Valérie au pays des merveilles : la critique du film (1972)

Fantastique, Comédie dramatique | 1h17min
Note de la rédaction :
9/10
9
Valérie au pays des merveilles, l'affiche VOD

  • Réalisateur : Jaromil Jireš
  • Acteurs : Jaroslava Schallerová, Helena Anýzová, Petr Kopriva, Jan Klusák, Josef Abrhám
  • Date de sortie: 23 Fév 1972
  • Nationalité : Tchécoslovaque
  • Titre original : Valerie a týden divu
  • Titres alternatifs : Valérie ou la semaine des merveilles (titre lors des festivals) / Valerie and Her Week of Wonders (titre international) / Valerie y su Semana de las Maravillas (Espagne) / Valeria e os Sonhos (Portugal) / Fantasie di una tredicenne (Italie) / Valerie - Eine Woche voller Wunder (Allemagne) / Valerie e a Semana das Maravilhas (Brésil)
  • Année de production : 1970
  • Scénariste(s) : Ester Krumbachová, Jaromil Jireš, Jirí Musil d'après Vítězslav Nezval
  • Directeur de la photographie : Jan Curík
  • Compositeur : Luboš Fišer, Jan Klusák
  • Société(s) de production : Filmové studio Barrandov
  • Distributeur (1ère sortie) : Cinémas Associés
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Malavida Films (DVD) / Criterion (blu-ray, 2015, sous-titres anglais uniquement)
  • Date de sortie vidéo : 13 décembre 2010 (DVD)
  • Box-office France / Paris-périphérie : -
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 : 1 / Couleurs / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : Présentation au Festival de Chicago 1971
  • Illustrateur / Création graphique : Rudolf Nmec (affiche tchèque)
  • Crédits : Filmové studio Barrandov
Note des spectateurs :

Œuvre surréaliste et rétive à l’analyse, Valérie au pays des merveilles est un petit bijou du cinéma tchèque à ne pas négliger si l’on aime les aventures cinématographiques hors des sentiers battus de la narration classique.

Synopsis : Agée de treize ans, orpheline, Valérie vit sagement avec sa grand-mère. Un mariage se prépare dans le village et on attend la visite de quelques missionnaires. Mais des événements étranges surviennent : un jeune homme, l’Aiglon, vole à Valérie ses boucles d’oreille. Et parmi les comédiens qui arrivent en ville, un personnage inquiétant, le Putois, semble très bien la connaître.

Valérie au pays des merveilles, Vignette Cine +

Copyrights Ciné + Club. Tous droits réservés.

Fuir le réel après la répression du printemps de Prague

Critique : Après avoir adapté avec succès le magnifique roman de Milan Kundera La plaisanterie (1969), le cinéaste tchèque Jaromil Jireš connaît des difficultés dans son pays où le métrage est interdit de diffusion par le pouvoir en place. Face à ce tour de vis des autorités communistes, la plupart des artistes se réfugient dans le genre fantastique afin de pouvoir continuer à tourner.

Jaromil Jireš, comme d’autres confrères, décide de s’éloigner du réel et se lance dans un défi de taille. Il tente de retranscrire à l’écran l’univers poétique foisonnant de Vítězslav Nezval (1900-1958) en adaptant son œuvre Valérie ou la semaine des merveilles. Pour mémoire, Nezval est considéré comme l’un des plus grands poètes tchèques du 20ème siècle grâce à ses liens avec le mouvement surréaliste. Il a notamment défié les lois de la logique narrative en offrant des poèmes libres, mais aussi des œuvres romanesques qui font fi de toute structure ferme. Guidé uniquement par une logique stylistique, le poète se veut entièrement libre de toute forme préétablie. Il est par ailleurs adoubé par le régime puisqu’il a également chanté la gloire du communisme.

Un récit en roue libre, uniquement guidé par les fantasmes d’une adolescente

Autant dire qu’essayer d’adapter cette œuvre protéiforme au cinéma relève d’un pari totalement fou et grandement tenu par Jaromil Jireš. Le cinéaste, un des fondateurs de la Nouvelle vague tchèque avec Miloš Forman, Věra Chytilová et Jiří Menzel, a déjà démontré sa capacité à déconstruire un récit avec son premier long-métrage Le premier cri (1964). Il va encore plus loin dans l’expérimentation avec Valérie au pays des merveilles (1970) qui est rétif à toute forme de chronologie narrative.

Valérie au pays des merveilles, photo Criterion

© Criterion. All Rights Reserved

Le spectateur est donc invité à partager le quotidien de Valérie, jeune adolescente fantasque, qui ne cesse de confondre rêve et réalité. Brouillant volontairement les repères du spectateur, Jaromil Jireš ne cherche aucunement à indiquer quand la gamine passe du rêve à la réalité. Ainsi, les différents personnages, incarnés par de nombreux acteurs non professionnels, s’avèrent multiples au cours du film. La même actrice peut ainsi interpréter plusieurs rôles, au risque de perdre le spectateur. Mais le plus déroutant avec Valérie au pays des merveilles vient de l’aspect sans cesse changeant de l’intrigue de base, épousant ainsi la figure libre du rêve.

L’éveil à la sexualité, vu par le prisme du conte onirique

N’obéissant à aucune logique de progression narrative, le long-métrage déroute, mais envoûte à la fois par sa capacité à nous faire pénétrer dans un univers baroque foisonnant. Ainsi, les décors évoquent à plusieurs reprises les délires polonais d’un certain Wojciech Has, notamment dans les souterrains remplis de toiles d’araignée où dorment paisiblement des vampires. Si le spectateur ne comprendra globalement rien de ce qui se trame dans cette demeure qui dessine en réalité la géographie mentale d’une adolescente, il peut toutefois saisir un certain nombre de thématiques intéressantes.

Tout d’abord, Jaromil Jireš aborde le conte de fées par le biais de la psychanalyse, quelques années avant la publication du célèbre livre de Bruno Bettelheim sur la Psychanalyse des contes de fées (1976). D’une grande sensualité – mais jamais vulgaire ou déplacé – le film de Jireš insiste sur le bouleversement corporel qui touche la jeune fille, en pleine découverte d’un monde sexualisé. Elle est ici entourée de femmes lascives qui, parfois, peuvent s’ébattre dans des poses très saphiques. Mais, bien plus troublant, la gamine en éveil semble éprouver une attirance pour celui qui est à la fois son protecteur, son prince charmant et son propre frère. La notion d’inceste est également au cœur de ses relations avec d’autres membres de sa famille.

DVD français de Valérie au pays des merveilles

Copyrights Malavida. Tous droits réservés.

Un film à la structure musicale

Autre thème qui émerge de ce magma, le refus de la vieillesse de la part des adultes. Ceux-ci ne supportent pas de voir grandir et s’épanouir les plus jeunes qu’ils pourchassent tels des vampires. La thématique n’est pas là pour imiter ou se moquer des films de la Hammer, mais bien pour signifier que la quête du sang frais est surtout celle de la jeunesse éternelle. Refusant d’avoir été, les adultes cherchent à conjuguer le verbe être au futur inconditionnel.

Bien entendu, Valérie au pays des merveilles n’est pas réductible à ces quelques pistes de réflexion puisque le long-métrage échappe par nature à l’analyse. Construite de manière musicale, l’œuvre cherche à multiplier les correspondances d’un plan à l’autre, mais davantage sur le plan esthétique que thématique. D’ailleurs, cette forme musicale explose pleinement lors des cinq dernières minutes qui sont d’un lyrisme baroque de toute beauté, confirmant qu’il s’agit bien ici d’une sarabande orchestrée autour du lit de la jeune vierge en pleine puberté. Peu à peu les différents personnages viennent entourer le lit, tandis que la musique se déploie et que le film se transforme ainsi en une magnifique ode à la vie. On saluera au passage la magnificence de la musique de Luboš Fišer et Jan Klusák.

Valérie au pays des merveilles, artwork bluray de Criterion

Jaquette du blu-ray américain Criterion – Couverture exclusive d’après l’affiche originale signée par Dot Graphic. All Rights Reserved

Un petit bijou du cinéma surréaliste

On pourra sans doute reprocher au cinéaste certains dérapages bis, notamment dans le jeu outré de certains acteurs, mais l’ensemble constitue une œuvre finalement très cohérente dans son délire total. Valérie au pays des merveilles n’est certes pas à conseiller aux amateurs d’un cinéma classique et normé, mais tous ceux qui cherchent à s’évader loin des conventions peuvent choyer l’effort accompli par Jires. Il est parvenu à signer un authentique film surréaliste, d’une rare poésie et d’une beauté formelle transcendante.

A l’époque, le film a fait le tour des festivals et a même eu le droit à une sortie dans les salles françaises en février 1972. Largement oublié depuis, le long-métrage a été remis à l’honneur par l’éditeur Malavida au sein de sa riche collection de classiques du cinéma d’Europe centrale et de l’Est.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 23 février 1972

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Valérie au pays des merveilles, l'affiche originale

© 1970 Filmové studio Barrandov / Affiche : Rudolf Nmec. Tous droits réservés.

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Valérie au pays des merveilles, l'affiche VOD

Bande-annonce de Valérie au pays des merveilles (VO)

Fantastique, Comédie dramatique

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