Chantre d’un fantastique poétique suranné, fidèle à un genre banni du cinéma français, Jean Rollin est un auteur maudit qui dès son premier film, Le viol du vampire, a été assassiné par la critique de mai 68 et s’est battu pour imposer son style unique dans un genre commercial où il allait imposer ses propres codes et un phrasé décalé qui allait être sa patte.
Un réalisateur incompris
Il devient ainsi dès son premier long le spécialiste du vampirisme rustique, un cinéma d’errance et d’érotisme saphique qui ne lui a jamais permis d’attirer les foules, mais offert l’opportunité de se bâtir une petite réputation à l’étranger, notamment chez les Anglo-saxons. Avec des films comme La vampire nue (1969), Le frisson des vampires et surtout Requiem pour un vampire (1971) qu’il affectionnait particulièrement, il s’est construit une base de fidèles auprès d’initiés bisseux des cinémas de quartier de l’époque et a développé une thématique et une imagerie auxquelles il restera fidèle toute sa vie, jusque dans les années 2000 où il revint au mythe du vampire avec La fiancée de Dracula.
Il fit toutefois de nombreuses incursions en dehors de son genre de prédilection, tournant aussi bien des thrillers (La nuit des traqués), que des polars exotiques (Les trottoirs de Bangkok, l’un de ses plus gros succès) ou des films de contaminés et de zombies (Les raisins de la mort et La morte vivante).
Son style épousa les modes au fil des décennies. La pornographie s’invita à un montage alternatif de Lèvres de sang et de La nuit des traqués. Rollin tourna parallèlement plus de vingt pornos et développa une amitié artistique avec Brigitte Lahaie qui apparaîtra dans plusieurs de ses œuvres hors cinéma X (notamment Fascination, La nuit des traquées, mais aussi Les deux orphelines vampires ou La fiancée de Dracula). Il sévit aussi dans la bonne comédie Z de l’époque et céda dans les années 80 aux caprices du gore à l’américaine qu’il méprisait pourtant. La morte vivante contient ainsi quelques-unes des séquences les plus sanglantes de son cinéma, évitant toutefois toute barbarie.
Jean Rollin, des séries B culte
Outre sa casquette de réalisateur, Rollin était également scénariste (il avait écrit le script d’Emmanuelle 6 réalisé par Zincone en 1988) et surtout auteur d’ouvrages qu’il qualifiait « d’enfants » et non « pour enfants » (Les deux orphelines vampires en 1993, Bestialité en 1995, La petite ogresse en 1996…). Faute de pouvoir trouver des financements pour ses projets cinématographiques désuets, il donnait libre cours à son imagination dans la littérature qui l’avait accueilli avec succès.
© 1980 Salvation Films. All Rights Reserved. VHS : Iris Films, Film Office (1996), Cinéthèque. All Rights Reserved – The Night of the Damned, Blu-ray : Design by Screenbound Pictures Ltd. All Rights Reserved.
Après la disparition des cinémas populaires et dans un paysage cinématographique de multiplexes plus mortifère que son œuvre, le cinéma de Jean Rollin a peu à peu disparu des salles. Killing car en 93 reste inédit sur grand écran et son tout dernier film édité, La nuit des horloges, a eu beaucoup de mal pour être distribué en vidéo en France. Ce dernier, sorte de film somme invitant tous les thèmes chers à Rollin, ainsi que des acteurs récurrents dans son œuvre (notamment Françoise Blanchard, la fameuse Morte vivante revue dans le très mauvais Les trottoirs de Bangkok), demeure l’un de ses plus beaux films aux côtés de classiques comme La rose de fer (très inspiré par la Nouvelle Vague) et ses premiers films de vampires, mais aussi le récent Les deux orphelines vampires qui, outre son côté indéniablement Z assumé, contient de jolis moments de fulgurance. En 2010 Jean Rollin a réalisé un ultime film, Le masque de la méduse.
La disparition du cinéaste, pénible pour tous les fans du cinéma de genre français, a tourné une page controversée de notre patrimoine national. Pour avoir grandi avec cet auteur attachant, notamment à travers les VHS de notre enfance, on sera resté attaché au souvenir de ce cinéma d’un autre temps, complètement anachronique aujourd’hui, à notre époque encline aux plaisirs consensuels d’un subversif ronflant, récupéré par les médias mainstream.