Suivant les traces d’un Guillermo del Toro, Freaks Out est un film de super-héros italien ambitieux et fort agréable à regarder grâce à une histoire originale et une esthétique à la fois kitsch et baroque qui séduit la rétine. Du bon cinéma populaire, en somme.
Synopsis : Rome, 1943, sous occupation nazie, la Ville éternelle accueille le cirque où travaillent Matilde, Cencio, Fulvio et Mario comme phénomènes de foire. Israel, le propriétaire du cirque et figure paternelle de cette petite famille, tente d’organiser leur fuite vers l’Amérique, mais il disparaît. Privés de foyer et de protection, dans une société où ils n’ont plus leur place, les quatre « monstres » vont tenter de survivre dans un monde en guerre…
Freaks Out, symbole de la renaissance du cinéma de genre italien ?
Critique : Depuis le petit succès obtenu par le sympathique film de super-héros Le garçon invisible (Gabriele Salvatores, 2014), l’Italie semble à nouveau se pencher sur un cinéma de genre qui a autrefois fait sa notoriété au-dehors de ses frontières. Le très beau résultat obtenu par la première réalisation de Gabriele Mainetti, On l’appelle Jeeg Robot (2015), a convaincu les producteurs de la viabilité d’une prise de risques sur des projets de grande ampleur.
Malheureusement, depuis cette époque, les différents films de genre italiens se sont fracassés sur plusieurs réalités : tout d’abord, le public italien n’est guère friand de productions locales, et ensuite la crise de la Covid a frappé durement le domaine du septième art, avec des salles à nouveau vides dans la péninsule. La suite du Garçon invisible intitulée Le Garçon invisible : Deuxième génération (Gabriele Salvatores, 2018) a essuyé les plâtres. Le flop est tel que le troisième volet annoncé a aussitôt été déprogrammé. Et malheureusement, Freaks Out, le deuxième effort de Gabriele Mainetti a également été une déception au box-office italien, ne permettant pas de rembourser ses 13 millions d’euros de budget.
Une pincée de Pinocchio et une lampée de Guillermo del Toro
Pourtant, le réalisateur a mis toutes les chances de son côté en signant ici une œuvre super-héroïque d’une belle originalité. S’il s’inspire bien des comics américains, mais aussi des fumetti des années 60, Gabriele Mainetti et son coscénariste Nicola Guaglianone ont créé des nouveaux personnages qui n’appartiennent à aucune franchise établie, ni en BD ni en littérature. Bien entendu, la présence des personnages au sein d’un cirque rappelle l’ambiance typiquement italienne des œuvres de Carlo Collodi (auteur de Pinocchio), mais les références de Mainetti sont avant tout cinématographiques, avec un goût évident pour le baroque d’un Guillermo del Toro auquel on ne peut que penser (et qui a aussi tourné une version de Pinocchio), avec une pincée de Tim Burton époque Dumbo (2019).
© 2021 Goon Films – Lucky Red / Metropolitan FilmExport. Tous droits réservés.
Pourtant, ces références prestigieuses ne sont pas trop écrasantes car Gabriele Mainetti propose une réalisation très ambitieuse faite d’amples mouvements de caméra, de décors grandioses et d’une photographie savamment composée par Michele D’Attanasio. Avec Freaks Out, le cinéaste optimise les 13 millions d’euros de son budget pour livrer une œuvre d’une infinie richesse, pleine d’effets spéciaux, de vastes univers visuels et d’action. Rappelons qu’avec le même budget, les équipes françaises aboutissent à des comédies ringardes tout juste bonnes à alimenter les prime des chaînes de télévision.
Super-héros VS. Nazis
Certes, les auteurs appliquent ici des formules connues de tous en faisant s’affronter des gens du cirque qui sont autant de freaks avec des nazis. On a le droit à une opposition bien manichéenne entre bons et méchants, mais la caractérisation des différents personnages permet de passer outre ces formules basiques. Ainsi, la gentille héroïne incarnée avec justesse par la jeune Aurora Giovinazzo révèle en cours de film une nature plus sombre et un passé finalement trouble qui lui donne une réelle épaisseur. Face aux groupe des quatre fantastiques, le méchant nazi joué avec fièvre par l’Allemand Franz Rogowski (vu et apprécié dans Victoria et Une vie cachée) est porteur d’une malformation qui en fait également un freak aux yeux de ses camarades du troisième Reich. Sa motivation est donc plus complexe qu’il y paraît de prime abord. Le personnage n’est d’ailleurs pas totalement antipathique, mais sait parfois être pathétique.
En près de 2h30 d’un spectacle total, Gabriele Mainetti revient aussi sur une période trouble de l’histoire italienne, lorsque la partie nord du pays était envahie par les forces nazies, tandis que la partie sud était défendue par les partisans. Toutefois, comme dans les œuvres de Guillermo del Toro (Le labyrinthe de Pan), la dimension historique ne sert que de cadre enrichissant une thématique essentiellement fantastique et fantaisiste. Jamais ennuyeux ou pontifiant, Freaks Out est un pur divertissement qui porte haut l’étendard d’un spectacle made in Europe, débarrassé des scories habituelles des blockbusters américains et de leurs quotas.
Des récompenses méritées, mais une déception au box-office
Parfois fort violent, quelque peu osé lorsqu’il fait d’un de ses héros un masturbateur compulsif, Freaks Out est un grand spectacle qui ne prend jamais le spectateur pour un imbécile et qui, de plus, bénéficie d’effets spéciaux réussis et d’une esthétique kitsch, mais chatoyante. Le long-métrage qui a vu sa sortie italienne repoussée plusieurs fois à cause de la crise sanitaire de la Covid a finalement déçu au box-office local, mais a tout de même remporté plusieurs David di Donatello techniques en 2022 (6 statuettes dont celle du meilleur producteur et du meilleur directeur de la photographie).
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Sorti en France sous la bannière de Metropolitan Filmexport fin mars 2022, Freaks Out a poursuivi la terrible série de flops subis par le distributeur. Avec seulement 11 949 spectateurs à Paris et un total de 36 136 sur l’ensemble de sa carrière française, le film de super-héros n’a tout simplement pas imprimé dans la conscience du public local. Le film bien plus ambitieux que On l’appelle Jeeg Robot a même réussi à faire moins d’entrées que son prédécesseur (41 276 supporters en mai 2017).
Les spectateurs désireux de se rattraper peuvent toujours se procurer le long-métrage en DVD et blu-ray, ou le visionner en VOD. Ils ne devraient pas être déçus.
Critique de Virgile Dumez
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Gabriele Mainetti, Franz Rogowski, Claudio Santamaria, Aurora Giovinazzo, Pietro Castellitto, Giancarlo Martini
Mots clés
La Seconde Guerre mondiale au cinéma, Le cirque au cinéma, Les Nazis au cinéma, Films de super-héros, Les films Metropolitan Filmexport