Alors qu’Il était une fois dans l’Ouest vient de fêter ses 50 ans, le moment est idéal pour revenir sur sa formidable force, et les raisons qui font de ce western crépusculaire l’un des sommets de la carrière du maître italien du western : Sergio Leone.
Synopsis : Alors qu’il prépare une fête pour sa femme, Bet McBain est tué avec ses trois enfants. Jill McBain hérite alors des terres de son mari, terres que convoite Morton, le commanditaire du crime. Mais les soupçons se portent sur un aventurier, Cheyenne…
Critique : Les années 60 voient les derniers soubresauts du glorieux western classique, né avec La Chevauchée fantastique en 1939, et notamment arbitré par des cinéastes emblématiques comme John Ford (La Prisonnière du désert, 1956) ou Howard Hawks (Rio Bravo, 1959), disparaître, au profit d’une nouvelle génération dotée d’un regard neuf sur le genre. Deux des réalisateurs dominants au sein de cette période sont sans conteste Sam Peckinpah, qui impose sa vision apocalyptique et violente de l’Ouest américain avec, entre autres, La Horde sauvage (1969), et Sergio Leone, qui dynamite le genre tout en imposant un visage (celui de Clint Eastwood) avec sa trilogie du dollar (Pour une poignée de dollars, 1964 ; Pour quelques dollars de plus, 1965 ; Le Bon, la brute et le truand, 1966) avant d’y mettre un point final avec Il était une fois dans l’Ouest. Figures masculines crasseuses brandies au plus près de la caméra, rythme rappelant davantage le cinéma japonais et violence renforcée : cette nouvelle façon de filmer la conquête de l’Ouest s’imposa, avec un succès allant croissant au fil des longs-métrages.
Pourtant, alors qu’il sort en 1966 du triomphe du Bon, la brute et le truand, Leone a le sentiment d’avoir fait le tour de ce pan de l’Histoire américaine, et souhaite s’atteler à l’adaptation du livre de Harry Grey : The Hoods (1952) – chose qu’il parviendra finalement à mener à bien et qui deviendra en 1984 Il était une fois en Amérique. Or, si tous les studios font les yeux doux au maître italien, c’est pour qu’il réalise un nouvel opus à sa trilogie – triptyque pourtant clos de manière définitive avec le départ du « Bon » à la fin du Bon, la brute et le truand, le personnage se dirigeant vers les intrigues des deux précédents films. Leone, bien qu’agacé, ne cédera que face au patron de la Paramount, qui lui accordera toute la liberté nécessaire pour la conception de ce nouveau western.
© Paramount Pictures – Splendor Films
Il était une fois dans l’Ouest : un western funèbre
Le choix du cinéaste est alors de réaliser à la fois la quintessence de son style, l’apporter à un niveau encore jamais effleuré auparavant, et d’aller dans une direction complètement différente de ses précédentes œuvres : Il était une fois dans l’Ouest sera crépusculaire, lent et funèbre, peinture de la fin d’un monde et de la naissance d’un nouveau.
Du monde qui tombe en poussière, Leone invoque les archétypes : le mystérieux vengeur mutique (Charles Bronson, monolithique joueur d’harmonica au charisme brut), le bandit romantique (Jason Robards, roublard et délicieux), le tueur sans pitié (Henry Fonda dans un contre-emploi où jamais les yeux bleus n’ont à ce point paru terrifiants) et la prostituée incarnée par Claudia Cardinale, figure féminine au centre du récit – malgré sa passivité, elle seule est appelée à subsister dans l’époque qui s’ouvre.
Et, tandis que ces visions d’un autre monde se pourchassent, une nouvelle ère advient, où le pouvoir n’est plus matérialisé par le maniement du colt ou la promptitude à appuyer sur la gâchette, mais par l’argent tiré du progrès et de l’expansion du chemin de fer à travers les terres arides.
© Paramount Pictures – Splendor Films
Une mise en scène à son meilleur.
Outre le talent évident de l’entièreté des acteurs conviés à cette ballade mortuaire, Leone sait les magnifier à l’aide de sa caméra, en une mise en scène soulignant les traits de leurs faciès en de nombreux gros plans, et la splendeur d’une reconstitution immense de l’Ouest américain. Le réalisateur pousse à son paroxysme l’effet de dilatation du temps qui apparaissait dans quelques séquences de ses précédentes œuvres, et accouche de nombre de scènes prodigieuses.
Le duel introductif à la gare, le massacre de la famille par l’infâme Frank ou l’entrée en scène de Cheyenne (pour ne citer que la première demi-heure du long-métrage) sont des instants de cinéma sensationnels, atteignant un degré de pureté rarement effleuré dans l’histoire du septième art.
Une bande originale légendaire pour un triomphe français
En sus des choix de mise en scène et de découpage, la force mythique du film provient en grande partie de la bande-son, composée en amont des prises de vue par Ennio Morricone, qui fait montre, pour chacun des thèmes musicaux, d’un talent extraordinaire. Le discours n’a ici que peu de place, Leone symbolisant les rapports de force et l’avancée de l’intrigue avant tout par l’image. Toutefois, les dialogues, quand ils n’explicitent pas les événements, se révèlent toujours percutants et délicieusement écrits.
Il était une fois d’ans l’Ouest connaîtra un grand succès, notamment en France (aux États-Unis, la version remontée par le studio n’attirera guère les foules), et constituera un nouvel échelon dans la carrière de Sergio Leone, transcendant ses trois premiers westerns déjà révolutionnaires, et initiant une nouvelle trilogie – le deuxième opus étant Il était une fois la révolution – dont le style, plus lent, et le ton, plus pessimiste, atteindront leur pinacle avec un autre de ses chefs-d’œuvre, Il était une fois en Amérique, que le cinéaste lui-même reconnaissait comme son plus complet aboutissement. Toutefois, au sein d’un genre pour le moins broussailleux, Il était une fois dans l’Ouest constitue l’un des meilleurs westerns jamais réalisés, et représente bien plus largement un monument de cinéma.
Critique : Jean-Paul de Harma
Les westerns spaghettis sur CinéDweller
© Paramount Pictures – Splendor Films