Avec amour et acharnement est le premier film de Claire Denis après le succès de science-fiction High Life. Un retour au cinéma francophone particulièrement trouble qui marque une fois de plus sa voix discordante au sein du 7e Art qu’elle transcende de sa réalisation. Encore une œuvre remarquable, primée au Festival de Berlin 2022 (Ours d’Argent de la Meilleure Mise en scène).
Synopsis : C’est Paris et c’est déjà l’hiver. Sarah et Jean s’aiment, ils vivent ensemble depuis plusieurs années. C’est un amour qui les rend heureux et plus forts. Ils ont confiance l’un en l’autre. Le désir ne s’est jamais affadi.
Un matin, Sarah croise par hasard François son ancien amant, ce François qui lui a présenté Jean, ce François qu’elle a quitté pour Jean sans hésiter.
Critique : Claire Denis a sillonné le monde avec High Life (2019). La présence d’une star américaine, Robert Pattinson, a aidé vraisemblablement sa science-fiction intimiste à devenir un objet de culte auprès des amateurs de cinématographies underground et alternatives jusqu’aux USA.
Amour et Acharnement est une façon un peu égoïste pour nous de se réapproprier l’une des nos réalisatrices les plus personnelles et que l’on chérit dans sa différence.
Le retour de la réalisatrice à un cinéma francophone se fait avec une passerelle, celle qu’apporte Juliette Binoche, transfuge de High Life, mais également d’Un beau soleil intérieur (2017), comédie lumineuse co-écrite par la romancière Christine Angot. C’est d’ailleurs cette dernière qui a accompagné l’écriture d’Avec amour et acharnement, adaptation dite libre de son roman, Un tournant de la vie.
Ce retour dans des eaux sombres, torturées, à hauteur de couple et des satellites impactantes qui l’entourent (adolescent torturé, mère vieillissante, et surtout ancien amant pour le personnage de Binoche/meilleur ami pour celui de Lindon) se fait dans une galaxie humaine dont on retrouve les mêmes noirceurs que dans l’espace, cette même profondeur existentielle que la cinéaste ne se permet jamais de trop dévoiler, comme pour laisser le spectateur mieux appréhender l’autre, taiseux ou non, dans ce qu’il a de plus personnel.
Avec amour et acharnement déchaîne les passions
Posé comme un thriller où le dérapage conjugal peut mener à des conclusions sordides, dans une ambiance tendue de par la musique de Tindersticks absolument fascinante, le drame conjugal génère questionnements et étourdissements. L’analyse métacinématographique nous convie subtilement à nous interroger sur la nature des relations entre un trio d’amoureux passionnels, sur les relations des autrices avec ces personnages, et sur le point de non-retour où personnages et auteures peuvent aller.
Jamais incompétentes dans la noirceur, Angot et Claire Denis investissent les intérieurs de l’être que l’on interprète, malgré toutes les zones d’ombre biographiques qui ne seront jamais expliquées, mais seulement éclairées de par quelques éléments intrigants (le personnage de Lindon qui a fait de la prison…). Loin d’une approche binaire entre une masculinité toxique capable du dérapage, y compris physique, et le cliché de la femme manipulée, Avec Amour et acharnement brille dans sa peinture de l’humain, déterminé par un passé brossé dans l’économie jusque dans sa sensibilité et son système d’autodéfense.
Une nouvelle œuvre trouble et originale par Claire Denis
Claire Denis aime susciter le trouble et ses œuvres (Trouble Every Day, L’intrus, White Material, Les salauds) sont des invitations aux malaises, qu’ils soient narratifs, formels, sensoriels. L’art de composer avec des acteurs immenses va dans le sens du tsunami émotionnel. Le couple Vincent Lindon Juliette Binoche et l’amant Grégoire Colin progressent tous trois doucement mais ravagent tout sur leur passage lors de quelques séquences d’une rare intensité, au lit ou dans l’affrontement, dans un appartement de nuit où la casse est imminente. Les bobos de l’âme.
Avec Amour et Acharnement bouillonne de passions, de souffrances et de maux dont la formulation par le souffle reste l’une des plus belles idées d’un scénario qui n’en manque pas. La fin tombe ; elle pourra décevoir certains dans sa trajectoire, et pourtant se range parmi les plus évidentes, celle de l’accomplissement de soi, de l’indépendance inhérente à l’être qui avait été niée. Reste à savoir pour quels personnages, comment cela se manifeste-t-il, et dans quelle intrigue tant la densité thématique multiplie le champ des possibles.
Pour découvrir tout cela, il faut absolument découvrir ce thriller conjugal, à l’atmosphère sourde et insondable, toujours passionnant dans sa manière d’échanger avec l’autre et donc d’une certaine façon avec nous-mêmes, nous spectateurs témoins, conviés sur le champ de bataille de l’intimité.
Sorties de la semaine du 31 août 2022
Biographies +
Claire Denis, Juliette Binoche, Vincent Lindon, Issa Perica, Mati Diop, Grégoire Colin, Bulle Ogier, Bruno Podalydès