Une chambre en ville : la critique du film (1982)

Drame musical | 1h32min
Note de la rédaction :
9/10
9
Affiche d'Une chambre en ville de Jacques Demy

  • Réalisateur : Jacques Demy
  • Acteurs : Dominique Sanda, Michel Piccoli, Danielle Darrieux, Richard Berry, Jean-François Stévenin, Fabienne Guyon, Anna Gaylor
  • Date de sortie: 27 Oct 1982
  • Nationalité : Français
  • Scénario : Jacques Demy
  • Musique : Michel Colombier
  • Photo : Jean Penzer
  • Décors : Bernard Evein
  • Costumes : Rosalie Varda
  • Distributeur : UGC Distribution, Ciné Tamaris (Reprise 2013)
  • Éditeur vidéo : RTZ (VHS), Arte Éditions (DVD)
  • Date de sortie vidéo : 5 novembre 2008. Inclus dans le coffret DVD Jacques Demy - L'intégrale (DVD 10)
  • Box-office France/Paris-périphérie : 231 624 entrées France - 102 872 entrées Paris-périphérie / Reprise 2013 :
  • Box-office (Reprise du 9/10/2013) 4 676 entrées / 2 805 entrées
  • Récompenses : Prix Méliès pour le meilleur film français, décerné par le Syndicat français de la critique de cinéma (1983) - 9 nominations aux Césars en 1983
  • Crédit visuel : Affiche par Philippe / Une chambre en ville © 1982 - TF1 Films Production. Tous droits réservés.
  • Sociétés de production : Progefi / TF1 Films Production/ UGC-Top N°1
  • Formats : 1.66 : 1 / Dolby Stéréo (1982), Dolby Digital (Version restaurée)
Note des spectateurs :

Une chambre en ville est l’œuvre la plus sombre de Jacques Demy, et l’une de ses plus abouties. Ce sublime drame musical sur fond de conflits sociaux aux chantiers navals de Nantes est magnifié par le travail de collaborateurs artistiques dont le compositeur Michel Colombier.

Synopsis : Nantes, 1955. Les chantiers navals sont en grève. François Guilbaud, un métallurgiste, loue une chambre dans l’appartement de Madame Langlois, une veuve qui a perdu sa particule aristocratique en épousant un bourgeois et qui noie dans l’alcool le deuil de son jeune fils, tué dans un accident de voiture. Violette, la petite amie de François, voudrait se marier avec lui, mais le jeune homme doute de ses propres sentiments. François fait alors la rencontre d’Édith, une bourgeoise mal mariée, qui n’est autre que la fille de Madame Langlois…

« Donne-moi la force de t’attendre, j’ai tant besoin de toi »

Critique : Une chambre en ville, entièrement chanté, comme Les Parapluies de Cherbourg (1964), est l’aboutissement d’un ancien projet de Jacques Demy, initialement intitulé « Édith de Nantes », et qu’il avait eu du mal à mener à terme. Après le succès de Peau d’âne (1970), le cinéaste connut un long trou d’air, peinant à obtenir des financements, et ne réalisant que trois longs métrages mineurs, ainsi qu’un téléfilm d’après Colette (La Naissance du jour, 1980). Une chambre en ville faillit être tourné au cours de cette décennie, mais Demy se brouilla avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, prévus pour interpréter le couple central, et qui refusèrent d’être doublés pour le chant. Le cinéaste fut aussi lâché par Michel Legrand, qui trouvait le récit trop noir, et Simone Signoret (pour le rôle de la baronne), mal à l’aise à l’idée de chanter sur le tournage. Le film put finalement se faire avec l’appui de TF1 et de la productrice Christine Gouze-Rénal. Influencé par des souvenirs autobiographiques (Demy était jeune homme quand les grèves des ouvriers du chantier naval de Nantes avaient éclaté), le métrage marque le retour du cinéaste dans sa ville natale, près de vingt ans après Lola (1960).

On y retrouve d’ailleurs des lieux emblématiques de la ville et déjà filmés par Demy, comme le passage Pommeraye, dans lequel déambule Édith (Dominique Sanda), pour se rendre dans le commerce d’Edmond (Michel Piccoli), son barbon d’époux radin et jaloux. L’intrigue pourra paraître sommaire et le récit manichéen, avec ses idylles de roman-photo et des personnages en apparence peu nuancés, de la petite fiancée plutôt mièvre (Fabienne Guyon), aux manifestants scandant « Police, milice ! Flicaille, racaille ! » dès la séquence d’ouverture, en passant par la baronne réactionnaire (Danielle Darrieux), et la femme fatale nue sous son manteau de vison. Il faut pourtant aller au-delà des apparences car le scénario est en fait très subtil, avec un sens des jeux de l’amour et du hasard qui était aussi celui des Demoiselles de Rochefort (1967). De plus, les personnages positifs ont leur zone d’ombre, à l’instar de Dambiel (Jean-François Stévenin), le confident syndicaliste, dont on pressent qu’il veut ravir Violette à François. Et les ennemis de classe ne sont pas ceux que l’on croit, l’ex-aristocrate se sentant en fin de compte plus proche du peuple que des bourgeois : « Je vais vous faire un aveu : je vous aime mieux que tous les bourgeois (…) Ils croupissent dans le confort de leurs habitudes… Mais moi je vous jure qu’ils ne m’auront pas », confie-t-elle, certes alcoolisée, à son sous-locataire.

Une chambre en ville, l’archétype du chef-d’œuvre maudit

Loin du « côté Giraudoux » (Claude-Marie Trémois) de Lola et de l’euphorie des Demoiselles, Une chambre en ville frappe par son pessimisme, et la violence physique et verbale qui sont une nouveauté dans le cinéma de Demy, du marchand de télé se tranchant la gorge sous les yeux de son épouse volage après l’avoir traitée de putain, aux effusions de sang dans les manifestations. Là encore, d’aucuns trouveront excessives ces séquences, elles sont pourtant les plus belles d’une histoire d’amour traitée sous la forme d’un opéra filmé. Il faut souligner ici la virtuosité de la musique de Michel Colombier, qui n’imite pas le ton mélodieux de Michel Legrand, et donne au film l’allure d’un mélodrame distancé. Les autres collaborateurs de Demy renforcent la cohérence de l’œuvre, du travail sur les couleurs de Jean Penzer aux décors de Bernard Evein. Le casting est en outre savoureux, avec une mention spéciale pour Danielle Darrieux, exquise dans l’ironie mordante, et qui chante elle-même, au même titre que Fabienne Guyon et Marie-France Roussel dans le rôle de la cartomancienne. Le film est par ailleurs nourri de références de cinéma chères à Demy, des classiques d’Eisenstein pour les scènes de manifestation aux scénarios de Prévert et Cocteau pour la malédiction des amours impossibles.

Une chambre en ville connut un cruel échec au box-office, et une tribune maladroite de critiques de cinéma tenta d’en faire porter la responsabilité au matraquage publicitaire en faveur de la comédie L’As des as, sorti la même semaine, et qui triomphait en salle. Sans doute la désaffection du public s’explique-t-elle plutôt par la noirceur du scénario et la radicalité du dispositif musical. Et si Les Parapluies ou Les Demoiselles étaient ancrés dans les sixties, le présent film dont l’action se déroule dans les années 50 et qui utilisait des tournures de dialogues désuètes pouvait sembler anachronique au début des années 80, décennie du vidéoclip et de la culture yuppie. Une chambre en ville connut donc à sa sortie, malgré sa bonne réception critique, le sort des grands films maudits du cinéma français, de La Règle du jeu à Lola Montès en passant par Casque d’or. Et s’il obtint neuf nominations aux César, il n’en concrétisa aucune, les professionnels lui préférant… La Balance de Bob Swaim. Il devait remporter toutefois le Prix Méliès pour le meilleur film français, décerné par le Syndicat français de la critique de cinéma. Une chambre en ville, ressorti en 2013 dans une version restaurée à l’initiative de Ciné-Tamaris, peut être considéré comme le dernier chef-d’œuvre de Demy, auteur qui fait aujourd’hui l’objet d’un culte pour toutes les générations de cinéphiles.

Critique de Gérard Crespo

Sorties de la semaine du 27 octobre 1982

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Affiche d'Une chambre en ville de Jacques Demy

Une chambre en ville © 1982 – TF1 Films Production. Tous droits réservés.

Box-office :

Une chambre en ville est une de ces œuvres maudites dont l’échec commercial contraste avec la réussite artistique. La critique s’en était émue, lançant une polémique vaine contre le film de Gérard Oury qui sortait à la même date, mais avec 32 écrans de plus et une promotion hors norme correspondant à la popularité croissante d’un Jean-Paul Belmondo superstar. La date de sortie de L’as des as avait été posée pour les vacances de la Toussaint deux ans auparavant.

Le vétéran Jacques Demy isolé dans la sphère cinématographique

Une chambre en ville était un produit osé pour son temps, atypique et sombre, une tragédie lancée durant un mois d’octobre faste, qui a vu le lancement des quatre plus grosses sorties des dix premiers mois de l’année 1982. Outre L’as des as (3e plus gros lancement français jusqu’alors), il fallait compter sur Les Misérables de Robert Hossein, énorme production qui en était à sa deuxième semaine d’exploitation, mais aussi le pharaonesque Deux moins le quart avant Jésus-Christ de Jean Yanne, et le retour de Louis de Funès dans la série populaire du Gendarme (Le gendarme et les gendarmettes), ces deux grosses comédies étant sorties le même jour.

Par ailleurs, le retour de Demy devait aussi affronter les continuations du Woody Allen, Comédie érotique d’une nuit d’été, de Victor Victoria et ses acteurs plutôt âgés (le plus gros triomphe de Blake Edwards en France). Pour des publics plus jeunes, il faut noter la deuxième semaine solide de Poltergeist, de Tobe Hooper et Le Dragon du lac de feu de Disney. Et pour les amateurs d’art et essai, les Taviani profitaient d’une vraie constance en 2e semaine, avec La nuit de San Lorenzo (pourtant présent dans moins de salle que le Demy) ; et la Palme d’or, Yol, réunissait encore 15 000 entrées en 9e semaine.

Une chambre en ville, un désaveu au box-office

C’est donc en 14e place que le long métrage Une chambre en ville, hors mode, très certainement mal vendu, apparaît au box-office. Avec 21 286 entrées sur Paris-Périphérie dans 20 cinémas, la désaffection du public est sans appel, de par ses ambitions. Avec 10 salles de moins, le X Ma mère me prostitue lui fait l’affront de le doubler de 4 places, pour sa première semaine. Le documentaire L’Amérique interdite, fière de son interdiction aux moins de 18 ans, également en 5e semaine, le devance, et la reprise d’Alien occupant 12 salles de moins également.

Un tel échec abîme, et la 2e semaine sera encore plus désastreuse, avec un effondrement de ses entrées. La production s’écroule à la 19e place avec quelques 11 000 entrées, malgré trois entrées au-dessus de lui : Le quart d’heure américain à plus de 110 000, Que les gros salaires lèvent le doigt, et The Thing de John Carpenter. Cette chute est aussi imputable à la diminution de son circuit : douze exploitants franciliens le lâchent.

L’échec fait grand bruit, polémique, et de ce buzz se dégage une curiosité… Le bouche-à-oreille est par ailleurs positif. Le public qui a vu Une chambre en ville est convaincu de ses réelles qualités. Aussi, à partir de sa 3e semaine (qui correspond également aux sorties triomphales de La balance et Plus beau que moi tu meurs, deux autres échantillons d’un cinéma français décidément inébranlable), le film se maintient : 12 193 entrées en 3e semaine pour un total de 45 266 entrées, 12 489 entrées en 4e semaine, 9 708 entrées en cinquième semaine, alors qu’il n’est plus exploité que sur 5 sites. En 6e semaine, il repasse à 8 écrans (6 972). En 7e semaine, le couple Richard Berry-Dominique Sanda rétrograde à 5 salles et 3 963 entrées…

Une polémique issue des critiques réfractaires

Évidemment, au vu de l’importance colossale du film, ces entrées sont dérisoires, mais après l’ignorance absolue des quinze premiers jours, cette stabilité paraît providentielle et permet largement au film de rejoindre le clan fermé des œuvres maudites, incomprises, qui ont tout simplement raté leur lancement.

Un manifeste est signé par les critiques en novembre 1982. René Chateau, coproducteur de L’as des as, avait déjà pris la parole à la télévision affirmant qu’« une majorité de la clientèle française ne va au cinéma que cinq fois par an, et Jean-Paul Belmondo s’adresse à cette tranche de clientèle ».

Belmondo et Demy sortent de leur silence

De son côté, la star de L’as des as rétorque « aux coupeurs de tête » : « Lorsqu’en 1974 j’ai produit et sorti Stavisky d’Alain Resnais et que le film n’a fait que 375 000 entrées, je n’ai pas pleurniché en accusant James Bond de m’avoir volé mes spectateurs. » Belmondo insiste « il faut d’ailleurs méconnaître les règles de notre métier pour ignorer qu’un film qui marche, loin d’empêcher le public d’aller voir d’autres films, lui fait au contraire reprendre le chemin des salles obscures. »

Quant à Jacques Demy, qui se dit « démoralisé » par l’insuccès de son film, il s’en prend au système d’exploitation, au prix onéreux des copies (citant le coût d’un million de francs par copie). Il refuse d’incriminer son faux concurrent finissant par dire : «(…) de grâce, n’en rejetez pas la faute sur Oury et Belmondo » (source : Le Film Français N° 1923, 26 novembre 1982).

Demy avait raison. Ce même mois les succès du Woody Allen, des Taviani ou du Yilmaz Güney dans un segment plus difficile d’accès pour le grand public démontraient l’absurdité des arguments de la critique. Et puis, n’oublions pas que Diva de Jean-Jacques Beineix, en mars 1981, qui allait démarrer, victime de critiques boudeuses, à 17 400 entrées dans 19 salles parisiennes, achèvera sa carrière à … 2 281 569 spectateurs sur toute la France.

Quelles salles ont diffusé Une chambre en ville ?

Une chambre en ville est sorti le 27 octobre 1982 dans les salles suivantes : l’UGC Biarritz/Opéra/Danton/Boulevard, le Bretagne, le Mistral, les 3 Secrétan, le Forum Cinéma, le 14 Juillet Beaugrenelle/Bastille, et le Clichy Pathé. Neuf cinémas de banlieue le programmèrent en première semaine. La semaine suivante, le drame musical perdait à jamais l’intégralité des sites de périphérie, preuve d’un désaveu populaire.

Une chambre en ville réalisa plus de 40% de sa fréquentation française sur Paris, avec un résultat global de 231 624 spectateurs dans l’Hexagone. Il lui faudra attendre 2013 pour retrouver le chemin des salles, grâce à la magie des grandes restaurations.

Frédéric Mignard

Jacques Demy – Une chambre en Ville, chronique d’une restauration from Raphaël Minnesota on Vimeo.

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Affiche d'Une chambre en ville de Jacques Demy

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