Avec Fais de beaux rêves, Marco Bellocchio ausculte les traumas d’enfance à travers la relation privilégiée entre un gamin et sa mère, trop tôt disparue. Entre incapacité à faire le deuil et résilience, le drame touche énormément sur un sujet intime.
Synopsis : Turin, 1969. Massimo, un jeune garçon de neuf ans, perd sa mère dans des circonstances mystérieuses. Quelques jours après, son père le conduit auprès d’un prêtre qui lui explique qu’elle est désormais au Paradis. Massimo refuse d’accepter cette disparition brutale. Année 1990. Massimo est devenu un journaliste accompli, mais son passé le hante. Alors qu’il doit vendre l’appartement de ses parents, les blessures de son enfance tournent à l’obsession…
L’adaptation d’un best-seller italien
Critique : A nouveau très actif durant la décennie 2010, le cinéaste Marco Bellocchio multiplie les projets alors qu’il est désormais un septuagénaire accompli. Il choisit de se pencher en 2015 sur l’adaptation d’un livre à très grand succès datant de 2012 et intitulé Fai bei sogni (Fais de beaux rêves, donc). Il s’agissait du deuxième roman autobiographique publié par le journaliste Massimo Gramellini, très connu en Italie pour avoir été l’une des plumes les plus appréciées du journal La Stampa durant plus de vingt ans. Lors de sa publication en 2012, le livre-confession a déjoué tous les pronostics en se classant numéro 1 des ventes des librairies italiennes pendant de nombreuses semaines et en s’écoulant à plus d’un million d’exemplaires, un chiffre faramineux pour le pays.
Pour Marco Bellocchio, Fais de beaux rêves est l’occasion rêvée d’ausculter un trauma d’enfance qui ne peut s’effacer tant que la vérité n’est pas découverte par le héros d’un récit éclaté chronologiquement. Situé à la fois dans les années 60, puis 70, mais aussi au cours des années 90, Fais de beaux rêves revient donc sur plus de trente ans d’histoire italienne, tout en ne perdant jamais de vue son intrigue intimiste. Le spectateur est donc invité à faire la connaissance du petit Massimo accompagné de sa mère adorée chez laquelle on sent poindre un mal-être dont on ne saisira jamais l’origine. Au bout d’une dizaine de minutes, la mère décède et laisse seul le petit Massimo qui n’acceptera jamais d’avoir été abandonné par celle qui représente tout à ses yeux d’enfant.
A nos chères disparues!
Face à son désarroi, le jeune garçon ne peut guère compter sur l’aide des religieux (on est en Italie) qui l’abreuvent de bondieuseries, tandis que son père semble totalement étranger à son sort (le comédien Guido Caprino, volontairement en retrait dans un rôle ingrat de père dépassé par les événements). Par la suite, le spectateur retrouvera à intervalles réguliers le petit garçon ou sa version adolescente, démontrant à chaque fois son incapacité à trouver des figures féminines de compensation – on aime beaucoup le court rôle tenu par Emmanuelle Devos.
Lorsque l’adulte prend la relève, le spectateur doit un temps s’adapter au jeu très introspectif de Valerio Mastandrea. Pourtant, le comédien se révèle à l’aise dans cet emploi d’un homme incapable de sortir de son enfer personnel, marqué à jamais par cette disparition qu’il ne s’explique pas. Alors que sa carrière de journaliste décolle, l’homme ne peut s’engager dans une vie amoureuse épanouissante car il demeure meurtri et blessé à jamais. Finalement, tardivement, une révélation viendra lui donner une clé de compréhension de cette disparition. Certes, Marco Bellocchio a dissimulé au cœur de son film des indices qui nous permettent d’entrevoir ce qui s’est réellement passé, mais la révélation n’en demeure pas moins frappante.
Une oeuvre impressionniste, pleine de nuances
En fait, comme toujours chez Marco Bellocchio, l’intrigue se dévoile petit à petit, par touches impressionnistes. Cela n’empêche aucunement le spectateur de prendre beaucoup de plaisir au visionnage puisque le réalisateur sait manier l’humour, la tendresse et même la sentimentalité avec beaucoup de nuances. Accompagné d’une musique typiquement italienne signée Carlo Crivelli, Fais de beaux rêves ne cherche jamais à entrer dans nos têtes par effraction. Le film préfère s’insinuer progressivement jusqu’à nous bouleverser profondément lors d’une scène finale métaphorique de toute beauté qui revisite avec délice les jeux enfantins pour leur octroyer une dimension tragique. C’est faussement simple, et surtout très beau.
Porté par des acteurs de qualité, malgré l’emploi de comédiennes françaises pour cause de coproduction, Fais de beaux rêves est donc un nouveau coup de cœur au sein de la filmographie si impressionnante d’un grand maître du cinéma italien à l’ancienne. Le long métrage a connu un certain succès lors de sa sortie italienne, lui permettant d’être diffusé en France à partir du mercredi 28 décembre 2016. Son distributeur Ad Vitam l’a programmé dans 16 sites parisiens et un total de 88 salles sur toute la France. La même semaine, les spectateurs pouvaient découvrir un animé japonais (Your Name), un film de SF raté (Passengers), un biopic typiquement ricain (Le fondateur) et l’inévitable comédie française insipide (Père fils thérapie !). Rien de bien engageant !
Box-office de Fais de Beaux rêves
En une semaine, le drame intimiste a fédéré 42 042 amateurs d’art et essai exigeant, ce qui était plutôt encourageant pour une œuvre d’un réalisateur quelque peu oublié depuis le succès de Vincere en 2009. En deuxième semaine, Fais de beaux rêves perd moins de 50 % de ses entrées et trouve encore 26 363 retardataires, alors même que les fêtes de fin d’année sont terminées. Mieux, fin janvier, le film parvient à franchir la barre symbolique des 100 000 spectateurs et finira tranquillement sa carrière au mois de mars avec 107 101 entrées, preuve d’un bouche à oreille plutôt favorable. Ce beau parcours sera confirmé par l’œuvre suivante de Bellocchio, l’excellent Le traître (2019) qui, lui, ira jusqu’à attirer 355 916 spectateurs durant la période compliquée de la Covid.
En Italie, Fais de beaux rêves a reçu un total de neuf nominations aux David di Donatello sans décrocher un seul prix. Même son de cloche du côté du Festival de Cannes où le long a été présenté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Cette absence de récompenses ne doit pas pour autant éconduire les spectateurs qui découvriront une nouvelle œuvre majeure d’un réalisateur décidément brillant.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 28 décembre 2016
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Biographies +
Marco Bellocchio, Bérénice Bejo, Emmanuelle Devos, Roberto Herlitzka, Fausto Russo Alesi, Barbara Ronchi, Valerio Mastandrea, Guido Caprino
Mots clés
Cinéma franco-italien, Les relations mère-fils au cinéma, Le journalisme au cinéma, Reconstitution des années 70, Festival de Cannes 2016