Premier long-métrage de Jean Rollin, Le viol du vampire pâtit de sa partition en deux parties distinctes, dont l’une est plutôt réussie, tandis que l’autre frise l’amateurisme le plus total. Arty, foutraque et attachant.
Synopsis : Ce film conte l’histoire d’un psychiatre qui veut sauver trois femmes que l’on dit vampires. S’ensuit une cascade d’évènements, poursuites et meurtres rituels.
Jean Rollin à la tête de ce qui devait n’être qu’un court-métrage
Critique : Déjà signataire de quelques courts-métrages ambitieux durant les années 60, ainsi que d’un premier long-métrage avorté, coécrit par Marguerite Duras, intitulé L’itinéraire marin (1962), Jean Rollin se voit proposer par le propriétaire de salles Jean Lavie de tourner un court-métrage sur le thème du vampirisme, afin de servir d’en-cas avant la diffusion du grand film d’horreur attendu par les spectateurs. A l’aide du producteur Sam Selsky, Jean Rollin parvient à réunir la modique somme de 200 000 francs pour entamer le tournage de ce qui deviendra Le viol du vampire (1968).
Avec une somme aussi ridicule, Jean Rollin ne peut aucunement mettre sur pied une équipe professionnelle. Il doit donc se servir de la bonne volonté d’une petite troupe constituée de bric et de broc. Alors que les techniciens sont pour la plupart des amateurs, le constat est identique en ce qui concerne les acteurs qui n’ont aucune formation. Ainsi, la plupart se retrouvent pour la première fois devant une caméra, si l’on omet la participation de Bernard Letrou, poète ayant déjà tourné dans les courts expérimentaux de Jean-Denis Bonan qui officie ici en tant que monteur. Prévu pour n’être qu’un court-métrage, Le viol du vampire propose une intrigue intéressante condensée en seulement une trentaine de minutes. On y trouve en germe toutes les obsessions de Jean Rollin qui apparaît déjà comme un auteur à part entière, notamment son affection pour le surréalisme dont il se faisait le peintre au sein d’un univers fantastique dont il dessine la cartographie.
Une première partie proche des meilleurs surréalistes
Conscient de la faiblesse de ses moyens, le cinéaste en herbe table sur une photographie en noir et blanc très contrastée, sur des angles de caméra biscornus et sur un montage à la limite du psychédélisme. Afin de masquer l’amateurisme de ses comédiens, il leur octroie une diction typique de la nouvelle vague, accentuant encore l’aspect arty du court-métrage. Le réalisateur déploie ici une thématique intéressante où il confronte un homme de science à des femmes vampires dont on doute d’abord du caractère fantastique, avant d’embrasser totalement leur malédiction.
Largement inspiré par le surréalisme – on perçoit des références visuelles aux premiers travaux de Luis Buñuel comme Un chien andalou – le cinéaste livre ici une histoire d’amour étonnante, tout en prenant fait et cause pour les goules qui arpentent les marges d’un monde déliquescent. On notera d’ailleurs que le superbe final se déroule déjà sur la plage normande de Pourville-lès-Dieppe qui servira de cadre à bon nombre de ses œuvres ultérieures.
L’ajout des Femmes vampires déséquilibre entièrement le film
Tout irait pour le mieux si Le viol du vampire était resté un court-métrage de 30 minutes. Malheureusement, Jean Lavie trouve que le film est trop long pour être présenté en première partie de séance et demande à Jean Rollin de lui adjoindre une suite. Avec cette fois-ci 300 000 francs supplémentaires, le réalisateur retrouve la même équipe, lui ajoute plusieurs acteurs dont le comédien professionnel Jean-Loup Philippe et crée Les femmes vampires, un rajout de près d’une heure qui complète le film.
Malheureusement, même s’il a beaucoup apprécié tourner cette seconde partie, y voyant notamment l’occasion de rendre hommage au genre du sérial dont il était un grand amateur, elle n’est absolument pas au même niveau que le court précédant. Ecrite en urgence et tournée à l’arraché, cette deuxième partie entraine le cinéaste sur les terres du serial qu’il adore arpenter. Toutefois, l’absurdité notoire de son intrigue (au passage, en totale contradiction avec le premier segment) et son allure de cadavre exquis font de cette suite une bien mauvaise surprise. Personne ne comprend l’intrigue, sauf lui, ce qui vaut à cet essai derrière la caméra une détestation immédiate.
Les femmes vampires, un festival de faux raccords
Décrivant une société secrète de vampires, le réalisateur se lance aussi dans une étrange intrigue mettant en scène une clinique consacrée au vampirisme. Jamais crédible, totalement bordélique dans son absence de structure, Les femmes vampires concentre tous les défauts futurs du cinéma bricolé de l’artiste. Ainsi, les actrices jouent particulièrement mal, les scènes d’action sont d’une maladresse et d’un amateurisme rares et seuls quelques passages évoquent la poésie de la première partie. Parfois fort drôle, mais de manière purement involontaire (Jean Rollin, toujours d’un grand sérieux, détestait que l’on voit dans son orchestration du réel une touche de comédie), cette seconde partie a largement contribué à la mauvaise réputation du cinéaste dans nos contrées.
Handicapé par un script aux abonnés absents, Les femmes vampires pâtit aussi d’une musique free jazz assez insupportable, quand la première partie profitait d’une partition électronique séduisante. Rollin, grand amateur de jazz demanda au pionner du free jazz, François Tusques, de lui improviser cette composition au détriment du bon sens.
Les femmes vampires ennuie profondément, devenant une sorte de parodie de film auteurisant bourré de faux raccords très voyants. Même si l’ensemble a bien été exploité sous le titre global du Viol du vampire, on serait vraiment tenté de scinder les deux parties tant la différence qualitative est flagrante. Là où Le viol du vampire est un joli court-métrage au doux parfum de romantisme noir, Les femmes vampires est une expérimentation arty assez imbuvable.
Jaquette du 4H UHD Region Free du Viol du Vampire (The Rape of the Vampire) – © 1967 Salvation Films, d’après l’affiche de Philippe Druillet. Tous droits réservés. © 2023 Powerhouse Films Ltd.
Le viol du vampire, une sortie en plein mai 68
Sorti dans les salles à partir du 29 mai 1968, Le viol du vampire a donc été proposé au public français en plein cœur d’une tourmente politique et sociale peu propice au septième art. Pourtant, le succès est là.
Le long-métrage a bénéficié d’une magnifique affiche dessinée par Philippe Druillet (qui apparaît dans le film parmi les villageois) et d’une publicité entièrement fondée sur l’idée qu’il s’agit du premier film français abordant le thème du vampirisme. On notera que Nicolas Devil avait aussi été envisagé pour le visuel publicitaire mais finalement Druillet l’emporta. Les deux hommes, amateurs de macabre, avaient tous deux suivi le tournage.
Si l’argument a permis au long-métrage de glaner près de 50 000 entrées à Paris, il s’est aussi retourné contre le cinéaste. Effectivement, là où les spectateurs attendaient un vrai film d’horreur dans le style gothique et commercial de la Hammer, ils ont surtout découvert une œuvre surréaliste et tournée dans des conditions proches de l’amateurisme, avec une intrigue insaisissable. Les séances furent donc très agitées, avec beaucoup d’éclats de rire, mais aussi des insultes envers les créateurs de cette œuvre maladroite. Jean Rollin évoquera même des jets de projectiles contre l’écran et d’un véritable parfum de scandale qui permit à cette première œuvre bricolée de rester à l’affiche parisienne pendant trois semaines au lieu d’une comme prévu initialement.
Avec Ne jouez pas avec les martiens de Henri Lanoé (Jean Rochefort, Macha Méril), Le viol du vampire est l’un des deux films français à pouvoir trouver quelques écrans en cette semaine de révolution culturelle qui interrompt les tournages et les productions mais, contrairement à la COVID 19, ne fermera pas les salles.
Les autres titres à paraître sont La Belle et le Cavalier de Francesco Rosi (Sophia Loren, Omar Sharif), A chacun son dû d’Elio Petri (Gian Maria Volonté, Irene Papas), Trois cavaliers pour Fort Yuma de Giorgio Ferroni (Giuliano Gemma) et Sept Winchesters pour un massacre.
Jean Rollin bénéficie d’une programmation dans quatre cinémas, le Cinévog Saint-Lazare, le Midi Minuit, le Scarlett et le Styx) et succède à Orgie macabre et Prisonniers du plaisir aux Midi Minuit et au Scarlett. Il trouve 17 676 spectateurs outragés dont beaucoup quittent les lieux après 20 minutes de consternation. Pas grave, la file d’attente à l’extérieur témoigne d’une curiosité. Jean Rollin affiche un beau sourire, avec la 8e place hebdomadaire, mais intérieurement songe à abandonner le cinéma tellement le public est virulent.
Avec un écran de moins en deuxième semaine (le Ciné-Vog avait un autre film sous contrat), Le Viol du vampire s’offre une belle deuxième semaine (16 743 entrées) et demeure à la 8e place parisienne. La troisième semaine, dans ce même circuit, observe un fléchissement à la 16e place (11 244 entrées). Quel belle tenue tout de même. Il est temps pour le métrage de l’étrange d’aller vivre sa vie en province où les copies circuleront. Trente ans plus tard, en 1997, Les deux orphelines vampires de maître Rollin ne fera plus que 698 entrées !
Réception critique du Viol du vampire
On notera d’ailleurs que si le réalisateur fut ensuite soutenu par les journalistes de la revue Midi-Minuit, ils ne furent guère enchantés lors de la sortie de son premier effort. Ainsi, dans la colonne des notes de la rédaction du numéro 21 d’avril 1970, on peut découvrir que Michel Caen attribue au long-métrage la note de zéro (soit nul), tandis que Jean-Claude Romer lui donne une étoile (soit médiocre). Visiblement, Jean Rollin n’en n’a pas pris ombrage puisqu’il publia quelques mois plus tard dans leurs colonnes un très long dossier en deux parties sur Gaston Leroux. Pour la petite histoire, un critique belge enthousiaste sera même embauché sur le second long de l’auteur.
Et en vidéo ?
Suffisamment rentable au vu de son maigre budget, Le viol du vampire a initié un long cycle de films de vampires pour Jean Rollin qui a creusé le même sillon en lui ajoutant un peu plus de professionnalisme. Pourtant, la critique fut toujours très cruelle envers celui qui était désormais étiqueté comme le Ed Wood français.
Moins exploité en vidéo que ses autres titres à cause de son noir et blanc plus difficile à vendre, Le viol du vampire a toutefois été édité à deux reprises en VHS, dont une fois par Norbert Moutier (à travers son label N.M. International), puis une seule fois en DVD en France. Cependant, l’étranger, et notamment les pays anglosaxons ont été plus réactifs à cause du culte qui est né autour du cinéaste. Il est donc possible pour les spectateurs français de découvrir cette œuvre fondatrice en blu-ray 4K UHD chez les Américains de Powerhouse Films, au même titre que plusieurs œuvres du réalisateur maudit.
L’édition 4K existant aux USA et au Royaume-Uni est absolument admirable et sera à jamais l’édition ultime du métrage, avec une copie resplendissante et une montagne de suppléments audiovisuels, et même un livret luxueux de 80 pages. Foncez têtes baissées sur ce collector hors norme qui relève du miracle cinéphilique.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 29 mai 1968
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Le viol du vampire de Jean Rollin (Affiche originale par Druillet, 1968) © 1968 Les Films ABC / Affiche : Philippe Druillet. Tous droits réservés.
Biographies +
Jean-Loup Philippe, Jean Rollin, Bernard Letrou, Solange Pradel
Mots clés
Cinéma fantastique français, Les films de vampires, Les histoires incompréhensibles au cinéma