Holy Motors : la critique du film (2012)

OVNI, Expérimental, Drame | 1h55min
Note de la rédaction :
9/10
9
Affiche de Holy Motors de Leos Carax

  • Réalisateur : Leos Carax
  • Acteurs : Edith Scob, Michel Piccoli, Kylie Minogue, Denis Lavant, Eva Mendes, Camille Rutherford, Leos Carax, Michel Delahaye
  • Date de sortie: 04 Juil 2012
  • Année de production : 2012
  • Nationalité : Français, allemand
  • Titre original : Holy Motors
  • Titres alternatifs : -
  • Scénaristes : Leos Carax
  • Directeur de la photographie : Yves Cape, Caroline Champetier
  • Monteur : Nelly Quettier
  • Compositeur : -
  • Producteurs : Martine Marignac, Albert Prévost, Maurice Tinchant
  • Sociétés de production : Pierre Grise Productions, Théo Films, Arte France Cinéma, WDR / Arte, Canal +
  • Distributeur : Les Films du Losange
  • Distributeur reprise : -
  • Date de sortie reprise : -
  • Editeur vidéo : Potemkine Films
  • Date de sortie vidéo (DVD, Blu-ray) : 6 novembre 2012
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 189 963 entrées / 86 369 entrées
  • Box-office nord-américain / Monde : 641 100 $ / 1 954 125$
  • Budget : 4 500 000 €
  • Rentabilité : 26%
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleur & Noir & Blanc / Dolby Digital
  • Festivals et récompenses : Sélection officielle Cannes 2012, Festival de La Rochelle, Paris Cinéma, Sydney International Film Festival, Munich International Film Festival, Neuchâtel International Fantastic Film Festival, Festival de Locarno, Toronto, Festival de Sitges, New York Film Festival
  • Illustrateur / Création graphique : © Agence Les Quatre Lunes. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Pierre Grise Productions, Théo Films, Arte France Cinéma, WDR / Arte, Canal +. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Holy Motors, absent au Palmarès cannois de 2012, marquait le retour sensationnel de Leos Carax avec une œuvre phare. Un échec malencontreux au box-office pour un film monstre dont l’expérience demeure une décennie après indélébile. 

Synopsis : De l’aube à la nuit, quelques heures dans l’existence de Monsieur Oscar, un être qui voyage de vie en vie. Tour à tour grand patron, meurtrier, mendiante, créature monstrueuse, père de famille… M. Oscar semble jouer des rôles, plongeant en chacun tout entier – mais où sont les caméras ? Il est seul, uniquement accompagné de Céline, longue dame blonde aux commandes de l’immense machine qui le transporte dans Paris et autour. Tel un tueur consciencieux allant de gage en gage. A la poursuite de la beauté du geste. Du moteur de l’action. Des femmes et des fantômes de sa vie. Mais où est sa maison, sa famille, son repos ?

Critique : Carax, l’enfant maudit du cinéma français, est de retour à Cannes en 2012. Un évènement que peu de gens remarquent, au vu des chiffres laborieux au box-office (moins de 100 000 entrées France) tant le cinéaste est passé de mode. Celui qui, aux côtés de Beineix ou Besson, renouvelait le septième art français trois décennies plus tôt, avec les formidables Boy Meets girl et Mauvais sang, a connu très vite le désaveu de ses pairs et du public.

Banni de l’Olympe en raison du flop historique des Amants du Pont-Neuf (notoire pour ses dépassements de budget et franchement bancal), Leos galère pendant plus de huit ans avant de pouvoir monter le raté Pola X qui contient toutefois quelques fulgurances.

Holy shit !

Dans les années 2000, exsangue, cet artiste immense mais désormais oublié, revient le temps d’un sketch dans l’anthologie Tokyo, dont le titre sonne comme un doigt d’honneur au système : Merde ! Il y traîne Denis Lavant dans la fange, le comédien devenant une créature monstrueuse qui terrorise la population tokyoïte avant de regagner son refuge excrémentiel, les égouts.

Ce personnage d’ailleurs revient dans Holy Motors, toujours sous les traits polymorphes de l’acteur qui incarne en fait une galerie de caractères borderline marquant les esprits dans des genres différents.

Edith Scob dans le fascinant Holy Motors de leos Carax

Crédit photo : Camille de Chenay – Holy Motors © 2012 Pierre Grise Productions. Tous droits réservés.

En 2012, on est donc heureux de retrouver Carax à Cannes, en compétition, de nouveau sous le feu des projecteurs, avec en plus un casting improbable pour susciter la curiosité (Piccoli, Eva Mendes, Denis Lavant, Edith Scob et Kylie Minogue partageant le haut de l’affiche, c’est du plus bel effet).

Holy Motors, un OVNI forcément insaisissable

Le chantre de l’esthétique eighties est de retour avec sa panoplie de tics visuels, d’insolences cinématographiques. Et  il brandit le même doigt levé à l’encontre de l’industrie du cinéma, puisqu’il ose l’audace, celle de l’OVNI iconoclaste, insaisissable, ponctuée d’étrangetés, de violence trash et d’un fantastique absurde. Il livre une œuvre excessive et subversive, qui crée le malaise et suscite toutes les émotions (angoisse, rire, malaise), alors que la crise financière apparaît en sous-texte, tout comme le rapport universel de l’homme à la mort ou à une sexualité, ici pervertie ou anoblie, entre délire sadomaso virtuel et déclaration d’amour sans limite pour la grâce et sensualité féminines (les rencontres avec Eva Mendes et Kylie Minogue). Au passage, le CNC propose une classification tous publics. On rigole encore.

Photo de Denis Lavant dans Holy Motors de leos Carax

Crédit photo : Camille de Chenay – Holy Motors © 2012 Pierre Grise Productions. Tous droits réservés.

Carax évoque Cosmopolis de David Cronenberg, également en compétition en 2012, pour le sujet (un milliardaire parcourt la ville dans sa limousine où il honore d’étranges rendez-vous ou rituels). Il s’oriente aussi vers Lynch ou Philippe Grandrieux pour des mises en abîme ténébreuses où les dimensions fusionnent.

L’œuvre monumentale d’une décennie

L’incipit, dans une salle de cinéma monumentale gardée par des cerbères, est virtuose. L’œuvre se situe dans un délire baroque et surréaliste qui nous encourage à prendre le pouls de ses images, entre vie et mort. Sans oublier les corps déshumanisés qui ne font plus qu’un lors d’une copulation virtuelle monstrueuse digne de l’orgie filmée en négatif dans La vie nouvelle de Grandrieux ou propre à l’imaginaire des pathologies organiques que s’obstinait à filmer David Cronenberg dans les années 70 et 80. Il s’agit là d’une scène d’anthologie. Il y en a d’autres…

Carax évoque aussi Jacques Demy, un Demy de la désespérance dans le cadre fantomatique de la Samaritaine, le célèbre et gigantesque magasin abandonné au cœur de Paris, qui sert de décor insolite à une scène chantée d’une beauté spectrale entre Kylie Minogue méconnaissable et Denis Lavant. On pense également à Boris Vian, notamment lors de la scène finale où l’animal vient usurper l’homme. C’est un peu l’écume des jours qui passent…

Holy Motors, affiche britannique

Copyrights : Pierre Grise Productions, Théo Films, Pandora Filmproduktion, Arte France Cinéma, WDR / Arte

Malgré tout, loin d’être le résultat d’un pot pourri impersonnel, Holy Motors interpelle la personnalité artistique même d’un auteur jusqu’au-boutiste qui met au défi notre esprit rationnel. Il y est bien question de processus créatif – l’homme suit un script rédigé par un créateur, qu’il soit artiste ou divin. Cette dimension s’offre à nous, mais ne répond pas à toutes nos interrogations. On ne s’en offusquera pas, bien au contraire, ravi de l’ivresse des images. La mise en scène (qui méritait un prix à Cannes, plus que tout autre film en compétition cette année-là) nous fascine dans son élaboration et sa formidable complexité digne des grands visionnaires du cinéma.

Holy Motors a été l’occasion miraculeuse de retrouver Leos Carax. En une œuvre, l’auteur allait marquer la décennie 2010 d’une empreinte cinématographique qui ne s’est jamais effacée. Cet objet pictural étrange est resté inoubliable. Une expérience de vie pour tout cinéphile qui se respecte.

Frédéric Mignard

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Sorties de la semaine du 4 juillet 2012

Affiche de Holy Motors de Leos Carax

Holy Motors © 2012 Pierre Grise Productions. Design affiche : Agence Les Quatre Lunes. Tous droits réservés.

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