Dans Tu ne tueras point, Mel Gibson construit son pamphlet antimilitariste sur un monument de violence. Le résultat visionnaire, puissamment sensoriel, déroute et questionne. Mais surtout il passionne. Preuve de la grandeur du film.
Synopsis : L’histoire de Desmond Doss, le premier objecteur de conscience à avoir remporté la médaille d’honneur du Congrès américain. Durant la Seconde Guerre mondiale, il devint médecin pour ne pas avoir à utiliser une arme…
Critique : Au-delà de son côté roublard de biopic, celle d’une personnalité héroïque qui a marqué, par sa singularité, des batailles sur le front du Pacifique, lors de la Seconde Guerre mondiale, Tu ne tueras point interpelle. D’abord par les choix graphiques de son cinéaste, que d’aucuns trouveraient racoleurs, mais qui, en la personne de Mel Gibson, confirment l’authenticité du point de vue artistique de l’homme qui n’a pas varié d’un iota, en dépit des attaques subies ces dernières années.
© Cross Creek Pictures, Icon Productions, Pandemonium, Permut Presentations, Vendian Entertainment, Metropolitan Film Export
Ainsi, le réalisateur aux images épiques et barbares de Braveheart, La passion du Christ et Apocalypto, en remet une couche dans son idéalisme pacifiste, mâtiné d’ultra-violence peu ragoutante, à peine absoute par l’imagerie christique inhérente à sa philosophie personnelle. Tous les éléments fondateurs du cinéaste sont réunis dans Tu ne tueras point, au grand dam de ses détracteurs. N’en déplaise à chacun, l’ancienne star des franchises Mad Max et L’arme fatale a l’envergure des grands maîtres pour baliser sa réflexion complexe sur la définition de l’héroïsme en temps de crise ultime, revêtant son scénario d’une réalisation dantesque, aux plans hors du commun. Mel Gibson ravive l’émotion picturale des dates du cinéma des années 70, d’Apocalypse Now à La porte du paradis, pour ne citer que deux œuvres du même genre.
Une romance contrariée par la guerre
Habile manipulateur de l’émotion, Gibson partage son long en deux parties. La première est une élégante romance contrariée, avec entraînements et bizutages en camp militaire. On y trouve notamment une poignée de personnages féminins, dont Teresa Palmer, superbe de retenue. La seconde partie, exclusivement virile, vire au carnage sur le champ de bataille. Succède à la romance idéalisée, une longue séquence épique où l’image est assaisonnée de gore outrancier pour ne jamais glorifier la guerre que Gibson méprise (il fut d’ailleurs contre l’intervention américaine en Irak en 2003).
L’approche putassière consistant à se vautrer dans les fluides corporels et à exploser les corps devient une logorrhée percutante chez l’auteur Gibson qui croit en la véracité de l’insoutenable qu’il faut saisir pour dénoncer. C’est ce qui fait la force de son combat, l’authenticité de sa conviction. Tu ne tueras point relate la plongée dans l’horreur d’un soldat de bravoure qui s’est porté volontaire en tant qu’infirmier tout en refusant l’arme de guerre pour ne pas contrarier Dieu (le titre français fait foison de cette philosophie). Même dans les situations de cauchemar qui ravageraient les idéaux des plus grands pacifistes, le jeune homme, magnifiquement joué par Andrew Garfield, ne tuera point, arpentant les terres décharnées pour sauver son prochain. Il se fait l’écho des obsessions christiques de Mel Gibson, qui est décidément toujours catégorique quant à l’incarnation ultime du Christ en modèle d’abnégation.
On aurait tort de s’arrêter à la facilité métaphorique du prêcheur Mel dont la foi profonde vient de son paternel, un traditionaliste radical. Il n’assène pas de verbiage religieux, mais confronte l’homme à la barbarie quand il est abandonné à lui-même, notamment sur des terrains de guerre où le Divin est cruellement absent. Mais la conviction personnelle offre des réalités plurielles, complémentaires et compréhensibles, qui démontrent la légitimité des divergences sur le fait religieux.
© Cross Creek Pictures, Icon Productions, Pandemonium, Permut Presentations, Vendian Entertainment, Metropolitan Film Export
Evidemment, la peinture expéditive des ennemis japonais, relégués à l’arrière-plan et à des troupes sanguinaires et barbares, pourrait diminuer l’équilibre de son approche. Contrairement aux grands westerns et films de guerre post-modernes qui aiment rééquilibrer l’humanité des deux côtés de la bataille, Gibson aime donner un caractère primal, irrationnel et surtout émotionnel à l’angle de vue du régiment qu’il suit, et qui, dans l’immédiateté de l’action, n’est pas forcément enclin au pardon. Et pourtant, quelques scènes courageuses restaurent l’humanité de protagonistes abîmés par les horreurs de la guerre ; elles réaffirment la grandeur contrariée du cinéaste, dont les contradictions pugnaces forgent la force de caractère et rendent l’œuvre si saisissante.
Tu ne tueras point est donc un monument au mort Mel Gibson, qui, en marge de Hollywood, renaît une fois de plus de ses cendres pour malmener la bienséance de ses obscénités goyesques. La standing ovation que l’auteur reçut lors de la présentation de son film à Venise, pendant dix longues minutes, les nominations aux BAFTA, Oscars, Golden Globes et autres cérémonies australiennes l’ont démontré : le mort, en 2016, était encore bien vivant.