Chasse à la mafia (Vous souvenez-vous de Paco ?) : critique et test blu-ray (1964)

Policier, Film noir | 1h44min
Note de la rédaction :
7/10
7
Chasse à la mafia, l'affiche

  • Réalisateur : Jesús Franco
  • Acteurs : Jean Servais, Fernando Fernán Gómez, Antonio Prieto, Robert Manuel, Maria Vincent
  • Date de sortie: 22 Avr 1964
  • Nationalité : Espagnol, Français
  • Titre original : Rififí en la ciudad
  • Titres alternatifs : Vous souvenez-vous de Paco ? (titre dans le sud de la France et au Canada) / La spia sulla città (Italie) / Rififi in the City (USA)
  • Année de production : 1963
  • Autres acteurs : Laura Granados, Dina Loy, Greta Marcos, Agustin Gonzalez, Manuel Gas, Angel Menedez, Luis Marín, Antonio Gimenez Escribano
  • Scénaristes : Jesús Franco, Gonzalo Sebastian de Erice et Juan Cobos, d'après le roman Vous souvenez-vous de Paco ? de Charles Exbrayat
  • Directeur de la photographie : Godofredo Pacheco
  • Compositeur : Daniel White
  • Monteur : Ángel Serrano
  • Producteur : José López Brea
  • Sociétés de production : C.C. Albatros et Hileras
  • Distributeur : C.I.I. (sud de la France, sous le titre : Vous souvenez-vous de Paco ?) ; Compagnie Parisienne de Film (Région parisienne, sous le titre Chasse à la mafia)
  • Éditeur vidéo : Artus Films (DVD / blu-ray, 2023)
  • Date de sortie vidéo : 7 mars 2023
  • Box-office France / Paris-périphérie : -
  • Box-office nord-américain / monde : -
  • Budget : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.66 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique Benjamin Mazure pour Artus Films © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : Licensed by Mercury. © Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Entre film noir et proto-giallo, Chasse à la mafia est sans aucun doute le plus wellesien des longs-métrages de Jesús Franco. Il bénéficie d’un scénario charpenté, d’un sous-texte politique enthousiasmant et d’une esthétique très travaillée. Une réussite.

Synopsis : Alors qu’il s’apprêtait à donner des renseignements à l’inspecteur Ruiz à propos du politicien véreux Leprince, le barman Paco est assassiné à coups de couteau. L’inspecteur mène l’enquête alors que, petit à petit, les participants au meurtre tombent les uns après les autres…

Chasse à la mafia, un bel hommage au film noir

Critique : Lorsqu’il aborde la préparation de Chasse à la mafia (1963), le réalisateur espagnol Jesús Franco vient tout juste de connaître une certaine notoriété en tournant le film d’horreur gothique L’horrible docteur Orlof (1962) dans un noir et blanc crépusculaire. Pourtant, le cinéaste aime également le cinéma classique des années 30-40 et notamment le genre du film noir. Avec ce nouveau projet, il choisit donc d’adapter le roman français de Charles Exbrayat intitulé Vous souvenez-vous de Paco ? paru dans la collection du Masque en 1958.

Disposant pour une fois d’un matériau de départ solide, Jesús Franco peut se reposer sur une trame millimétrée et qui lui laisse peu le loisir d’improviser, même s’il ajoute quelques scènes de cabaret de son cru qui ralentissent quelque peu l’action. En fait, Chasse à la mafia est surtout un hommage très volontaire au film Du rififi chez les hommes (Dassin, 1955) dont il reprend à la fois le titre en VO (Rififi en la ciudad) et deux des acteurs principaux : Jean Servais et Robert Manuel.

Un proto-giallo au sous-texte très politique

L’intrigue mêle plusieurs sous-genres du film policier avec un certain brio. Si l’ensemble peut apparaître de prime abord comme un pur film noir, l’ajout d’une vengeance menée par un personnage mystérieux qui utilise un cran d’arrêt pour occire ceux qui ont éliminé le Paco du titre peut être vu comme un proto-giallo, à l’instar des premiers polars de Mario Bava. Certes, l’ambiance n’est aucunement celle d’un giallo, mais plusieurs éléments s’en rapprochent déjà. A cela, il convient d’ajouter une dimension politique non négligeable lorsque l’on sait que le métrage a été tourné intégralement en Andalousie, à une époque où le franquisme régnait en maître absolu.

Chasse à la mafia, détails de la jaquette Artus

© 1963 Licensed by Mercury. All Rights Reserved. / Jaquette : Benjamin Mazure pour Artus Films. Tous droits réservés.

Effectivement, le personnage odieux incarné par l’excellent Jean Servais est décrit comme un populiste d’extrême droite qui n’hésite pas à manipuler les masses pour se faire élire. Celui-ci est d’origine française, ayant migré dans un pays imaginaire d’Amérique latine en 1944. Autant dire qu’il s’agit donc d’une figure d’ancien collaborateur qui a fui le vieux continent pour se refaire une santé dans des pays où la démocratie est encore fragile. On notera que ce commentaire politique est parfaitement volontaire de la part d’un Jesús Franco dont l’anarchisme n’est ignoré de personne. C’est d’ailleurs cette dimension qui a certainement attiré l’acteur comique Fernando Fernán Gómez, alors une star en Espagne, car celui-ci ne cachait guère son appartenance à l’aile gauche ibérique.

Une esthétique proche du cinéma d’Orson Welles

Marqué par un discours politique offensif, Chasse à la mafia n’en oublie pas pour autant de divertir le public en offrant plusieurs scènes d’action, de suspense et de meurtres. Mais ce qui marque surtout le spectateur contemporain vient de la rigueur de la réalisation de Franco, souvent décrit comme un incompétent à cause de sa tendance à tourner plus vite que son ombre. Pourtant, le technicien qu’il était dépassait de beaucoup bon nombre de ses compatriotes, comme le prouve ce film noir très soigné. Il profite notamment d’une très belle photographie en noir et blanc de Godofredo Pacheco et de cadrages savants qui jouent sur le grand angle, les plongées et contre-plongées. En fait, Jesús Franco imite le style de son maître à filmer, un certain Orson Welles (dont il fut l’assistant sur son Falstaff (1965), peu de temps après).

Toujours passionné de jazz et de musique exotique, Jesús Franco a encore fait appel à Daniel White pour mettre en musique Chasse à la mafia. Le musicien livre une partition qui n’est sans doute pas le point fort du métrage, mais qui s’accorde plutôt bien aux images et à l’ambiance du film. Enfin, le cinéaste dispose d’acteurs chevronnés qui incarnent leurs personnages avec gourmandise et abattage. Jean Servais est toujours impeccable en ordure implacable, tandis que Fernando Fernán Gómez interprète un policier aux méthodes brutales plutôt crédible malgré son allure gracile. Enfin, Antonio Prieto – qui jouera l’année suivante dans Pour une poignée de dollars de Sergio Leone – et Robert Manuel complètent ce casting de « gueules » avec brio.

Chasse à la mafia ou Vous souvenez-vous de Paco ? en fonction des régions

Sorti en Espagne sans succès car le grand public ne s’attendait pas à voir leur comique préféré, Fernando Fernán Gómez donc, dans un contre-emploi total, Chasse à la mafia a eu un destin compliqué en France, comme l’indique justement Alain Petit dans sa somme publiée chez Artus (Jess Franco ou les prospérités du bis, 2015, p 473-474) :

Vous souvenez-vous de Paco ? passa en effet de mains en mains, de faillites en décisions de justice, avant d’être donné en distribution à la société C.I.I. par un jugement daté du 29 mai 1964. Après avoir été exploité dans le sud de la France sous le titre Vous souvenez-vous de Paco ? il fut ensuite tardivement diffusé dans la région parisienne par la Compagnie Parisienne du Film sous le titre Chasse à la mafia.

Ce film resté dans l’ombre durant plusieurs décennies est désormais disponible dans un beau combo DVD / Blu-ray, toujours chez Artus Films. Pour les amateurs du réalisateur, il s’agit assurément d’une bonne pioche et de l’un de ses meilleurs films.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 22 avril 1964

Acheter le film en combo DVD / Blu-ray sur le site de l’éditeur

Chasse à la mafia, l'affiche

© 1963 Licensed by Mercury. All Rights Reserved.

Biographies +

Jesús Franco, Jean Servais, Fernando Fernán Gómez, Antonio Prieto, Robert Manuel, Maria Vincent

Mots clés

Film noir, La drogue au cinéma, La politique au cinéma, Les truands au cinéma

Le test du blu-ray

Film très rare et jamais édité sur support physique en France, Chasse à la mafia vaut vraiment le détour et constitue donc une pierre angulaire dans l’œuvre de Jess Franco.

Compléments & packaging : 3 / 5

Artus Films continue sa collection Jess Franco en conservant la même esthétique faite d’un fourreau et d’un digipack qui s’ouvre en deux volets pour dévoiler le DVD et le blu-ray, le tout agrémenté de l’affiche française et de l’affiche italienne du film. C’est simple, mais beau.

Sur la galette, on trouve notamment une intervention d’une vingtaine de minutes du spécialiste de Jesús Franco Stéphane du Mesnildot qui revient sur la genèse du film et qui le situe surtout dans la longue carrière de Franco. Il montre aussi en quoi le film est un prototype pour le créateur aux 200 films. Ensuite, l’éditeur propose une dizaine de minutes supplémentaires de scènes coupées ou plus généralement écourtées. Enfin, on peut admirer le générique français avec son titre alternatif, puis un diaporama d’affiches et de photos.

L’image du blu-ray : 4 / 5

Si la perfection n’est pas encore de mise, le master utilisé est tout de même très propre et il permet surtout de bénéficier d’un superbe noir et blanc qui rend vraiment hommage au travail du directeur de la photographie. Pour une œuvre aussi rare, il s’agit d’une véritable résurrection.

Le son du blu-ray : 3,5 / 10

L’éditeur a réussi à retrouver la piste son française qui est parfois abîmée, mais qui offre la possibilité d’entendre la véritable voix de Jean Servais, absolument indispensable pour tous les amateurs de ce comédien d’exception. La piste espagnole est moins perfectible, mais elle souffre du doublage espagnol des acteurs français. A vous de choisir !

Test du blu-ray : Virgile Dumez

Chasse à la mafia, jaquette Artus

© 1963 Licensed by Mercury. All Rights Reserved. / Jaquette : Benjamin Mazure pour Artus Films. Tous droits réservés.

x