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Plombée par un script trop épuré et des acteurs peu charismatiques, l’adaptation de La servante écarlate par Volker Schlöndorff déçoit fortement. Elle semble désincarnée et trop illustrative.
Synopsis : Dans un monde futur, mais proche, après certains errements scientifiques (nucléaire, pollution, bactériologique) la plupart des femmes se retrouvent stériles. Une société puritaine et répressive, la nouvelle Gilead a pris les rênes de l’Etat et a regroupé les femmes encore fécondes dans des camps de rééducation où elles doivent servir à la procréation auprès des dirigeants de la société idéale…
Critique : En 1985, la romancière Margaret Atwood sort un livre de science-fiction dystopique intitulé La servante écarlate, traduit en français en 1987. Le bouquin devient un formidable best-seller qui pousse les producteurs de cinéma à s’emparer des droits d’adaptation. C’est le romancier et scénariste britannique Harold Pinter (à qui l’on doit notamment les scripts de The Servant et Accident de Joseph Losey ou celui de La maîtresse du lieutenant français de Reisz) qui se penche sur l’adaptation du livre.
Le cinéaste allemand Volker Schlöndorff s’intéresse assez rapidement au projet, même s’il trouve le scénario de Pinter trop compact et ramassé. Si ce script a bien servi de base au film, Schlöndorff a précisé dans son autobiographie qu’il avait ajouté beaucoup d’éléments supplémentaires en cours de tournage. Initialement prévu pour être produit et interprété par Sigourney Weaver, La servante écarlate est abandonnée par la star.
Mais comme le raconte Schlöndorff dans Tambour battant (Flammarion, 2009, p 352) :
Mais mon agent, Sam Cohn, qui avait « ficelé » le projet, avait une proposition de remplacement toute prête : Natasha Richardson, la fille de Vanessa Redgrave. De mon côté, je proposai Greta Scacchi, qu’il refusa. Malheureusement, je me rangeai à son jugement.
Finalement, le projet se monte tant bien que mal, mais visiblement Volker Schlöndorff n’est pas satisfait du casting qu’il a fini par approuver. Il évoque également dans son livre l’engagement d’une certaine Madonna :
Madonna fut aussi candidate […] Je trouvai sur le répondeur téléphonique un message urgent : « This is Madonna speaking. I’ve got to play this part ! Je promets de faire le ménage dans ton appartement une année durant, on my knees, de laver ton linge ou tout ce que tu voudras, pour participer à ce projet »
Pourtant, Schlöndorff n’a pas donné suite, ni même aux demandes d’une autre star de l’époque, à savoir Sting qui envisageait de jouer le rôle du chauffeur. Schlöndorff précise encore :
Il aurait très bien pu interpréter le chauffeur […] mais je trouvais qu’une star comme Sting trahirait trop tôt, pour le spectateur, l’importance qu’allait revêtir ce personnage. On engagea donc l’insignifiant Aidan Quinn.
Pas tendre avec son casting, le réalisateur évoque aussi les combats incessants qu’il a dû mener contre la star Faye Dunaway, dont les caprices quant à son maquillage pouvaient durer des heures. Au moins sa prestation demeure satisfaisante à l’écran, tout comme celle de Robert Duvall, parfaitement à l’aise dans le rôle du patriarche, à la fois séduisant et terrifiant.
Si les problèmes ont émaillé un tournage qu’on imagine tendu, le résultat contrasté est également à imputer au scénario de Pinter, sans doute trop épuré pour rendre compte de la complexité des personnages créés par Margaret Atwood. Quant à la réalisation de Volker Schlöndorff, elle se contente trop souvent de rester à un niveau illustratif. Seul véritable élément de satisfaction, la bande-son composée par Ryūichi Sakamoto crée une atmosphère lourde parfaitement en accord avec le sujet.
Alors que la description de ce monde dystopique est plutôt correctement amenée, le long-métrage échoue dès les premiers plans à susciter la moindre émotion. Symptomatique des innombrables défauts du film, la scène inaugurale qui voit la famille de Natasha Richardson exécutée se déroule en même temps que le générique, ce qui la rejette de facto en-dehors du long-métrage. La distance qui est établie dès le début ne sera plus comblée par la suite dans cette œuvre froide et quelque peu désincarnée. Les personnages n’ont pas de réelle profondeur et ne semblent donc définis que par leurs actes.
Il faut dire que l’ensemble souffre effectivement d’un casting peu enthousiasmant. Natasha Richardson ne parvient pas à acquérir le statut d’héroïne pour qui l’on tremble. Sa liaison avec Aidan Quinn ne suscite pas le moindre frisson et semble tout aussi désincarnée. Pour ressentir quelques émotions, il faut donc attendre les apparitions de Faye Dunaway et de Robert Duvall.
Même si le long-métrage anticipe d’une grosse décennie la mode des dystopies, il ne parvient pas à développer un discours convaincant. Le roman, lui, était une dénonciation de la société patriarcale, tout autant qu’une mise en garde envers le retour dans les années 80 du conservatisme religieux néo-chrétien. Or, Volker Schlöndorff précise dans son autobiographie :
Des années avant Bush, Margaret Atwood disait que, si ce courant venait au pouvoir, on se retrouverait sous la loi de l’Ancien Testament. Je ne prenais pas ses craintes tellement au sérieux. J’étais persuadé que c’était plus l’anarchie que l’ordre religieux qui menaçait l’Amérique.
En fait, cette précision explique pourquoi La servante écarlate ne fonctionne pas vraiment à l’écran. Effectivement, on ne sent pas le réalisateur vraiment convaincu par le discours qui émane de son film. Il semble prendre les avertissements de la romancière à la légère et filme donc la révolte des femmes contre le système patriarcal, sans insister sur la dimension religieuse de cette société, élément qu’un Allemand affilié à la gauche ne pouvait pas vraiment regarder en face. Nous serions donc tentés de dire que si le résultat n’est aucunement catastrophique, il n’a rien d’emballant car son réalisateur n’était pas lui-même convaincu.
Les salles parisiennes diffusant La Servante écarlate, en première semaine (extrait du Pariscope) – Tous droits réservés
Sorti aux Etats-Unis dans une certaine indifférence sur une combinaison de salles extrêmement réduite (autour de 177 écrans), La servante écarlate a été une déconvenue pour les producteurs. Ce désintérêt s’est retrouvé en France où le film n’arrive qu’à la huitième place à Paris pour sa première semaine d’exploitation (en juin 1990) avec seulement 16 294 spectateurs. La fête du cinéma a permis au Schlöndorff de se maintenir à la même hauteur en deuxième semaine, mais la troisième lui sera fatale avec un résultat final catastrophique de 48 819 entrées à Paris.
Sur la France entière, La servante écarlate pointe à la dixième place lors de son investiture (autour de 26 000 entrées), gagne quelques spectateurs supplémentaires grâce à la Fête du Cinéma, s’effondre en troisième semaine, avant de disparaître de la circulation en moins d’un mois. Son total de 86 590 entrées est sans appel.
Exploité assez rapidement en VHS, le long-métrage est resté inédit en DVD et blu-ray sur notre territoire. Peut-être que le succès de la série télévisée éponyme motivera un éditeur courageux ? Certes très imparfait, le film de Schlöndorff a tout de même le mérite d’être la toute première adaptation d’une œuvre majeure de la littérature de la fin du 20ème siècle.
Critique de Virgile Dumez