Tourné en Allemagne, La Neuvième Symphonie est le premier grand mélodrame de Douglas Sirk encore nommé Detlef Sierck, réalisé avec un talent certain et des thématiques qui seront développées ensuite durant sa longue carrière américaine.
Synopsis : Une jeune Allemande pauvre nommée Hanna abandonne son bébé en adoption et émigre aux États-Unis pour vivre avec son mari. Lorsque son mari se suicide, Hanna retourne en Allemagne et se fraye un chemin pour devenir la femme de chambre et l’infirmière de son enfant élevé par un chef d’orchestre et sa femme.
Quand Douglas Sirk était encore Detlef Sierck
Critique : Lorsqu’il débute le tournage de La Neuvième Symphonie (1936), le réalisateur Douglas Sirk n’a que quatre films à son actif et il s’appelle encore Detlef Sierck. Homme de théâtre, Sirk doit s’adapter aux structures du cinéma allemand déjà sous la direction du parti nazi et de son chef de la propagande Goebbels. Alors que ses films précédents n’ont eu qu’un écho limité, Douglas Sirk expérimente une nouvelle recette en s’insinuant dans le genre qui est alors très populaire en Europe, à savoir le mélodrame musical.
Ainsi, le réalisateur initie avec ce long-métrage un cycle de grands mélodrames qui vont se poursuivre durant toute sa carrière américaine. Dans La Neuvième Symphonie, les amateurs de son cinéma pourront retrouver les futures constantes de son œuvre, avec notamment la figure de l’enfant abandonné, de la mère qui tente de reconquérir sa progéniture, mais aussi la figure traditionnelle de la femme tragique. S’inscrivant en apparence seulement dans un registre très moralisateur (la femme adultère est condamnée à souffrir, la mère indigne doit aussi connaître un chemin de croix, tandis que les valeurs familiales traditionnelles sont vantées comme un facteur de stabilité), La Neuvième Symphonie sacrifie effectivement à une dynamique réactionnaire. Pour autant, le cinéaste a déjà l’intelligence de proposer des portraits de femmes suffisamment complexes pour que le spectateur contemporain y trouve son compte.
De beaux portraits de femmes
Ainsi, la mère qui a abandonné son enfant – très juste Mária von Tasnádi qui fut ensuite abonnée aux mélodrames – prend conscience de l’horreur de son geste alors qu’elle entend à la radio une retransmission de la fameuse Neuvième Symphonie de Ludwig von Beethoven. Mais lorsqu’elle retrouve son enfant, elle doit se faire passer pour une simple nourrice car le bambin a été adopté par un couple dysfonctionnel de grands bourgeois. Alors que le père de famille est montré comme un homme sensible (et joué avec autorité par Willy Birgel, très populaire dans l’Allemagne des années 30), sa femme est décrite comme une harpie qui le fait cocu.
© 1936 UFA / Photo : Capricci. Tous droits réservés.
Dans ce rôle, Lil Dagover propose une interprétation très maniérée qui porte encore les traces du jeu outrancier de l’époque du cinéma muet dont elle fut une star (Les trois lumières, Le cabinet du docteur Caligari et autres grands classiques). Pour autant, la comédienne parvient à échapper au piège de la diabolisation de son personnage et le rend finalement assez pathétique, insistant sur son caractère de victime.
La Neuvième Symphonie propose une réalisation inspirée
Face à elle, on signalera aussi la présence de l’imposante Maria Koppenhöfer dans le rôle de la gouvernante de la demeure. Très proche du personnage incarné par Judith Anderson dans le Rebecca (1940) d’Alfred Hitchcock, la femme de chambre est immédiatement identifiable comme un protagoniste lesbien. En cela, Douglas Sirk ose défier la censure d’époque et livre des séquences assez troublantes entre la maîtresse de maison alanguie et sa compagne de chaque jour. A noter d’ailleurs que le réalisateur ne condamne aucunement ce personnage qui sera même porteur de vérité lors de l’inévitable procès final.
Typique des mélodrames de l’époque, La Neuvième Symphonie bénéficie toutefois d’une réalisation inspirée, menée par une caméra très mobile et une science du cadrage qui rappelle les meilleurs efforts déployés alors par le cinéma allemand. Bien entendu, l’apport de la musique éponyme de Beethoven renforce un peu plus la puissance évocatrice des images. Seuls les clichés typiques de l’époque viennent quelque peu tempérer nos ardeurs, mais le réalisateur allait affiner son style dans ses nombreuses œuvres suivantes.
Un joli succès en 1936, repris en copie 2K en 2022
Présenté avec succès à la Mostra de Venise en 1936, La Neuvième Symphonie a remporté le Prix du meilleur film musical et a connu une belle carrière européenne. Il s’agit donc du premier grand succès de Detlef Sierck au cinéma. Lors de sa sortie française à la mi-octobre 1936, le long-métrage a reçu des critiques plutôt positives, comme on peut le constater dans le numéro 207 de Cinéopse daté de novembre 1936 où un critique écrit ces mots :
Très beau film musical avec une intrigue en marge du chef d’œuvre de Beethoven, avec Lil Dagover, Willy Birgel, Maria de Tasnady. Une production que l’on peut classer parmi les meilleures.
Par la suite, Detlef Sierck a encore tourné quelques films en Allemagne, avant de fuir le nazisme et d’entamer une riche carrière aux Etats-Unis sous le nom de Douglas Sirk. Longtemps oublié, La Neuvième Symphonie a fait l’objet d’une restauration en 2K à Munich en 2014 et le résultat a été proposé en salles en France par le distributeur Capricci en septembre 2022, lors d’une rétrospective consacrée à la période allemande du célèbre réalisateur. L’occasion de constater la permanence des thèmes chers à l’auteur.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 octobre 1936
Les sorties de la semaine du 7 septembre 2022
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© 1936 UFA / Affiche : Capricci. Tous droits réservés.
Biographies +
Douglas Sirk, Willy Birgel, Lil Dagover, Mária von Tasnádi, Maria Koppenhöfer
Mots clés
Cinéma allemand, Mélodrames, Les mères au cinéma, La musique au cinéma