Grand film mutilé, Cabal nous revient aujourd’hui dans des versions multiples, toutes également intéressantes et inabouties. Le métrage mérite bien en tout cas le culte qui l’entoure désormais.
Synopsis : Convaincu par son propre psychologue, le Dr. Decker, qu’il pourrait être le serial killer qui s’attaque régulièrement aux familles de la région, Aaron Boone quitte sa petite amie pour se réfugier derrière les grilles du cimetière de Midian, accès à une cité mythique dont les habitants, des monstres appelés Nocturnes, hantent ses cauchemars.
Clive Barker, auteur tout-puissant au début des années 90
Critique : A la fin des années 80, l’écrivain Clive Barker se lance avec succès dans la réalisation avec l’excellent Hellraiser (1987) qui redéfinit la notion d’horreur à l’écran en concoctant un cocktail troublant de gore, de sensualité et de dérives SM. Après une suite (Hellraiser 2, Les écorchés) qu’il se contente d’écrire et de produire, Clive Barker opte pour l’adaptation de son roman Cabal sorti en 1988 (et qui sera retitré Nightbreed par les producteurs).
© 1990 Morgan Creek Productions Inc. / © 2019 ESC Editions. Tous droits réservés.
Pour cela, il dispose d’un budget nettement plus imposant que sur son film précédent, lui permettant de poser ses caméras dans les prestigieux studios britanniques de Pinewood, et de créer une centaine de monstres dont les maquillages sont confiés à l’équipe de Mark Coulier. Imposante coproduction entre le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada, Cabal est donc un film d’envergure dont le budget ne cesse d’enfler au fur et à mesure, atteignant la coquette somme de 11 millions de dollars en fin de parcours, soit un conséquent dépassement de budget.
Un film foisonnant de références littéraires et cinématographiques
Disposant au départ d’une grande liberté artistique grâce à sa formidable notoriété, Clive Barker peut ici donner libre cours à son imagination débridée. Il tisse une intrigue pour le moins originale, mais largement influencée par tous les mythes littéraires qui ont bercé son adolescence. Non seulement Cabal pullule de références religieuses (par son titre déjà), mais il intègre toutes les mythologies antiques pour les agrémenter à sa sauce. A plusieurs reprises, on songe notamment au mythe d’Orphée et Eurydice (porté à incandescence par Cocteau dans les années 50). Sur le plan cinématographique, Clive Barker rend également un hommage indirect au Satyricon de Fellini. Il s’en inspire notamment pour créer le monde souterrain de Midian.
Enfin, là où le grand public attendait une œuvre classique avec des monstres sadiques, Clive Barker impose plutôt une idéologie progressiste où les freaks sont en réalité les gentils, tandis que les vrais monstres sont les humains, décidément trop humains. Barker semble même prendre un malin plaisir à décrire une Amérique traditionaliste qu’il déteste, celle des lynchages, des défenseurs du port d’armes et des culs-terreux intolérants. Avec Cabal, Barker prend fait et cause pour les marginaux, ceux qui ne rentrent pas dans les cases d’une société normée. Il rejoint en cela les thématiques abordées à la même époque par Tim Burton, mais dans un style plus agressif et transgressif.
Des thématiques un peu manichéennes, mais à la gloire des marginaux
Certes, on peut trouver ce renversement des valeurs un peu simpliste, mais Clive Barker met suffisamment de lui-même dans cet éloge de la différence qu’il finit par emporter le morceau. Il joint à cette thématique une belle histoire d’amour romantique et sombre qui trouve son plein épanouissement dans la version director’s cut du film, de loin la plus cohérente sur le plan thématique. Il termine ainsi son œuvre de belle manière en faisant s’accomplir le destin de ce couple passé définitivement du côté de la marge.
Pour arriver à cela, le réalisateur passe par de multiples étapes qui permettent au spectateur de prendre fait et cause pour les monstres, présentés comme des êtres étranges mais positifs, tandis que tous les représentants de l’ordre établi (policiers, prêtre et psychiatre) s’avèrent être des personnages négatifs.
Une réalisation inégale pour un film charcuté au montage
Loin d’être exempt de défauts, Cabal souffre parfois d’une direction d’acteurs aléatoire (le cinéaste David Cronenberg n’est pas nécessairement à l’aise devant une caméra) et d’une réalisation qui n’a pas toujours l’ampleur nécessaire pour bien mettre en valeur les très beaux décors construits pour l’occasion. A vouloir trop embrasser de thématiques, l’auteur s’est parfois noyé dans un matériau trop vaste, et cela se ressent à plusieurs moments.
A l’époque de la post-production, Clive Barker a dû faire face à la demande des producteurs de réduire le métrage à une durée standard autour de 100 minutes, alors que le réalisateur avait fait un premier découpage de près de 2h20min (montage connu aujourd’hui sous le nom de The Cabal Cut). Le charcutage opéré par Clive Barker sur injonction du studio comporte notamment une modification de la fin qui vient totalement contredire les scènes précédentes. Le film sortira tel quel dans les salles, devenant un très lourd échec commercial, mais c’est ce montage cinéma qui a tout de même fait l’objet d’un culte grâce à la vidéo.
Une comparaison entre le montage cinéma et la version director’s cut
Depuis cette époque, Clive Barker a réussi à créer un director’s cut d’une durée de 2h désormais disponible en DVD / Blu-ray. Au petit jeu de la comparaison entre la version cinéma et le director’s cut, il est assez difficile de faire son choix. Dans sa durée de 2h, le nouveau Cabal est un peu trop long et certaines séquences (dans la boîte de nuit, par exemple) n’ont bel et bien aucun intérêt. Par contre, cette version rétablit la véritable fin du film, sans le retour ridicule du personnage de Cronenberg et avec une tendance romantico-sombre plus marquée. On préfère très largement cette belle fin à celle de la version cinéma. Toutefois, la version coupée a quand même le mérite d’être plus efficace et même parfois vraiment trépidante, sentiment qui se délite dans la version director’s cut.
On ne peut donc que vous conseiller de visionner les deux versions pour vous faire votre idée puisqu’aucune des deux n’est pleinement satisfaisante, mais que l’ensemble forme tout de même une œuvre sacrément ambitieuse et culottée. Le culte qui entoure désormais ce long-métrage est donc tout à fait justifié et vient compenser le désastre commercial de sa sortie en salles. Pour mémoire, ils ne furent que 79 477 spectateurs à faire le déplacement sur toute la France, et ceci malgré un Prix spécial du jury au festival du film fantastique d’Avoriaz. Une injustice qui doit donc être conjurée de nos jours.
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Critique du film : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 janvier 1991
© 1990 Morgan Creek Productions Inc. / Affiche : Michel Landi © ADAGP Paris, 2020. Tous droits réservés.