Sorte de chant du cygne du cinéma d’exploitation européen, Dr. Jekyll et Mr. Hyde est une œuvre inégale, alternant idées intéressantes et grotesques. Un modèle de mauvais goût à réserver aux bisseux.
Synopsis : Lorsque les expériences du docteur Henry Jekyll avec la cocaïne deviennent incontrôlables, il se transforme en l’affreux Jack Hyde. En tant que Hyde, il fouille les rues de Londres la nuit à la recherche de sa proie dans les bordels et les fumeries d’opium.
Un film de producteur avant tout
Critique : A la fin des années 80, le producteur britannique Harry Alan Towers incarne le vieux nabab à l’ancienne, désireux de monter un maximum de longs-métrages en une année, généralement dans un style populaire qui s’apparente même au pur cinéma d’exploitation. Il est notamment connu pour avoir financé un nombre considérable de films de Jesús Franco dans les années 60 et 70. Il souhaite livrer une adaptation modernisée du livre L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson publié en 1886 et déjà adapté une trentaine de fois au cinéma.
Très motivé par ce projet, Harry Alan Towers parvient à décrocher l’accord d’Anthony Perkins pour interpréter le double rôle, contre la promesse d’un joli chèque. Il faut dire que la star de Psychose (Hitchcock, 1960) est plutôt dans une mauvaise passe et que le téléphone ne sonne pas souvent. De plus, l’histoire de Jekyll et Hyde entre forcément en résonnance avec sa propre histoire, lui qui a passé l’intégralité de sa carrière à cacher son homosexualité au sein d’une Amérique puritaine et intolérante. En cette fin des années 80, l’acteur a même été contaminé par le virus du sida et s’évertue là encore à le dissimuler pour ne pas devenir un paria des plateaux de cinéma. Il en décèdera malheureusement en 1992 à l’âge de 60 ans.
Une stylisation maximale pour compenser un script rachitique
Afin de mettre en boite cette nouvelle version davantage centrée sur le sang, la drogue et le sexe, Towers pense immédiatement au réalisateur français Gérard Kikoïne avec qui il a déjà tourné le film érotique Lady Libertine (avec Sophie Favier), mais aussi deux films d’aventures intitulés Dragonard (1987) et Le maître de Dragonard Hill (1987), tous deux avec Oliver Reed. Convaincu du talent de celui qui fut autrefois le monteur de Jesús Franco, puis un cinéaste très actif dans le cinéma X, Harry Alan Towers lui offre donc un script à retravailler et une opportunité en or : collaborer avec une grande star hollywoodienne.
Bien conscient d’avoir affaire à un scénario un peu faible – car trop répétitif dans sa volonté de multiplier les meurtres tel un simple slasher – Gérard Kikoïne a opté pour une stylisation maximale se référant aussi bien au cinéma expressionniste allemand pour ses cadrages biscornus et ses décors baroques, qu’aux maîtres du giallo à l’italienne (on pense aux éclairages bariolés propres à Mario Bava et Dario Argento). Malheureusement, ce délire formel demande un minimum de goût pour être pleinement abouti. Ici, Gérard Kikoïne doit composer avec un budget restreint d’environ 2 millions de dollars en tournant en Hongrie, dans les rues sombres de Budapest qui évoquent le quartier de Whitechapel où évolue Mr. Hyde.
Gérard Kikoïne plonge dans le kitsch et le baroque pompier
Il tourne volontairement les scènes diurnes dans un style académique que les teintes fades de l’image transforment malheureusement en téléfilm, et arrive à se surpasser dans les séquences nocturnes où il s’en donne à cœur joie avec des plans obliques, des focales courtes qui déforment l’image et surtout des éclairages violents qui ne sont d’ailleurs pas toujours très heureux sur le plan esthétique. L’ensemble s’avère d’un kitsch assez terrible, d’autant que la musique orchestrale de Frédéric Talgorn prend parfois des accents pompiers. Un terrible décalage s’instaure donc entre la volonté initiale de l’auteur et le résultat visible à l’écran.
Les scènes nocturnes sont par ailleurs tournées dans le style des années 80. Ainsi, les costumes et les coiffures sont typiques de cette décennie du 20ème siècle. Bien entendu ces anachronismes sont volontaires, mais tendent à rendre le film encore plus kitsch. L’introduction de la thématique de la drogue est plutôt bien fichue, mais les nombreuses scènes de sexe, parfois ridicules, rangent le métrage dans la case du cinéma d’exploitation.
Des acteurs en roue libre, sans personnages à défendre
Véritable œuvre anachronique, Dr. Jekyll et Mr. Hyde (1989) apparaît aujourd’hui comme le film de la fin d’une époque. Produit comme les bandes destinées aux cinémas de quartier des années 70, le thriller putassier aligne les séquences les plus improbables avec un mauvais goût constant. Pourtant, l’idée de mêler l’intrigue du roman de Stevenson avec le mystère entourant Jack l’éventreur est plutôt intéressante, mais pas nécessairement aboutie ici. Non seulement les obsessions sexuelles de Kikoïne plongent le film dans le bis le plus total, mais les interprètes ne sauvent pas vraiment les meubles.
Certes, Anthony Perkins occupe l’espace de manière avantageuse par sa gestuelle très étudiée, mais il redonne aussi toute sa signification au mot cabotinage. Déjà passablement excessive lorsqu’il incarne le docteur Jekyll, son interprétation est totalement en roue libre quand il devient Mister Hyde. Il parvient à incarner la figure maléfique sans prothèse faciale, uniquement à l’aide d’un maquillage plus marqué, mais cela ne fait pas pour autant de sa prestation un modèle à suivre. Il ferait passer ici les compositions outrancières de Jack Nicholson pour des exemples de sobriété.
Face à lui, les autres comédiens font pâle figure, notamment la pauvre Glynis Barber (qui venait tout juste de percer grâce à la série Mission casse-cou) qui semble perdue au sein d’une production qui la dépasse. Elle ne semble jamais à l’aise face à Anthony Perkins. Le reste du casting n’est guère meilleur et plombe un peu plus une œuvre déjà dépourvue de la moindre psychologie. Ce manque d’incarnation est pour beaucoup dans l’ennui qui se dégage progressivement d’une œuvre très formaliste, mais finalement sans grand intérêt. On en retiendra donc aujourd’hui surtout ses débordements bis et on le verra comme un témoignage de la fin d’une époque portée sur le cinéma d’exploitation.
Un échec commercial, de retour dans un beau médiabook
Présenté hors compétition au Festival d’Avoriaz en 1989, Dr. Jekyll et Mr. Hyde n’a guère recueilli les faveurs de la critique. Le métrage sort finalement en plein mois de juillet 1989, dans un marché sinistré par la crise du cinéma qui fait rage. Au cœur de cet été meurtrier pour l’exploitation, le film n’intéresse que 4 622 curieux à Paris et ces chiffres peinent à décoller en province avec seulement 9 739 petits voyeurs.
Sorti ensuite en VHS chez Polygram Vidéo, Dr. Jekyll et Mr. Hyde a été depuis largement oublié. Il a toutefois l’honneur de sortir dans un très beau médiabook chez Sidonis Calysta, dans une copie tout à fait correcte et assorti de suppléments passionnants dont un entretien de près de 25 minutes avec Gérard Kikoïne et une analyse intéressante d’Olivier Père. Même si le film est globalement faible, il doit toutefois être possédé par tous les amoureux du cinéma d’exploitation dont il constitue un chant du cygne.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Quand Dr Jekyll Mr Hyde (Edge of Sanity) sort en France, l’exploitation vient tout juste de connaître sur Paris une semaine historique, celle de son score le plus bas de l’histoire, puisque le numéro 1, L’amour est une grande aventure de Blake Edwards, alors en 5e semaine, réunissait seulement 25 816 entrées quand la deuxième place calait à 16 000 entrées.
Rien ne va plus. Les distributeurs meurent. Les salles aussi. La crise qui a démarré en 1985 est à son paroxysme. Il faut dire que l’été est meurtrier pour les cinémas parisiens durant les années 80.
Pour Dr Jekyll Mr Hyde (Edge of Sanity), l’avenir est sombre. Le film ne parle pas et la presse ne l’évoque pas. Mad Movies évoque à peine le métrage et dans des termes peu flatteurs. L’Ecran Fantastique lui accorde l’une de ses prestigieuses fiches.
Anthony Hopkins n’est plus une référence pour les spectateurs des années 80 qui n’ont pu le voir en salle que dans films, Pyschose 2 (1982) et sa suite (1985) et Les jours et les nuits de China Blue (1985). Au mieux apparaît-il dans des DTV, ce que Docteur Jekyll et Mister Hyde aurait dû être.
Lorsque le film de Gérard Kikoine apparaît, le 19 juillet 1989, une quinzaine de nouveautés sont de sorties : American Ninja 3 (16 salles), Burning Secret, d’Andrew Birkin, avec Faye Dunaway (7 salles), Buster avec Phil Collins (6 cinémas), Calendrier meurtrier avec Kevin Kline et Susan Sarandon (11 écrans), le polar Etat de choc d’Harold Becker, avec James Wood, Le Grand Défi avec Gene Hackman, Love Dream avec le couple Christopher Lambert Diane Lane, Zucker Baby de Percy Adlon… Seul le blockbuster Karaté Kid 3 dans 43 cinémas a une petite chance de remplir les salles, et encore, à moitié.
Son titre tel qu’il apparaît sur l’affiche originale, débarrassé de toute conjonction de coordination, sans ponctuation et avec le titre original apposé, n’évoque rien d’original. Landi pour le visuel semble avoir perdu toute inspiration. Son distributeur, Les Films Number One qui avait réussi à obtenir un succès avec L’union sacrée (rassemblant Richard Berry et Patrick Bruel), obtient son pire score annuel.
Le premier jour de 423 curieux est calamiteux, puisque le thriller gothique est exposé dans 12 cinémas, 5 à Paris intramuros, 7 en banlieue. Il réunit moins que Buster, que personne ne voit, alors distribué sur 2 fois moins de sites.
A Paris, seuls les George V, Fauvette, Forum Orient Express, Nouvelle Maxéville et Images lui accordent une place. Aucun des cinémas ne dépassent les 1 000 spectateurs à l’issue de la première semaine qui fait tomber 3 541 têtes.
Pour sa deuxième et ultime semaine sur Paris-Périphérie, Gérard Kikoïne, dont le distributeur a dissimulé le nom le plus possible, perd 9 écrans pour une ultime danse avec la mort aux George V, la Nouvelle Maxéville et le Forum Orient Express. Avec ses 1 081 spectateurs, Anthony Perkins acteur fait tristement ses adieux aux écrans français, en qualité d’acteur du moins.
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 19 juillet 1989
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Gérard Kikoïne, Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge