Total Recall est un blockbuster monumental, un objet filmique à la fois divertissant et profond de par ses multiples niveaux de lecture. Tout simplement l’un des meilleurs Schwarzenegger en dehors de la saga Terminator. Et un Verhoeven qui compte.
Synopsis : La planète Terre, 2048. Hanté par un cauchemar qui l’entraîne chaque nuit sur Mars, Doug Quaid s’adresse à un laboratoire, Rekall, qui lui offre de matérialiser son rêve grâce à un puissant hallucinogène. Mais l’expérience dérape : la drogue réveille en lui le souvenir d’un séjour bien réel sur Mars, à l’époque où il était l’agent le plus redouté du despote Cohaagen. Des tueurs désormais à ses trousses, Quaid décide de repartir sur la planète rouge où l’attendent d’autres souvenirs et bien d’autres dangers…
Genèse d’une œuvre monstre
Critique : La genèse de Total Recall est une aventure en soi. Très librement inspiré de la nouvelle Souvenirs à vendre écrite par Philip K. Dick en 1966, le film a connu de nombreux démarrages successifs, et ce dès le début des années 70. D’abord achetés par le scénariste Donald Shusett, les droits de la nouvelle lui permettent d’écrire un premier script avec la complicité de Dan O’Bannon (futur scénariste d’Alien) en 1974. Il faut toutefois attendre le début des années 80 pour que Dino De Laurentiis en fasse l’acquisition et lance la production d’un long-métrage. Les noms de David Cronenberg, Richard Rush et Bruce Beresford sont successivement apparus dans la case réalisation, tandis que Patrick Swayze est envisagé dans le rôle de Quaid. Des décors sont même construits, avant que la société de De Laurentiis ne fasse faillite et enterre le projet pour quelques années. Fin des années 80, Schwarzenegger se dit intéressé par l’idée et achète le script pour la société Carolco. C’est également lui qui engage Paul Verhoeven, le réalisateur hollandais sortant tout juste du succès de RoboCop (1987). Après quelques retouches effectuées sur le script, le tournage titanesque est enfin lancé. Avec une enveloppe de plus de 65 millions de dollars (colossale à l’époque) – dont 10 rien que pour Schwarzy – le projet devient un monstre destiné à cartonner dans le monde entier. Il s’agit alors de la machine la plus imposante de toute la carrière du cinéaste hollandais.
Un message politique séditieux
Malgré les impératifs commerciaux à l’œuvre sur une telle production, Paul Verhoeven a réussi à ne pas diluer son talent et propose un film de science-fiction ambitieux, aussi bien sur le plan visuel que thématique. L’apport principal étant le double niveau de lecture d’un divertissement loin d’être anodin. Tout d’abord, le réalisateur renouvelle l’expérience initiée avec RoboCop en insérant des images d’actualité qui dénoncent clairement la mainmise d’un pouvoir totalitaire sur des médias aux ordres. La société décrite par Verhoeven apparaît progressivement comme fascisante avec une exclusion systématique de ceux qui sont différents (ici des mutants voués notamment à la prostitution) et une élite qui régule l’air en fonction de ses intérêts politiques et économiques. Dès lors, tous les éléments qui contredisent la propagande gouvernementale sont considérés comme des terroristes.
Mais là où Verhoeven et ses scénaristes marquent des points, c’est dans l’incertitude constante de la véracité de ce qui se déroule à l’écran. On ne saura jamais vraiment si tout ce qui se passe durant le film est vraiment arrivé au personnage principal ou si nous sommes en présence d’un rêve implanté par la société Rekall. Au lieu de rassurer le spectateur en donnant une explication claire, Verhoeven opte pour l’ambiguïté et réfléchit ainsi de manière pertinente sur le statut de l’image filmée. La figure même de Schwarzenegger, cette espèce de géant aux muscles hypertrophiés, vient renforcer l’impression d’irréalité d’un film qui ne se prend jamais totalement au sérieux, sauf peut-être dans son message politique séditieux.
Total Recall osait la violence… et Sharon Stone
Au-delà de cette richesse thématique, Total Recall demeure encore un divertissement exaltant, dynamité par des excès de violence graphique comme seul Paul Verhoeven osait le faire. Souvent très violent, le film propose quelques images très gore que l’on n’imagine plus trouver dans un blockbuster d’aujourd’hui. Autre point positif, la présence de Sharon Stone qui entamait ici une belle collaboration avec le réalisateur qui la révélerait au monde entier deux ans plus tard dans Basic Instinct. Déjà perverse et méchante, l’actrice fait preuve d’une vraie présence à l’écran, contrairement à la fade Rachel Ticotin qui semble faire tapisserie face à Schwarzy. Pour les méchants, Ronny Cox et Michael Ironside, deux acteurs habitués à ce type de rôle dans les années 80, sont absolument parfaits de veulerie.
Ayant été tourné à l’ère du pré-numérique, Total Recall a quelque peu vieilli dans ses effets spéciaux. Les nombreux décors – par ailleurs beaux et impressionnants – font parfois factices. Certaines transparences ne sont pas très heureuses, alors que les effets de maquillage de Rob Bottin tiennent encore largement la route de nos jours. Enfin, comme dans la plupart des films de SF, la vision du futur souffre de quelques incohérences visibles seulement de nos jours : ainsi les ordinateurs sont de grossières bécanes qui nous renvoient à la préhistoire de l’informatique alors que l’histoire est censée se dérouler en 2048. Mais passons sur ces éléments qui ne pouvaient pas être pris en compte à cette époque.
En l’état, le long-métrage est un excellent blockbuster, à la fois fun, divertissant et intéressant sur le plan thématique, très loin de la médiocrité de son remake de 2012, Total Recall : Mémoires programmées qui lui fut un lourd échec. Ayant glané plus de 260 millions de dollars dans le monde (2 362 915 spectateurs rien qu’en France, malgré une interdiction aux moins de 12 ans), il s’agit de l’un des titres de gloire de Schwarzenegger et une jolie date dans le genre de la SF.
Critique de Virgile Dumez