Tarantino, bricoleur de grosses séries B de génie, s’offre avec Django Unchained un western spaghetti à l’ancienne, dans l’Amérique sudiste et esclavagiste du milieu du 19e. Un grand moment de cinéma qui n’a pas peur de susciter l’indignation pour le plus grand plaisir des amateurs d’un cinéma qui a de la gueule.
Synopsis : Dans le sud des États-Unis, deux ans avant la guerre de Sécession, le Dr King Schultz, un chasseur de primes allemand, fait l’acquisition de Django, un esclave qui peut l’aider à traquer les frères Brittle, les meurtriers qu’il recherche. Schultz promet à Django de lui rendre sa liberté lorsqu’il aura capturé les Brittle – morts ou vifs. Alors que les deux hommes pistent les dangereux criminels, Django n’oublie pas que son seul but est de retrouver Broomhilda, sa femme, dont il fut séparé à cause du commerce des esclaves… Lorsque Django et Schultz arrivent dans l’immense plantation du puissant Calvin Candie, ils éveillent les soupçons de Stephen, un esclave qui sert Candie et a toute sa confiance. Le moindre de leurs mouvements est désormais épié par une dangereuse organisation de plus en plus proche… Si Django et Schultz veulent espérer s’enfuir avec Broomhilda, ils vont devoir choisir entre l’indépendance et la solidarité, entre le sacrifice et la survie…
Django Unchained, plus qu’un néo western spaghetti
Critique : Brillant. C’est immédiatement ce qui vient à l’esprit quand on découvre Django Unchained, le huitième long de Quentin Tarantino qui flirte bon avec le miracle cinématographique. Cet hommage ou avatar tardif de plusieurs genres d’exploitation des années 70, pas des plus fins, mais souvent des plus jubilatoires pour les spectateurs bisseux et amateurs de productions underground, fait mouche à tous les coups.
Django ne gaspille pas une balle perdue dans cette tuerie cinématographique où western spaghetti, blaxploitation, érotisme seventies et hordes sauvages se mélangent au cœur d’une comédie parodique à feu et à sang, où l’on sourit de choses ignobles (traite des noirs, viol, massacre d’innocents, propos ethnocentriques des blancs du Mississipi de l’avant-Guerre de Sécession…), mais sans que cela ne heurte trop la conscience, car dans un esprit finalement de dérision très français impliquant que l’on peut rire de tout, y compris durant les époques lisses de dystopie fade qui est la nôtre.
Une oeuvre anachronique au cœur d’une décennie lisse
Tarantino s’acharne ainsi à aligner les choses abjectes, mais plus personne ne fronce les sourcils, car l’étiquette du “culturellement correct” colle invariablement aux basques de M. Pulp Fiction depuis qu’il a été adoubé par Thierry Frémaux et Gilles Jacob, grands gourous du festival de Cannes. Au milieu des réalisateurs dits cannois, la révélation de Reservoir Dogs est pourtant un OVNI, un geek qui devrait incarner tout ce que méprise le plus l’intelligentsia du festival, qui n’a jamais vu un seul des vilains canards auxquels l’auteur culte rend inlassablement hommage (le bis rital fait d’ersatz aux intentions d’exploitation pure, par exemple !). Et pourtant, non, tout le monde aime Tarantino, y compris le plus “prout prout” des critiques et le plus raide des lecteurs de Télérama. Du moins à la sortie de Django Unchained. Les choses ont un peu évolué chez les Anglophones à la sortie de Once upon a time in Hollywood, en période post-Weinstein qui produisait tous les films de son disciple.
Dans Django unchained, comme toujours chez Tarantino, les sources d’inspiration sont nombreuses, la première étant le classique Django de Corbucci. Ce western spaghetti avec Franco Nero baptise ainsi le héros du blockbuster américain contemporain, dont on évitera de prononcer le “D”, comme Jamie Foxx qui l’incarne, le souligne auprès de Franco Nero, justement, qui fait un caméo amusant en milieu d’histoire. Du classique originel, on retrouve, notamment dans la première séquence, nocturne et sylvestre, où Django l’opprimé, déambule les fers aux pieds avec d’autres esclaves en mauvais état, tel un macchabée issu d’un film de zombies, l’atmosphère quasi fantastique de ce titre héroïque des années 60. Un western atmosphérique donc, oui, mais qui ne se contente pas de cela.
La blaxploitation, une forme de racisme?
Django Unchained devient au bout de 10 minutes un buddy movie inattendu entre un esclave affranchi et son mentor d’origine allemande (le jubilatoire Christoph Waltz), chasseur de primes aux idées issues des Lumières, qui va lui enseigner la liberté et lui proposer un plan radical pour parvenir à la libération de son épouse toujours asservie dans une plantation du Mississipi. Le ton humoristique, au milieu de toutes les figures haineuses du milieu du XIXe siècle des états du Sud, va très vite se nicher dans la comédie raciste inhérente aux productions hollywoodiennes, à fouet et à tyran, ancrées dans les grandes plantations sudistes, des années 70. On pense notamment au très notoire Mandingo de Richard Fleischer que Dino de Laurentiis avait osé produire, en pleine déferlante de la blaxploitation, qui mettait l’accent sur la rhétorique de haines des Blancs à l’égard des Noirs sur le mode comique.
Dans ces fleurons d’un total mauvais goût, il était question de Blancs qui aimaient réduire à l’état d’animal « la bête noire », bonne à fertiliser les négresses et à labourer les champs. Une rhétorique osée à l’époque, inimaginable aujourd’hui, sur laquelle même Tarantino n’insiste pas trop, malgré une complaisance dans la violence envers les Noirs sur laquelle le cinéaste insiste volontiers, comme pour légitimer le carnage final orchestré par Django, lors d’une tuerie gore, héroïque et exutoire. Les crevards trépasseront tous et la Catharsis sera radicale. Cela n’empêchera pas Spike Lee de taxer le cinéaste de raciste.
Le 7e film de Tarantino s’amuse à jouer sur la maltraitance des Noirs. D’abord en donnant la parole aux esclavagistes à la philosophie révisionniste : notamment le personnage peu ragoutant de Don Johnson, mais surtout celui de Leonardo DiCaprio. La star de Titanic est ici une ordure raffinée à travers laquelle le comédien montre encore une fois toute l’étendue de son talent. Il joue avec son image positive, en interprétant un vrai bad guy que l’on aime mépriser et haïr : il lâche une meute de chiens enragés sur un esclave en fuite qui va être déchiqueté à l’écran, et s’évertue à prouver de façon scientifique que le cerveau noir est inférieur à celui de ses compatriotes. Il se repaît de luttes privées entre Mandingos, des hommes noirs élevés pour le combat jusqu’à ce que mort s’en suive. L’acteur exulte. Il a l’air de vraiment s’amuser. Connaissant la générosité humaine du bonhomme, on ne le taxera pas de racisme.
Ensuite, il y a aussi l’ultime aliénation, la complicité immonde de certains Noirs plus blancs que blancs dans leur tête, en l’occurrence le personnage de Samuel L. Jackson, méconnaissable en domestique ; il joue un être servile prêt à sacrifier son prochain de couleur, pour servir le maître blanc… Une figure pleine de haine, à proprement parler maléfique, qui va connaître un sort funeste à la hauteur du rejet qu’il inspire chez le spectateur.
Une réussite totale
Ce mélange des genres a également la hargne d’un cinéma musclé propre à Sam Peckinpah, à qui l’on pense également beaucoup dans les détonations constantes d’armes à feu. Cet ensemble peut paraître, dans les lignes, grotesque, voire malsain, pour un grand public peu préparé à pareilles audaces, en particulier quand l’Amérique essaie de faire basculer la législation sur les armes. Pourtant, Tarantino, cinéphage habile, qui a tout vu, et dont les idées ne portent jamais à confusion, a le génie de transformer toutes ces immondices en des moments de cinéma exquis. Il soigne ses plans d’images confondantes de beauté, transcendant les petites productions de cinéma de quartier d’antan (il s’amuse encore à embellir certains plans d’effets “grindhouse” et, curieusement, on marche encore).
Evidemment, comme toujours chez Tarantino, la bande-son est tonitruante, bouffant avidement à tous les râteliers du 7e art, insérant même du rap contemporain qui s’acoquine bien avec la musique ritale des années 70.
Dans ce feu d’artifices où tout relève d’un labeur de première qualité, les acteurs s’amusent à incarner des monuments d’émotion, entre la vengeance bouillonnante de Jamie Foxx, le cabotinage mondain de Christoph Waltz, passé maître dans les joutes verbales, le racisme haineux de DiCaprio, mais mâtiné de bonnes manières, qui ridiculise les suprématistes blancs qui, depuis, ont quand même un peu pris le pouvoir aux USA.
Tout porte à la jubilation, malgré quelques défauts apparents : une durée excessive (le réalisateur relate vraiment tout ce qu’il a envie de raconter, sans autocensure, mais 2h44, c’est sûrement trop long), un équilibre narratif un peu artificiel et surtout quelques maladresses chez certains acteurs. On notera l’apparition pataude de Tarantino qui est bien peu convaincant en comédien, et la médiocrité de jeu de la femme de Django interprétée par Kerry Washington ; elle est tout simplement nulle. On se souviendra du plan Z où elle se bouche les oreilles lors d’un final qui aurait pu être détonant… sans elle !
Allons, ne chipotons pas, Django Unchained, c’est de la dynamite dans un monde hollywoodien engoncé dans le politiquement correct, et de loin l’un des meilleurs Tarantino.
Les sorties de la semaine du 16 janvier 2013
Critique : Frédéric Mignard