Le frisson des vampires : la critique du film (1971)

Epouvante-horreur, Gothique | 1h35min
Note de la rédaction :
6,5/10
6,5
Le frisson des vampires, l'affiche

  • Réalisateur : Jean Rollin
  • Acteurs : Marie-Pierre Castel, Sandra Julien, Jean-Marie Durand, Jacques Robiolles, Michel Delahaye
  • Date de sortie: 21 Avr 1971
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Le frisson des vampires
  • Titres alternatifs : The Shiver of the Vampires (titre international) / Sexual-Terror der entfesselten Vampire (Allemagne) / El amanecer de los vampiros (DVD Espagne) / Los temores de los vampiros (cinéma Espagne) / Dreszcz wampirów (Pologne) / Luna de sangre para una mujer vampiro (Mexique) / Violenza ad una vergine nella terra dei morti viventi (Italie)
  • Année de production : 1971
  • Autres acteurs : Kuelan Herce, Dominique, Nicole Nancel
  • Scénaristes : Jean Rollin, Monique Nathan
  • Monteur : Olivier Grégoire
  • Directeur de la photographie : Jean-Jacques Renon
  • Compositeurs : Acanthus (Gérard Sallette, Daniel Buffet, Francis Bendichou, Guy Ouly, Jean Vazon)
  • Chef maquilleur : Eric Pierre
  • Chef décorateur : Michel Delesalles
  • Ingénieur du son : Jean-Paul Loublier
  • Producteurs : Jean Rollin, Monique Natan
  • Producteurs exécutifs : -
  • Sociétés de production : Les Films ABC, Les Films Modernes
  • Distributeur : Les Distributeurs Associés
  • Editeurs vidéo : Cinéthèque (VHS) / Iris Télévision (VHS) / Blacke Editions (VHS) / American Vidéo (VHS) / Film Office (VHS, 1996) / LCJ Editions & Productions (DVD, 2003, 2020), Powerhouse Films (blu-ray, 4k, Royaume-Uni - Etats-Unis 2023)
  • Dates de sortie vidéo : 1996 (VHS), février 2003 (DVD), 21 septembre 2020 (DVD), 25 avrol 2023 (blu-ray, 4K, USA, Royaume-Uni)
  • Budget : -
  • Box-office Paris-Périphérie : 32 156 entrées
  • Classification : Interdit aux moins de 18 ans (Interdit aux moins de 16 ans depuis 1990)
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleur (Eastmancolor) / Son : Mono
  • Festivals : -
  • Nominations : -
  • Récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : © Philippe Druillet. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Les Films ABC. All Rights Reserved. Tous droits réservés. © Salvation Films ltd
  • Franchise : 3ème film de vampires de Jean Rollin
Note des spectateurs :

Film fantastique au charme indéfinissable, Le frisson des vampires déploie ses fastes visuels au cœur de la campagne française pour une célébration de la marginalité dans tous ses aspects. Le résultat est infiniment étrange, parfois maladroit, mais toujours sincère et attachant.

Synopsis : Dans un château perdu en pleine forêt, deux frères vivent avec la ravissante Isabelle, leur maîtresse commune. Une nuit, alors qu’ils pourchassent des vampires, Isolde, une femme étrange, leur apparaît. Envoyée par le maître du monde afin de les empêcher d’exterminer la race des vampires, elle les transforme en créatures de la nuit. C’est à ce moment qu’arrivent au village Ise et Antoine, un couple de jeunes mariés. Ise, cousine des châtelains, est très affectée lorsque les villageois lui apprennent leur disparition…

Jean Rollin, un cinéaste chanté outre-Manche, mais conspué en France

Critique : Lorsqu’il présente au public de 1968 son premier long-métrage exploité en salles, Le viol du vampire, le réalisateur Jean Rollin ne s’attendait pas à un tel rejet de la part des critiques et d’une grande partie du public. Dès ce film inaugural, un malentendu s’installe entre le réalisateur et ceux qui visionnent ses œuvres. Souvent présenté dans un cadre commercial, voire même dans un réseau de distribution consacré au cinéma d’exploitation, son cinéma doit pourtant être réévalué aujourd’hui comme étant un pur cinéma d’auteur, avec des thématiques régulièrement revisitées, quasiment de manière obsessionnelle, et fondées sur une culture littéraire bien charpentée de la part d’un réalisateur très conscient de ce qu’il souhaite voir à l’écran. Il s’agit notamment du tout premier film du cinéaste où une créature de la nuit sort d’une horloge, figure emblématique du réalisateur.

Des acteurs qui sont surtout des amis du réalisateur

Après avoir signé Le viol du vampire (1968) et La vampire nue (1970),  qui ont laissé le cinéaste sans le sou, Jean Rollin a poursuivi son exploration de la marge avec Le frisson des vampires (1971) qui est tourné avec un budget intéressant grâce à l’apport de Monique Natan, via sa société Les Films Modernes. La veuve du grand producteur de Pathé, Emile Natan, à qui toute la Nouvelle Vague essayait d’extirper quelques aides financières, sera enchantée par ce projet gothique et sera séduite par ses volontés photographiques. Si le budget du Frisson des vampires demeure bas, Les Films Modernes permettent au cinéaste des excentricités techniques auxquelles il n’était pas habituées, comme le travelling qu’il avoua ne pas savoir maîtriser. Le film sera tourné dans le château de Septmonts situé dans l’Aisne, avec un casting d’habitués.

Après La vampire nue, où elle tournait avec Cathy Castel, sa sœur jumelle, Jean Rollin fait à nouveau appel à Marie-Pierre Castel (également surnommée Pony Tricot). Elle apparaît sobrement au générique sous le nom de Marie-Pierre. Avec sa jumelle qui, en 1970 lorsque Le frisson des vampires fut tourné, n’était pas disponible, Pony continuera à arpenter les ruines des châteaux pour son réalisateur dans bon nombre de ses films suivants.

Rollin est à nouveau accompagné par le cinéaste indépendant Jacques Robiolles et par le critique des Cahiers du Cinéma Michel Delahaye qu’il a déjà dirigé dans La vampire nue l’année précédente. Cette fois, il leur confie les rôles des deux frères vampires qui séduisent leur cousine.

Dans ce rôle de la jeune ingénue, Jean Rollin trouve en Sandra Julien une incarnation parfaite. La jeune femme est en réalité l’épouse du technicien Pierre Julien, mais Jean Rollin l’a convaincue de jouer la comédie pour lui et de s’exposer dans toute sa nudité. Cela sera le point de départ d’une carrière profuse dans l’érotisme qui mènera la starlette jusqu’au Japon. Face à elle, son époux de fiction est interprété par le directeur de production Jean-Marie Durand dont cela sera la seule apparition devant une caméra.

Le frisson des vampires confirme l’attrait du cinéaste pour la marge

Comme à son habitude, le cinéaste déploie une intrigue assez vague – mais plutôt structurée pour une fois – où il mélange les influences avec un certain bonheur. Si le métrage s’inspire bien entendu de la geste vampirique traditionnelle, il évoque également des messes noires liées à des cultes de l’Antiquité égyptienne. Si l’on ne voit pas forcément le rapport entre ces deux traditions fort différentes, cela ajoute une part de mystère supplémentaire à une œuvre qui ne cesse de désarçonner. Là où l’on s’attend à une traditionnelle histoire d’envoutement, le cinéaste écrivain préfère y substituer un parcours initiatique qui mène l’héroïne à embrasser petit à petit les forces obscures de la nuit.

Le frisson des vampires, jaquette blu-ray

© 1971 Les Films ABC / Affiche : Philippe Druillet. Tous droits réservés.

Dans Le frisson des vampires, on retrouve une fois de plus le goût de Jean Rollin pour les marginaux et les êtres hors-normes. Il y va même de sa petite critique sociale avec une condamnation des vampires bourgeois. De même, il se joue ici de l’institution du mariage, faisant de l’époux un homme incapable de séduire sa propre moitié et réduit à errer sur une plage déserte lors d’un superbe dernier plan, alors que sa dulcinée a définitivement choisi son camp, celui des ombres. Travaillant à la fois sur les mythes fondateurs de la culture, mais aussi sur la psychanalyse, Jean Rollin livre ici une œuvre complexe qui ne suit jamais les sentiers battus du simple film gothique pour en explorer les dimensions cachées.

Une esthétique psychédélique séduisante

Pour cela, il a recours à des plans très travaillés qui sont sublimés par une très belle photographie de Jean-Jacques Renon, déjà à la manœuvre sur le film précédent. Visiblement très inspiré par les éclairages bariolés de Mario Bava et, par extension, de certains films tardifs de la Hammer, le directeur de la photographie n’a pas hésité à s’affranchir de tout naturalisme pour mieux embrasser la thématique fantastique du long-métrage. Une réussite qui relève de l’exploit tant Renon était abîmé par l’alcool et en particulier le vin blanc. Il restera le chef opérateur de Rollin jusqu’à sa mort, précipitée par l’alcoolisme. Le monsieur gâchera son talent dans le porno et des productions improbables comme Le chouchou de l’asile ou Les chômeurs en folie, tout en réalisant quelques productions porno et des scènes de Caligula et Messaline. A la caméra, Jean Rollin peut aussi compter sur le talent de Renan Pollès qui travaillera également avec Rollin comme directeur de la photo sur son film suivant, Requiem pour un vampire. Le technicien, reconnu en France, deviendra associé au cinéma de Pascal Thomas jusque dans les années 2010 sur quelques unes de ses plus grandes comédies.

En ce qui concerne la musique, Jean Rollin a opéré un choix plutôt audacieux en confiant l’habillage sonore au groupe de rock psychédélique éphémère Acanthus (formé des musiciens Daniel Buffet, Francis Bendichou, Gérard Sallette, Guy Ouly et Jean Vazon). Cette musique très marquée post-68 est à la fois très efficace et elle date immédiatement le long-métrage dans le temps, contrairement à son histoire qui se veut intemporelle. Une contradiction qui ne choque pourtant qu’au tout début, tant cette bande-son s’accorde avec l’aspect quasiment expérimental de l’œuvre en question. A une époque de l’anonymat, celle d’un monde sans internet, Jean Rollin resta persuadé toute sa vie que le groupe se sépara avant la sortie du film, puisqu’il n’entendit plus jamais parlé de la formation. Mais celle-ci perdura sous un autre nom, avec quelques changements de tête, et, en 2010, un vinyle du Frisson des vampires fut réédité, en collector, par le label Finders Keepers.

Des maladresses qui n’entament pas le potentiel poétique du film

Bien entendu, comme nous sommes chez Jean Rollin, Le frisson des vampires n’est pas exempt de gros défauts. Outre un budget évidemment maigre qui contraint le cinéaste à revoir ses ambitions à la baisse, les acteurs ne sont pas non plus des modèles d’expressivité, d’autant que Jean Rollin n’a jamais été un grand directeur de comédiens. L’auteur fait parfois preuve d’humour et de second degré – on pense notamment au duo de vampires, volontairement outranciers – mais le film est aussi touché par instants par un comique involontaire, au détour d’un dialogue maladroit, d’une diction mal assurée ou encore d’un faux raccord un peu trop voyant.

Malgré ces défauts qui ont toujours collé à la peau du cinéaste, Le frisson des vampires mérite sa réputation, puisqu’il est considéré comme l’un des meilleurs, voire le meilleur film de Jean Rollin. Les amateurs de son cinéma pourront se lover dans une ambiance cotonneuse et fantastique plutôt travaillée, le tout porté par un script un peu moins lâche que d’habitude. Zébré de beaux éclairs poétiques, Le frisson des vampires fait donc partie des œuvres qui comptent dans la filmographie pléthorique d’un auteur qui tourne avec sincérité des films qui ne ressemblent qu’à eux-mêmes. C’est ce qui en fait tout le prix.

Le frisson des vampires défendu par la revue Midi-Minuit Fantastique

Sorti en toute discrétion le 21 avril 1971 dans trois salles parisiennes appartenant au circuit de Roger Boublil, le Midi-Minuit, Le frisson des vampires est parvenu à mobiliser 32 156 amateurs de bizarreries en quinze jours d’exploitation. La critique est discrète, mais globalement étrille le film, si l’on excepte la revue Midi-Minuit Fantastique à laquelle il a d’ailleurs participé cette même année 1971 en livrant un très long article consacré à l’œuvre littéraire de Gaston Leroux (dans les numéros 23 – avec en couverture une photographie tirée de son film vampirique – et 24 de la célèbre revue).

Edité à maintes reprises en VHS au cours des années 80 et même proposé par Film Office en vidéocassette la décennie suivante, Le frisson des vampires est condamné en France à ne sortir qu’en DVD. LCJ exploite le catalogue de Jean Rollin dans ce format en France et uniquement dans ce format. Il propose d’ailleurs depuis 2020 une intégrale (hors porno) du cinéaste.

L’éditeur britannique Salvation Films (Rédemption) détient en revanche tous les droits de ces films, acquis grâce à sa fidélité à l’auteur, dès l’époque de la VHS. Le spécialiste de la sexploitation horrifique européenne, a largement contribué à faire de Rollin une icone dans le monde, et notamment auprès des Britanniques et des Américains.

Il faut donc se rendre du côté de nos amis anglo-saxons pour réussir à obtenir de belles éditions blu-ray. On saluera le travail de restauration de l’œuvre, absolument formidable tant il est précis. Désormais, Le frisson des vampires, comme de nombreux titres de Rollin, est disponible en collector chez Powerhouse Films, avec un packaging limité, incluant un livre de 77 pages, qui a inspiré certaines informations de ces lignes. Les suppléments sont foisonnants. Il s’agit de l’édition physique ultime de cette œuvre, proposée à l’achat, en import, sur internet, avec évidemment les pistes originales en français, des suppléments dans notre langue (dont un commentaire audio par le cinéaste), et surtout la possibilité de lire le film par tous les lecteurs blu-ray et 4K de France et de Navarre, puisque le blu-ray est non-zoné.

Critique de Virgile Dumez, avec la contribution de Frédéric Mignard

Box-office Paris :

Ce sont 18 625 Parisiens qui se sont hâtés d’aller découvrir Le Frissons des vampires de Jean Rollin, à Paris, en première semaine. Le Styx, le Scarlett et surtout le Midi-Minuit, appartenant au même circuit, le gardent une seconde semaine pour 13 351 curieux supplémentaires et un total de 32 156 Parisiens.

Morgan et nymphes, de Bruno Gantillon, sorti sur le grand écran deux mois auparavant, avait réalisé 58 261 entrées, à l’issue de trois semaines d’exploitation. L’affiche arty de Druillet avait-elle moins de caractère pour séduire, notamment dans son aspect érotique ? On ne se plaindra pas.

Les 32 000 entrées du Frisson des vampires n’est en soit pas déshonorant. La même année Frédéric Rossif réalisait 34 000 entrées, Edouard Molinaro 41 000, Gérard Brach 20 000, Gérard Vergez 8 000, Robert Enrico 34 000, Moshe Mizrahi 33 000, Jean-Marie Périer 22 000, Claude Berri 56 000. Max Pécas, avec Je suis une nymphomane, faisait plus fort (81 000).

En mai 1970, La vampire nue avait réalisé exactement les mêmes chiffres (32 000 amateurs de fantastique lyrique), mais avec une combinaison différente (4 écrans en première semaine et une seconde semaine à 3 salles marquée par une chute plus abrupte). Mais le film avait fait perdre beaucoup d’argent à Rollin.

Nous n’avons aucuns chiffres pour la France où le film a dû voyager de façon clandestine, mais Jean Rollin fut très satisfait des chiffres du Frisson des vampires. Il a pu ainsi rembourser les dettes de son précédent long, et s’affranchir des ardoises du Frisson.

Avec une volonté évidente de tourner avec davantage de moyens et de professionnalisme, Rollin espère pouvoir mettre en boite son prochain long avec la grande Monique Natan. Les deux ont décidé de faire ensemble Docteur vampire. Malheureusement, l’écrivaine-productrice décède d’un accident domestique tragique. Rollin tournera Requiem pour un vampire, sans l’apport de la prestigieuse société Les Films Modernes (Mayerling, Quadrille, Manèges, Violettes impériales, Michel Strogoff…) fondé par Emile Natan.

Frédéric Mignard

Les sorties de la semaine du 21 avril 1971

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Le frisson des vampires, l'affiche

© 1971 Les Films ABC / Affiche : Philippe Druillet. Tous droits réservés.

Biographies +

Jean Rollin, Marie-Pierre Castel, Sandra Julien, Jean-Marie Durand, Jacques Robiolles, Michel Delahaye

Mots clés

Cinéma fantastique français, Films de vampire

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