Candyman 2021 déploie une mise en scène creuse et prétentieuse qui dessert le sentiment d’épouvante, utilisant la cause #BlackLivesMatter pour offrir substance à des personnages lisses dont on se désintéresse.
Synopsis : Candyman serait un homme effrayant qui apparait lorsqu’on prononce cinq fois son nom en face d’un miroir. Est-il une légende urbaine ou existe t-il vraiment ?
Retour des légendes urbaines
Critique : Avec Simetierre, Candyman de Bernard Rose est l’un des rares films d’épouvante d’envergure des années 90, décennie triste pour le cinéma de ce genre après l’euphorie créative des décennies précédentes. Avec une réalisation ample et la musique symphonique de Philip Glass, Candyman imposait une figure étoffée du croquemitaine post-Freddy et Jason, à caractère social. Cette substance faisait sa différence sans jamais trahir le cachet horrifique de cette série B maline qui adaptait une nouvelle du romancier et réalisateur Clive Barker (Hellraiser, Cabal). Les deux suites insipides tuèrent le mythe urbain. On préfère les oublier, car même si nous apprécions peu l’opus de 2021, il n’atteint jamais la médiocrité de ces deux produits dignes de DTV.
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Quand l’horreur convoque les combats de #BlackLivesMatter
En 2019, la cause des Afro-américains se fait entendre plus que jamais aux États-Unis, avec des manifestations autour des revendications #BlackLivesMatter, notamment contre les violences policières, un racisme prégnant dans les institutions jusqu’à l’exécutif américain. Jordan Peele, réalisateur des malins Get out et Us, reprend la franchise en main, produisant une relecture qu’il a coécrite. Destiné à devenir l’un des gros succès de l’été 2020, Candyman voit toutefois sa sortie différée à plusieurs reprises, avant finalement d’être proposée dans les cinémas mondiaux en septembre 2021, ce qui a un peu tué la hype dans l’œuf. On notera que le film, clairvoyant, a été tourné avant le meurtre de George Floyd par un policier raciste, puisque celui-ci, qui enflamma l’Amérique, eut lieu en mai 2020.
Yahya Abdul-Mateen II as Anthony McCoy in Candyman, directed by Nia DaCosta. © Universal Studios
Une suite et non un remake
Candyman moins un reboot, pas du tout un remake, mais véritable suite, s’approprie à juste titre le récit d’Helen Lyle (Virginia Madsen) comme un nouveau mythe urbain, vingt-neuf ans plus tard, qui va susciter la curiosité du personnage principal joué par la star montante Yahya Abdul-Mateen II. La filiation narrative a tout son sens et donne lieu à quelques rebondissements et un caméo de l’ancien Candyman, l’acteur Tony Todd, bien amenés.
Candyman 2021 en forme d’hommage au classique de l’épouvante, a également pour ambition de reprendre son architecture aux sens propre et figuré, à savoir la fascination pour les grands ensembles urbains filmés de façon imposante, en jouant sur la verticalité et ses reflets. Le générique d’ouverture de cette relecture contemporaine est ainsi sublime de beauté, en réactualisant en numérique ce que Rose avait fait. Le reste de l’approche nous embarrasse en revanche.
Une direction d’acteurs et des personnages peu probants
A la réalisation, l’on retrouve Nia DaCosta que les Américains connaissent pour une série B avec Tessa Thompson et Lily James, Little Woods. Elle a depuis été appelée à rejoindre l’écurie Marvel, à l’instar de Chloé Zhao ou Cate Shortland. Et c’est là où le bât blesse. Loin de la dimension européenne (Bernard Rose était comme Barker un Britannique, issu du cinéma indépendant), qui étoffait le script et les personnages de la nouvelle, Candyman 2021 confronte le spectateur à une approche lisse des personnages embaumés dans des portraits superficiels (le beau-frère gay et son copain paraissent issus d’une sitcom, les traumas de la petite amie auraient mérité une approche plus centrée sur son personnage qui reste trop périphérique).
Rodney L. Jones III as Billy in Candyman, directed by Nia DaCosta. © Universal Studios
Véritable figures woke, avec des explicitations de points de vue sur les questions sociales lors d’un repas arrosé qui ne donnent guère d’ambiguïté quant au sens du film, les personnages permettent aux scénaristes d’utiliser l’icône Candyman pour asséner des idées intéressantes mais qui desservent les propos dans ses vraies ambitions, à savoir donner de la matière au-delà du simplisme.
L’architecture clinquante des bonnes intentions
Candyman 2021 a l’ossature des films riches, beaux, engagés, mais n’a pas trouvé l’équilibre entre son approche esthétique et ses personnages creux qui mettent à mal la réalité psychologique désirée. A cela, il faut ajouter la fadeur de l’acteur principal, que l’on avait trouvé si bon dans The Get Down. Tous muscles dehors, sa plongée dans l’enfer d’épiphanies et de révélations douloureuses lors de son investigation sur le quartier ghetto de Cabrini Green, à Chicago, ne se fait pas viscères au ventre. Nia DaCosta le dirige comme une figure masculine à la virilité métrosexuelle, aseptisée, sans une once d’ambiguïté si ce n’est son rapport opportuniste à la célébrité.
Quand, en 1992, le personnage de Virginia Madsen nous faisait sombrer dans la folie et la paranoïa, le sequel se mue en une instrumentalisation clinquante de l’actualité américaine. Il brasse les sujets du moment qui font l’actualité : violences policières, ghettoïsation, gentrification. Les thèmes sont passionnants, mais traités facilement, sans sonder toutes les horreurs de la vérité sociale. Les scènes de violence policière relèvent du cliché quand les conditions de vie sordides des habitants du premier Candyman nous filaient le bourdon. Le film de Bernard Rose était pesant, ancré dans une réalité urbaine des grands projets sociaux qui nous parlaient également, à nous Européens.
Contrairement au récent Queen & Slim, qui donnait corps, chair et talent à son duo iconique (les deux films sont sortis chez Universal, d’où le choix de la comparaison), les personnages de Candyman tombent dans la vacuité de bobos sans charisme, dans une dimension mode et artistique qui crée une distance. Peintres, directeur de galerie d’art, critique : ce milieu nous est brossé de façon tant rédhibitoire qu’on n’entre jamais dans l’enfer labyrinthique du personnage que joue Yahya Abdul-Mateen II. Ce nouveau numéro de Candyman essaie de relancer la fabrication perpétuelle du mythe urbain, en élaborant l’idée de ruche de victimes vengeresses pour filer la métaphore de l’abeille, née dans l’esprit de Clive Barker.
Entre métaphores et symboles, Candyman 2021 hésite
Mais l’aspect métaphorique échoue à donner une relecture satisfaisante. Le scénario confond symboles, figures et métaphores. En 1992, Candyman était une formidable œuvre métaphorique qui donnait sens et humanité à la monstruosité urbaine et historique. Jusque dans sa musique cyclique ressassant les horreurs perpétuées sur un peuple dans la répétition, la relecture agite les symboles comme seule arme pour brouiller les pistes.
(foreground, left) Brianna Cartwright (Teyonah Parris) in Candyman, directed by Nia DaCosta.
Les techniciens ont fait un beau travail, la caméra est belle, la photographie se regarde le nombril. Mais avec pareil tare dans l’interprétation – la dégradation et la mue progressives du personnage central, que l’on pourrait qualifier de cronenbergienne, ne suscite aucune empathie ou autres sentiments -, la splendeur devient prétention, vacuité, oubliant l’essentiel, à savoir pourvoir le film d’une âme.
Au final, Candyman 2021, qui profite de critiques élogieuses au Royaume-Uni et aux USA, est un film qui ressemble à son époque de combats génériques sur les réseaux sociaux, à grand renfort de hashtags. Le sequel n’est pas mauvais et se positionne même plus haut que la plupart des films de ce genre actuel, notamment les produits bâclés sur Netflix et autres plateformes de VOD, mais il fait pale figure face au métrage d’origine dont on reste encore hanté par ces monstres et démons. Humains et folkloriques.
Sorties de la semaine du 29 septembre 2021
© Universal Studios