Thriller fantastique destiné aux ados, Black Phone fait preuve d’une belle efficacité et révèle des jeunes acteurs formidables. Le résultat est inégal, mais tout à fait fréquentable pour les amateurs du genre.
Synopsis : Finney Shaw, un adolescent de 13 ans, timide mais intelligent, est enlevé par un tueur sadique qui l’enferme dans un sous-sol insonorisé où s’époumoner n’est pas d’une grande utilité. Quand un téléphone accroché au mur, pourtant hors d’usage, se met à sonner, Finney va découvrir qu’il est en contact avec les voix des précédentes victimes de son ravisseur. Ils sont aussi morts que bien résolus à ce que leur triste sort ne devienne pas celui de Finney…
Retour au thriller sombre pour Scott Derrickson
Critique : Après une période sombre marquée par de nombreux doutes aussi bien sur le plan professionnel (son éviction du projet Doctor Strange in the Multiverse of Madness pour différend artistique) que personnel (une thérapie pour évacuer des troubles liés à l’enfance), le réalisateur Scott Derrickson revient au thriller horrifique avec Black Phone. Le cinéaste a découvert cette nouvelle de Joe Hill, le fils de Stephen King, lors de sa publication en 2004 et avait gardé dans un coin de sa tête la possibilité d’en tirer un film.
Dépité par les mauvaises expériences de ces dernières années et persuadé qu’il va pouvoir transcender ses angoisses personnelles à travers ce récit, Scott Derrickson fait donc appel à Jason Blum et au studio Universal qui lui offrent un budget minimal de 16 millions de dollars en lui laissant les coudées franches. Dès lors, le cinéaste s’est mis en quête de son jeune casting, tout en parvenant à convaincre Ethan Hawke de jouer le rôle du grand méchant kidnappeur, rôle à contre-emploi pour celui qui avait déjà tourné avec Derrickson sur l’excellent Sinister (2012).
Un contexte social intéressant
Le principal défi du film était de conformer la nouvelle à la durée d’un long-métrage, ce qui est en partie réussi. Effectivement, Derrickson a ajouté un long prologue où nous faisons connaissance avec les adolescents qui seront les principaux protagonistes du film. L’occasion pour lui de décrire une Amérique populaire des années 70 marquée par une certaine pauvreté, mais aussi et surtout par une violence présente partout. Ainsi, il dépeint ici avec beaucoup de force le harcèlement qui touche les plus faibles dans le milieu scolaire, ainsi que dans la rue.
Toutefois, il ajoute ici une dimension supplémentaire puisque le père des deux gamins est un tortionnaire qui n’hésite pas à battre ses enfants, notamment lorsqu’il a un peu trop bu. Jeremy Davies est d’ailleurs glaçant dans ce rôle antipathique, mais cela permet de faciliter l’identification avec le jeune ado incarné avec autorité par Mason Thames – vraiment excellent de bout en bout – et sa sœur aux pouvoirs de divination hérités de sa mère – très juste Madeleine McGraw.
Un suspense bien charpenté
Cette première partie qui confine au drame social est particulièrement réussie et dérive ensuite en huis-clos dès que le jeune garçon est enlevé par un homme masqué nommé l’Attrapeur. Le personnage aurait été inspiré à Joe Hill par le vrai tueur en série John Wayne Gacy, tandis que son masque effrayant a été entièrement conçu par Tom Savini (le maître des effets spéciaux de maquillage pour Romero par exemple). Dès lors, le film bascule dans le pur thriller, même si certains éléments fantastiques viennent se greffer à l’intrigue. On reconnaît bien là le goût de Scott Derrickson pour la religion puisque les esprits des anciennes victimes viennent aider le jeune garçon à s’affirmer et à lutter contre le kidnappeur fou.
Cette intrusion du fantastique et du religieux au cœur d’un film jusque-là très réaliste n’est pas forcément la meilleure des idées, mais une fois que l’on s’habitue au procédé, cela finit par passer. Il faut dire que la réalisation de Derrickson sait être efficace et que les moments de pur suspense sont très efficacement menés. Saluons toutefois l’excellence de la performance du jeune Mason Thames qui irradie l’écran et qui pourrait bien être un espoir du cinéma alors qu’il n’a pas quinze ans.
Black Phone ou comment tuer le père de manière métaphorique
La dimension fantastique du long-métrage pousse également à imaginer que cette histoire peut se lire de manière purement métaphorique. Et si le kidnappeur n’était qu’une version diabolique de ce père qui maltraite ses enfants ? Finalement, est-ce que Black Phone n’est pas un film d’apprentissage où le jeune fils doit apprendre à s’opposer au père, voire à le tuer, pour enfin s’affirmer en tant qu’homme ? On parie sur cette interprétation qui rend le film plus intéressant et moins linéaire.
Boosté par une excellente musique indus de Mark Korven (qui explose lors du générique initial, largement inspiré de celui de Seven de Fincher) et des images volontairement délavées de Brett Jutkiewicz (le récent reboot de Scream), Black Phone n’est sans doute pas un sommet dans le domaine de la peur. En fait, il s’agit avant tout d’un thriller social, mâtiné de fantastique, et essentiellement destiné aux adolescents. Mais pour un teen movie, Black Phone fait assurément partie du haut du panier grâce à des personnages tourmentés et qui ne sont jamais lisses, contrairement à la majorité de ce qui est proposé dans le genre ces derniers temps.
Avec un démarrage à plus de 100 000 spectateurs pour sa première semaine d’exploitation en France, Black Phone a surtout connu un début encourageant dans les salles américaines en cumulant plus de 25 millions de dollars en quelques jours d’exploitation seulement. Comme le bouche à oreille devrait être positif, on peut lui espérer une belle carrière sur le long terme.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 juin 2022
Biographies +
Scott Derrickson, Ethan Hawke, Mason Thames, Madeleine McGraw, Jeremy Davies