Guerre non déclarée ou Guerres de l’ombre est un Ringo Lam atypique par son sujet géopolitique et sa volonté d’internationaliser son propos. Toutefois, le métrage vaut mieux que sa triste réputation par sa prescience des événements à venir. Efficace bien qu’inégal.
Synopsis : La CIA et la police de Hong Kong font équipe dans la traque du leader terroriste de « l’Armée de libération » qui a assassiné un ambassadeur américain. La prochaine cible des terroristes est une délégation américaine qui vient d’arriver sur le sol hongkongais…
Une tentative originale au sein de l’œuvre de Ringo Lam
Critique : Durant les années 80, le cinéaste Ringo Lam s’impose comme l’un des grands noms du cinéma d’action hongkongais au même titre que des valeurs sûres comme Tsui Hark, John Woo ou encore Kirk Wong. Encore plus radical dans sa description sans fard de la violence, Ringo Lam a aligné au cours de la décennie des titres importants comme City on Fire (1987), Prison on Fire (1987) et School on Fire (1988), une trilogie informelle qui se conclura avec Prison on Fire 2 (1991).
Au milieu de ce corpus de films marquants et profondément ancrés dans la réalité hongkongaise du moment se niche ce Guerre non déclarée, également titré Guerres de l’ombre en France. Moins prisé que les autres œuvres du cinéaste, ce curieux film d’espionnage situé à l’époque finissante de la guerre froide n’est pourtant pas inintéressant par-delà ses réels défauts que nous évoquerons plus loin.
Une fenêtre ouverte sur l’international
Entièrement produit par la société Cinéma City, le métrage prouve l’ambition du réalisateur de ne pas se limiter à la sphère hongkongaise puisqu’il engage des acteurs occidentaux pour raconter une histoire nécessitant un tournage en Pologne, notamment pour sa longue séquence introductive. On sent donc déjà chez Ringo Lam la volonté de tourner à l’étranger et, peut-être aussi une envie de partir vers d’autres cieux, notamment américains. Mais Guerres de l’ombre ne lui permettra pas encore de s’échapper de l’enclave de Hong Kong dont il craint déjà la rétrocession à la Chine communiste programmée pour 1997.
Alors que le bloc soviétique est en pleine déconfiture, les auteurs du script ont tout de même voulu se frotter à la réalité de la guerre froide. Certes, la peur du communisme a été très vite dépassée par la réalité historique, mais le film d’espionnage fait tout de même preuve d’une bonne analyse de la situation puisqu’il se centre sur les dérives d’un terrorisme qui ne cherche même plus à s’appuyer sur un substrat idéologique pour se déchaîner sur des innocents. En cela, Guerres de l’ombre semble anticiper de dix ans la situation des années 2000 post-11 septembre 2001.
Exit la guerre froide, voici le temps du terrorisme aveugle
Si les terroristes sont ici des communistes classiques et non des islamistes, la situation décrite correspond parfaitement à celle qui sera en vigueur des années plus tard, avec notamment une critique virulente de l’ingérence de la CIA et des Etats-Unis dans la politique internationale, mais aussi la violence aveugle qui s’abat sur les populations sans que l’on en comprenne le but. Ainsi, le personnage de terroriste idéologue incarné par Olivia Hussey est rapidement supplanté par la folie destructrice du chef du mouvement interprété par Vernon Wells (échappé notamment de Mad Max 2). Dès lors, plus besoin de vaines justifications aux actes violents puisque le personnage s’affranchit de toutes les règles.
Face à lui, l’agent de la CIA – Peter Liapis au jeu très limité – est lui-même présenté comme un homme extrêmement violent et prêt à tout pour coincer son ennemi juré. D’ailleurs, les scènes atroces de torture des terroristes interpellés font écho, avec plus de dix ans d’avance, aux horreurs perpétrées à Guantanamo. Tous ces éléments font de Guerres de l’ombre une œuvre pas si anodine que cela dans le paysage cinématographique du début des années 90.
Des acteurs diversement inspirés, mais des scènes d’action impressionnantes
Malheureusement, tout n’est pas aussi réussi dans cette production internationale qui sent parfois le rapiéçage de dernière minute. Tout d’abord, les acteurs ne sont pas tous forcément bien dirigés et la différence de jeu entre les Occidentaux et les locaux occasionne un mélange pas toujours heureux. On peut notamment regretter le manque de présence de Danny Lee qui ne parvient jamais à s’imposer en flic badass face à Peter Liapis. Le duo ne fonctionne jamais vraiment car trop mal assorti. De plus, le réalisateur hésite souvent sur le ton à adopter, cherchant parfois à approcher le style du buddy movie, tout en refusant la comédie pure.
Finalement, comme toujours chez le réalisateur, ce qui sauve Guerres de l’ombre du tout-venant vient assurément des nombreuses scènes d’action qui parsèment le métrage. Passé maître dans la gestion de l’espace, Ringo Lam s’éclate en multipliant les fusillades où la foule est impitoyablement massacrée, enfants et bébés compris. Le maître prouve alors qu’il n’a rien perdu de sa rage et de sa soif de choquer. Les séquences furieuses s’enchaînent pied au plancher pour le plus grand plaisir de l’amateur d’action, avec une pensée pour les acteurs et cascadeurs qui risquent clairement leur vie pour un plan impressionnant.
Guerres de l’ombre, un cuisant échec commercial
Malgré cet investissement réel de toute l’équipe, Guerres de l’ombre fut un cruel échec lors de sa sortie à Hong Kong, n’amassant que 5 millions de dollars HK sur la totalité de son exploitation (à titre de comparaison, un bon résultat serait plutôt situé autour de 15 millions). Cela a d’ailleurs condamné la carrière internationale du long métrage qui n’est sorti que dans les salles asiatiques sans grand écho.
En France, Metropolitan Filmexport semble avoir exploité le film dans quelques salles de province comme l’atteste la présence d’une affiche affublée du titre Guerre non déclarée. Toutefois, il est difficile d’en retrouver la trace, cette sortie ayant eu lieu visiblement vers 1992 afin d’annoncer l’édition en VHS de 1993. C’est finalement en 2005 que le film trouve sa place dans la collection DVD Asian Star chez Pathé, avec deux titres différents en fonction de l’édition concernée : soit Undeclared War (le titre international), soit Guerres de l’ombre. C’est ce dernier qui a été choisi par Carlotta Films pour ressortir le long métrage en blu-ray au mois d’août 2024. L’occasion pour les fans de Ringo Lam de réévaluer ce titre trop longtemps mésestimé.
Critique de Virgile Dumez
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Ringo Lam, Rosamund Kwan, Danny Lee, Victor Hon, Olivia Hussey, Vernon Wells, Peter Liapis
Mots clés
Cinéma hongkongais, La CIA au cinéma, Le terrorisme au cinéma, Les attentats au cinéma, La Guerre froide au cinéma