Moins incisif et corrosif que le premier volet, El Pico 2 est un film quinqui de fin de cycle qui atteste de l’usure d’un genre trop exploité. On apprécie encore son constat d’une société espagnole gangrenée par la corruption, mais le feu sacré semble épuisé.
Synopsis : Paco, fils d’un commandant de la Garde civile, est impliqué dans le meurtre d’un couple de trafiquants d’héroïne à Bilbao. Lorsque la presse commence à s’intéresser à l’affaire, les efforts de son père pour l’éloigner de la drogue et cacher les preuves du crime se révèlent inutiles.
La suite directe d’un énorme succès du cinéma espagnol
Critique : Plébiscité par le public espagnol, El Pico est en 1983 le plus gros succès d’Eloy de la Iglesia et également du cinéma quinqui qui s’intéresse depuis la fin des années 70 aux marginaux et autres délinquants des banlieues ibériques. Face à un tel raz-de-marée – non relayé par les critiques qui n’y voient qu’un film sensationnaliste – le producteur J.A. Pérez Giner demande immédiatement à Eloy de la Iglesia de mettre en chantier une suite qui surferait sur le phénomène. Ainsi, le réalisateur est prié de raconter la destinée de Paco – toujours interprété par son acteur-fétiche José Luis Manzano – qui va cette fois-ci se retrouver en prison. Pour cela, le cinéaste obtient de tourner au cœur de la prison de Carabanchel, célèbre maison de détention franquiste située à Madrid. Ainsi, El Pico 2 (1984) est le tout premier film à poser ses caméras au sein de cet établissement à la réputation sulfureuse.
Visiblement écrit très rapidement afin de ne pas laisser le temps au phénomène El Pico de retomber, El Pico 2 entend s’attaquer cette fois-ci à la corruption généralisée dans l’Espagne de la Transition démocratique. Ainsi, la première heure envoie Paco en prison pour le meurtre de son ancien fournisseur de drogue. Cette partie était l’occasion pour Eloy de la Iglesia de dénoncer les conditions de détention au sein des prisons espagnoles et de livrer un classique film de geôle, avec ses traditionnels viols homosexuels et ses trafics de drogue organisés.
El Pico 2 est moins délibérément provocant
Alors que l’univers carcéral avait tout pour inspirer Eloy de la Iglesia, le cinéphile habitué à ses excès le trouvera ici bien assagi. Sans doute limité par le succès public du précédent volet, de la Iglesia semble avoir mis de l’eau dans son vin avec El Pico 2 (1984) qui met la pédale douce sur les provocations.
Certes, son univers carcéral est implacable comme il se doit, mais on ne trouve guère dans cette partie de scène choc qui resterait en mémoire. On peut en tout cas signaler la présence magnétique de José Luis Fernández ‘Pirri’ dans le rôle de l’ami de Paco. Sa prestation compense la faiblesse du jeu de José Luis Manzano qui semble davantage diminué par son usage intensif des drogues sur le plateau. Son regard est souvent absent, voire franchement éteint lors de moments pourtant importants. Lui qui fut une révélation lors des films précédents du cinéaste se révèle donc moins à l’aise ici.
El Pico 2 dézingue les institutions espagnoles corrompues
Face à lui, on est en droit d’apprécier le jeu complexe de Fernando Guillén dans le rôle du père issu de la Guardia Civil. Il remplace ici José Manuel Cervino qui ne semble pas avoir été disponible pour reprendre un rôle pourtant central. Comme dans El Pico, la relation entre le père et le fils est également au cœur de cette suite. Malheureusement, les développements psychologiques ne sont pas nécessairement crédibles et l’on ne comprend pas toujours les allers et venues du gamin face à un père qui fait tout pour protéger sa progéniture.
En fait, si El Pico 2 est moins provocant sur le plan sexuel, il ne prend pas de gants avec des institutions qui sont uniformément décrites comme corrompues. Non seulement la Guardia Civil en prend pour son grade, mais la justice espagnole apparaît également comme totalement corrompue, tandis que la presse est fustigée comme une machine à créer des scandales. Dans El Pico 2 (1984), Eloy de la Iglesia déverse donc sa bile sur l’ensemble de la société ibérique issue de la dictature.
Une suite qui n’a pas connu le même succès que son prédécesseur
Malheureusement, il livre ses impressions dans une œuvre moins bien construite, souvent trop longue et qui hésite entre plusieurs chemins à emprunter. El Pico 2 pâtit aussi du manque d’implication du jeune acteur José Luis Manzano. En fait, il semble que la drogue qui circulait massivement sur le plateau du film a finit par avoir raison de l’équipe. On notera d’ailleurs que la jeune actrice Andrea Albani (ici créditée Lali Espinet) est également tombée dans l’addiction au cours de ces tournages. Elle mourut à 33 ans en 1994 des suites du sida contracté par l’usage intensif de drogue.
Plombé par une réalisation moins inspirée, une musique toujours aussi faible et des interprètes moins impliqués, El Pico 2 parvient toutefois à tirer son épingle du jeu grâce à un final tragique particulièrement bien trouvé et une structure circulaire intéressante. Dans tous les cas, ce nouveau volet est nettement inférieur au précédent, ce qui s’est retrouvé en termes d’entrées puisque le public espagnol en a fait le cinquième plus gros succès de l’année 1984, loin derrière la première place de l’épisode précédent.
En France, El Pico 2 n’a pas eu droit à une sortie en VHS contrairement au premier. Il a fallu attendre sa projection lors de l’Etrange Festival en 2003 pour le découvrir sur grand écran. Depuis, l’éditeur Artus l’a inclus dans son superbe coffret consacré au cinéma quinqui d’Eloy de la Iglesia.
Critique de Virgile Dumez
Acheter le coffret Cinéma Quinqui sur le site de l’éditeur
Biographies +
Eloy de la Iglesia, José Luis Manzano, José Luis Fernández Eguia dit ‘El Pirri’, Fernando Guillén, Andrea Albani (Lali Espinet)
Mots clés
Cinéma quinqui, Les délinquants au cinéma, La drogue au cinéma, Films de prison