plans particulièrement sensuels faisant même appel à de la nudité masculine, plutôt rare à l’époque, le cinéaste suggère un lien d’amitié virile extrêmement fort entre les deux croisés qui sont interprétés par Petr Cepek et Jan Kacer. Certes, il n’est fait aucune mention d’une quelconque relation charnelle entre les deux amis, mais la suite du long-métrage peut se lire comme une histoire de jalousie et de triangle amoureux. Certes, l’odieux crime final est commis au nom de la religion, mais n’est-ce pas également un moyen d’exorciser cette tentation homosexuelle qui étreint les personnages ?
Alors que le film bénéficie d’un magnifique noir et blanc composé par le directeur de la photographie Frantisek Uldrich qui deviendra ensuite un fidèle du cinéaste, on notera également un très beau travail sur le son, très éthéré et porté par la belle partition de Zdenek Liska. D’une lenteur hypnotique qui fait songer aux films d’Andreï Tarkovski, La vallée des abeilles n’est pas exempte d’une certaine cruauté. Non seulement la violence s’invite par moments de manière étonnante, mais elle n’épargne pas non plus les animaux dans une scène de chasse assez choquante – l’époque n’était pas encore à la protection de nos amis à quatre pattes, vous voilà prévenus.
Une œuvre majeure restée inédite en France
D’une grande beauté formelle, mais aussi d’une réelle complexité thématique, La vallée des abeilles s’impose donc comme une œuvre majeure de la cinématographie tchèque, et ceci malgré son échec commercial d’alors. Cela affecta d’ailleurs beaucoup Frantisek Vlácil puisque sa création n’a été que peu vue, non seulement en Tchécoslovaquie, mais également à l’étranger. Ainsi, en France, le long-métrage est resté inédit jusqu’en 2023. On doit une fois de plus cette belle découverte à l’éditeur Artus Films qui prend décidément bien des risques.
Critique de Virgile Dumez
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František Vláčil, Zdeněk Kryzánek, Petr Cepek, Jan Kacer, Vera Galatíková
Mots clés
Le Moyen-Age au cinéma, La religion au cinéma, Cinéma tchèque