Tyler Rake, au titre bien trouvé, se prend effectivement un râteau (“rake”, en anglais), en ratissant tous les clichés des productions bas de gamme de la plateforme Netflix. En un seul mot, nul.
Synopsis : Tyler Rake est un mercenaire intrépide qui travaille dans l’ombre. Alors qu’il n’a plus rien à perdre, il est chargé par un puissant caïd mafieux, pour l’heure incarcéré, de sauver son fils qui a été enlevé. Mais dans le milieu glauque de la pègre, où se côtoient marchands d’armes et narcotrafiquants, la mission ultra-périlleuse de Rake frôle l’impossible. Et la vie du mercenaire et du jeune garçon risque d’en être bouleversée à jamais…
Photo Jasin Boland – Copyrights 2020 Netflix, inc. Tous droits réservés.
La caution Marvel à la rescousse de Netflix
Critique : Prototype d’un produit entièrement façonné par l’algorithme d’une plateforme de streaming aux gros moyens, Tyler Rake joue sur la présence d’une star (Chris Hemsworth, toujours en quête d’un succès personnel hors Thor), et de deux producteurs au générique (les frères Russo de Captain America Civil War et Avengers Endgame), pour vendre le vide caractérisé dont la société américaine s’est faite championne. Avec la caution Marvel et donc Disney (+), pour vendre l’idée d’une vilaine série B sans scénario ni idées, et un cascadeur comme réalisateur, de surcroît poto des frères Russo, cela peut faire l’affaire. Les réalisateurs de John Wick et Atomic Bomb, respectivement Chad Stahelski et David Leitch, tous deux issus du monde de la castagne et de la cascade qui impressionne, sont parvenus à rendre cool par leur traitement désinhibé de l’action, des films aux scripts assez maigres. Tyler Rake se devait de reproduire la tendance.
Un titre qui résonne comme un DTV avec Nicolas Cage
Le titre original exprime l’indigence même du résultat : Extraction qu’il s’intitule. Cela sonne comme un DTV infernal avec Nicolas Cage, avec trois syllabes qui pourraient caractériser bien des avatars de ce genre. Interchangeable.
A la Chine, le scénario de Joe Russo a préféré l’Inde, avec des acteurs parfois connus dans l’autre géant émergeant au milliard d’habitants bien entamés. Il faut voir global pour la plateforme numérique. D’ailleurs, pour les Européens et le Moyen-Orient, la présence farfelue et complètement inutile de Golshifteh Farahani évoque celle de Mélanie Laurent dans le 6 Underground de Michael Bay, produit par Netflix, ou bien celle de Juliette Binoche dans Godzilla. L’actrice servirait d’appât pour des spectateurs plus exigeants qui pourraient se laisser tenter par ce choix de vedettes généralement rigoureuses qui auraient bien trouvé quelque chose de différent dans cette aventure musclée. Le montant d’un chèque peut-être ? C’est le constat que l’on se fait durant l’affront que Tyler Rake fait au mieux à notre téléviseur, au pire à notre téléphone.
Chris Hemsworth pleure sa carrière
Joué à la truelle par Chris Hemsworth qui reproduit à l’identique l’intériorité balourde des traumas de Thor au début du gênant Avengers Endgame, le personnage de Tyler Rake n’a véritablement aucun enjeu émotionnel. Sa mission casse-cou est justifiée par l’argent, pour panser ses peines (la mort de son enfant, forcément), et oublier ses responsabilités ou sa lâcheté qui ne sont que des mots lâchés dans une bouche qui n’y croit pas et dont le réalisme de la psychologie flirte avec le zéro pointé. Après avoir “extrait” un ado, fils d’un baron de la drogue, qui a été enlevé, Chris Hemsworth sert de garde du corps à ce simili personnage adolescent qui est à l’échelle de cette aventure : transparent. Dans un produit fonctionnel, le personnage jeune a pour objectif d’inviter les consommateurs de son âge à mieux gober l’alchimie Netflix.
Photo Jasin Boland – Copyrights 2020 Netflix, inc. Tous droits réservés.
Tyler Rake, l’actioner qui traîne la patte
Ce qui faisait la verve de John Wick ou de Atomic Blonde, de la dérision, de la baston sans antidouleurs, des personnages qui avaient le pouvoir d’incarner des machines à culbuter avec une certaine classe cinématographique, devient ici balourdise et roublardise. Tyler Rake évoque davantage les maladresses des films de guerre à la Cannon que l’action flick contemporain que l’on a appris à aimer ces dernières années en salle. Les chorégraphies de la répétition ne nous n’inspirent jamais l’impression d’assister à du spectaculaire quand le filmage ultra-numérique, avec son contraste propre et ses filtres léchés, correspond bien à la majorité des programmes Netflix où l’on retrouve cette même violence froide, à savoir des impacts de balles sur corps empruntés aux jeux vidéo. Suffisamment explicites pour se donner l’impression d’être dans le coup, mais jamais justifiées par une démarche artistique, ces tueries répétitives sont glaçantes d’insensibilité. Jamais politiquement incorrectes pour faire mal, ni rebelles pour être jubilatoires, elles sont l’ingrédient de trop dans ce produit mal fagoté où même la fin est téléphonée.
Le reflet d’une médiocrité assénée à l’infini par le géant de la SVOD
Personne ne paierait pour cela sur un grand écran ; Horse soldiers et le remake de L’aube rouge avec le même Chris Hemsworth l’ont déjà prouvé. Mais des millions de spectateurs acceptent de diminuer leur exigence grâce à la fausse gratuité du gimmick marketing. Le formatage télévisuel qui essaie d’insinuer un caractère faussement cinématographique à la chose infâme jusque dans sa musique totalement insipide, nous consterne. Pas même le temps de voir le nom de l’équipe technique que Netflix a déjà coupé le générique pour nous faire gober autre chose.
Photo Jasin Boland – Copyrights 2020 Netflix, inc. Tous droits réservés.
Alerte sur l’avenir du cinéma, le virus est bien là
Les direct-to-SVOD doivent vraiment se réveiller et nous faire sentir l’effort du projet porté par des artistes qui ont envie d’exprimer un point de vue, une personnalité, une différence. Ici le ver est dans la pomme et le système est déjà virussé. Plus de sueur. Plus de différence. Aucune personnalité. Et plus même d’artistes. Au moins, sur ce point, on s’accordera à reconnaître que Netflix a atteint un degré de marvelisation qui doit faire trembler Disney, l’autre pourvoyeur de programmes OGMisés qui relèvent plus du bidouillage de l’ADN filmique à l’échelle industrielle que d’une forme authentique de cinéma avec des réalisateurs qui auraient encore des rêves de mômes à partager.
Diffusion SVOD à partir du 24 avril 2020
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