Lèvres de sang : la critique du film (1975)

Epouvante-horreur, Romance | 1h28min
Note de la rédaction :
7,5/10
7,5
Lèvres de sang, l'affiche

  • Réalisateur : Jean Rollin
  • Acteurs : Jean-Loup Philippe, Annie Belle, Natalie Perrey, Claudine Beccarie, Catherine Castel, Marie-Pierre Castel
  • Date de sortie: 28 Mai 1975
  • Nationalité : Français
  • Scénaristes : Jean Rollin, Jean-Loup Philippe
  • Directeur de la photographie : Jean-François Robin
  • Compositeur : Didier William Le Pauw
  • Distributeur : Les Films de l’Obélisque
  • Editeurs vidéo : Iris Télévision (V.H.S) / D.I.A. (VHS) Cinéthèque (VHS) / American Vidéo (VHS) / Vidéo Lazer (1984, VHS) / Blacke Editions (VHS) / Film Office (VHS), LCJ Editions (DVD)
  • Sortie vidéo (DVD) : 15 novembre 2004
  • Box-office Paris-périphérie : 5 570 entrées (3 semaines d'exploitation)
  • Classification : Interdit aux moins de 12 ans
  • Crédits affiche : © 1975 Nordia Films - Off Production - Scorpion V / Illustrateur : Caza. Tous droits réservés.
Note des spectateurs :

Inégal et fauché, Lèvres de sang n’en demeure pas moins l’un des meilleurs films de Jean Rollin grâce à un script structuré, une ambiance nocturne séduisante et de nombreuses fulgurances poétiques. Du romantisme noir à l’état pur.

Synopsis : Après avoir vu un château sur un poster, un jeune homme reste troublé. Il est persuadé d’avoir déjà vu ce château, et ce pendant son enfance. Il se lance donc à la recherche de l’énigmatique bâtisse, aidé dans sa recherche par une mystérieuse femme vêtue de blanc, et comprend qu’un grand secret familial sur l’existence du vampirisme pesait sur sa famille.

Lèvres de sang, du cinéma gothique à la française

Critique : Depuis la fin des années 60, le cinéaste Jean Rollin développe des thématiques personnelles qui reviennent de film en film. Parmi elles, on compte notamment le vampirisme qui l’obnubile (Le viol du vampire, La vampire nue, Le frisson des vampires, Requiem pour un vampire), ainsi que les déambulations nocturnes de jeunes filles peu vêtues au cœur de ruines médiévales et de cimetières. On y trouve un goût immodéré pour l’esthétique gothique largement inspirée des Britanniques, mêlé à une bonne dose de surréalisme fantastique.

Lèvres de sang, jaquette DVD

© 1975 Nordia Films – Off Production – Scorpion V / © 2004 LCJ Editions. Tous droits réservés.

Conspué par de nombreux critiques et par le grand public (parfois à raison, d’ailleurs), Jean Rollin n’a eu de cesse de creuser le même sillon, avec l’entêtement des véritables artistes. Au cœur des années 70, il continue à tourner, mais doit se résoudre à limiter ses ambitions et à accepter de réaliser des films pornographiques sous divers pseudonymes. Il faut bien manger après tout.

Bienvenue de l’autre côté du miroir !

Progressivement, il affirme une personnalité bien singulière et s’oriente de plus en plus vers le film d’auteur avec la réussite que constitue La rose de fer (1973). Il confirme cette tendance avec Lèvres de sang (1975), coécrit avec l’acteur et poète Jean-Loup Philippe. Tourné en seulement trois petites semaines, le long-métrage est sans aucun doute l’une des plus belles réussites du cinéaste.

Il faut signaler tout d’abord un script un peu plus structuré qu’à l’ordinaire, avec une intrigue qui semble chausser les pas d’un Cocteau. Le réalisateur nous invite à suivre la quête d’un personnage à la recherche d’un vague souvenir d’enfance ravivé par la vue d’une photographie. Dès le moment où le protagoniste regarde ce paysage en photo, il n’a plus qu’une idée, totalement obsessionnelle : retrouver ce lieu qui évoque un moment refoulé de son enfance. Cette quête qui le mènera de « l’autre côté du miroir » est aussi l’occasion pour Jean Rollin d’arpenter une géographie de l’imaginaire où notre esprit cartésien est volontairement malmené.

Jean Rollin, le cartographe de nos espaces intérieurs

En suivant les pas de cet homme à la recherche d’un souvenir d’enfance, Jean Rollin effectue une plongée au cœur du paysage intérieur d’un être qui se sent à part depuis toujours. Dès lors, le personnage n’aura de cesse de croiser des créatures de la nuit aussi fascinantes que potentiellement dangereuses. Comme d’habitude chez Jean Rollin, ces créatures de la marge sont incarnées par des jeunes femmes vêtues de voiles vaporeux et arborant des maquillages outranciers. Ces marginaux – vampires, goules et autres – ne sont jamais vus comme des monstres nuisibles, mais bien comme des êtres fantastiques et fascinants. Cela justifie en partie la charge érotique qui leur est d’ailleurs attachée.

… “à part La Rose de fer, c’est le premier film où l’on m’a laissé faire tout ce que je voulais. Il n’y a eu rien d’imposé, pas de choses érotiques, de violence, pas de quoi que ce soit, sinon un budget ultra réduit.” (Jean Rollin, Monster Bis)

Au final, Jean Rollin livre ici l’un de ses plus beaux films, notamment grâce à une ambiance poétique constante, une lenteur qui cherche à hypnotiser le spectateur et un romantisme sombre qui s’accorde parfaitement aux superbes images de Jean-François Robin. On notera aussi le soin apporté au choix des paysages (magnifiques plans sur le château de Sauveterre), tandis que les raccourcis géographiques permettent justement de perdre le spectateur dans un dédale de lieux hétéroclites qui n’ont d’autre justification qu’esthétique.

Des défauts subsistent en matière de mise en scène et de jeu des acteurs

Malheureusement, tout n’est pas réussi dans ce très joli conte fantastique. Jean Rollin a parfois du mal à masquer le manque criant de moyens, tout en se révélant incapable de mettre en scène les quelques séquences d’action, et notamment les attaques de ses femmes vampires. Enfin, le jeu des acteurs est loin d’être parfait. Si Natalie Perrey et Jean-Loup Philippe ne s’en tirent pas trop mal (en mode récitatif comme chez les apôtres de la Nouvelle Vague), les rôles secondaires font parfois pitié. Le petit Serge Rollin vous confirmera que, décidément non, tous les enfants ne sont pas naturellement doués pour le jeu. Certains vampires femelles ne sont pas non plus les plus expressives du monde. Toutefois, on a connu pire chez le réalisateur et Lèvres de sang compte parmi ses plus belles réussites formelles et thématiques.

Un film devenu culte chez les Anglo-saxons

Malheureusement, le film n’a pas connu d’écho auprès du public. Sorti en mai 1975, il a eu du mal à trouver des salles spécialisées pour le programmer, la plupart s’étant reconverties dans la pornographie. Il est ensuite ressorti, avec des scènes additionnelles, dans une version X intitulée Suce-moi vampire (1975) où Claudine Beccarie et certaines de ses consœurs venues du cinéma érotique prennent plus d’importance que dans la version soft d’origine. Cette version était initialement destinée au marché américain mais fut bel et bien distribuée dans les cinémas français par Alpha France. Rollin signait alors le film sous le pseudo de Michel Gand.

Devenu culte auprès du public anglo-saxon plus réceptif, Lèvres de sang est donc une œuvre à part, pleine de défauts, mais qui regorge aussi de fulgurances poétiques décidément touchantes.

Critique du film : Virgile Dumez

Acheter le film en DVD

 

Les films de vampires sur CinéDweller

Les sorties de la semaine du 28 mai 1975

Lèvres de sang, l'affiche

© 1975 Nordia Films – Off Production – Scorpion V / Illustrateur : Caza. Tous droits réservés.

Box-office de Lèvres de sang / Suce-moi vampire :

Lèvres de sang connaît une sortie dans l’anonymat en mai 1975, diffusé dans trois cinémas à Paris, au Styx, l’Élysées Point-Show, et à la Maxéville. Le film ne reste que trois semaines à l’affiche et glane 5 570 curieux en fin de parcours sur la capitale. Une misère. De façon cynique, sa ressortie en version pornographique en juillet 1976 est bien plus concluante, avec 16 989 amateurs dès sa première semaine d’exploitation dans 8 cinémas (Lord Byron, Ciné Halles, Cinévog, Capitole, Vedettes, Ciné Nord, Maine Rive-Gauche, Atlas). Au final, cette nouvelle version réalise 38 701 spectateurs, mais cela reste très loin des scores réalisés cette année-là par le distributeur Alpha France, dont la plupart des titres, en 1976, dépassaient les 100 000 tickets vendus.

Box-office :  Frédéric Mignard

x