La comtesse aux pieds nus est un classique audacieux sur le plan thématique. Une relecture désenchantée de Cendrillon qui étonne toujours par sa modernité. Et puis que dire de l’interprétation magique de la belle Ava Gardner !
Synopsis : Ascension et chute d’une star hollywoodienne. Alors qu’il assiste à l’enterrement de Maria Vargas, le réalisateur Harry Dawes se souvient de l’époque où il l’a découverte. Elle était danseuse sans un cabaret en Espagne… Le plus beau rôle d’Ava Gardner, gouffre de mystère et mythique incarnation de la star.
La comtesse aux pieds nus, un classique immense du septième art
Critique : Indépendant des grands studios pour la première fois de sa carrière, le cinéaste Joseph L. Mankiewicz se lance en 1953 dans l’écriture d’un conte moderne, version désenchantée de Cendrillon se déroulant dans le milieu du cinéma. Alors que tout était réuni pour faire de La comtesse aux pieds nus une banale success story, l’auteur pervertit toutes les règles du genre et détourne l’univers féérique au profit d’une analyse cinglante de la société contemporaine gangrénée par l’argent. Débutant par l’enterrement de la star, Mankiewicz place immédiatement son œuvre sous le sceau de la fatalité et de la tragédie. Ensuite, par une savante construction, il passe d’un témoin des funérailles à l’autre pour conter de manière partiale et subjective le destin de cette jeune femme, découverte à Madrid par un producteur ambitieux. Devenue star, elle devient l’objet de tous les désirs (avec de fortes connotations sexuelles), mais refuse systématiquement toutes les avances, aussi bien des producteurs que de ses fans. Furieusement indépendante, cette icône finit par être envoutée par un prince charmant, avant de tomber de haut lors d’une révélation finale aussi cruelle que tragique.
Ava Gardner, un idéal féminin avec un magnétisme incroyable
Au passage, Mankiewicz en profite pour égratigner successivement trois mondes différents : celui du cinéma où l’argent facile permet à certaines personnes de soumettre les autres à leur volonté, celui de la jet set où la vulgarité des parvenus dissimule mal leurs origines roturières, et enfin celui de la vieille noblesse européenne sur le déclin. L’auteur dessine ainsi le portrait d’une société en pleine mutation, de plus en plus individualiste. Mine de rien, il évoque avec finesse et doigté des thèmes extrêmement périlleux pour l’époque, comme l’impuissance masculine et surtout l’indépendance des femmes. Lumineuse et mystérieuse à la fois, Ava Gardner incarne cet idéal féminin avec un magnétisme incroyable. Elle est soutenue par un casting au diapason : Humphrey Bogart trimballe sa silhouette fatiguée avec noblesse, Edmond O’Brien est un magnifique agent de publicité (ce qui lui a valu l’Oscar du meilleur second rôle en 1954) et Rossano Brazzi interprète avec sensibilité un prince pas si charmant. D’une incroyable richesse thématique, ce nouveau chef-d’œuvre de Mankiewicz fut un gros succès à l’époque et demeure le rôle le plus emblématique de la sublime Ava Gardner. Du très grand cinéma.