Œuvre expérimentale contestée et nihiliste, vouée à l’extinction, The House That Jack Built appartient à ces films testamentaires qui méritent de gratifier votre vidéothèque… Avec également Bruno Ganz, dans l’un de ses derniers long tournés avant son décès.
Synopsis : États-Unis, années 1970. Au gré d’une rencontre inopinée, Jack assassine une jeune femme. Ce premier « incident » est suivi de bien d’autres et c’est ainsi que Jack devient tueur en série. Mais tuer se révèle plus qu’un passe-temps : chacun de ses meurtres est pour lui une œuvre d’art en soi. Alors que l’inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher, il prend de plus en plus de risques pour créer son chef-d’œuvre ultime.
Critique : Gênant, viscéral hyper violent, le retour sur la Croisette de Lars von Trier en 2018 a choqué à raison les festivaliers et divisé la critique.
Les films dingues des années 2010
Le génie du cinéaste danois a été autant conspué qu’admiré, prouvant après le dérangé de l’entre-jambe Nymphomaniac que Trier ne peut et ne veut laisser quiconque indifférent, et que donc, il a encore toute sa place au sein de la cinématographie des grands. Pourtant, on admettra que The House That Jack Built n’a pas suscité le scandale escompté à Cannes et le rejet du public a été total dans le monde entier, notamment en France, où le film est passé inaperçu au box-office. Rejet de son sujet perturbant, angoissant, anxiogène, voire gore. Rejet de sa narration dérangeante (un psychopathe qui relate ses crimes, ou “incidents”, les uns après les autres, sur un ton maculé d’humour noir). Rejet d’une certaine misogynie peu digeste en l’ère #Metoo, le tout associé à sa durée de 2h20mn qui n’appelle pas à la rédemption quand on n’accroche pas.
The House That Jack Built : une œuvre de la démence dantesque
Pourtant, Lars von Trier, intransigeant, ne fait rien d’autre que poser une pierre de plus dans une carrière portée sur le nihilisme, avec son style visuel, ses douleurs et névroses, jusqu’à son final dantesque qui assomme dans ses vertiges graphiques.
Film de la démence, nouveau manifeste iconoclaste et testamentaire d’un artiste autodestructeur mais puissamment intelligent, The House That Jack Built est une architecture mentale que le spectateur ne peut aisément oublier s’il tente, lui aussi, de poser sa brique à l’édifice complexe de Jack et à son art du macabre qui interpelle la morale dans la complaisance.
Le test blu-ray
Après l’échec commercial de The House That Jack Built, Potemkine Films a édité une édition blu-ray digipack avec fourreau de toute beauté, au visuel différent du DVD, plus proche de la fresque macabre qu’est cette boucherie classée art et essai. Du très bon boulot jusqu’aux bonus, qui représentent tout de même 1h20 !
Attention, l’interdiction aux moins de 16 ans figure en gros sur l’emballage plastique, mais une fois le plastique ôté, celle-ci n’apparaît curieusement pas sur la jaquette. Et effectivement, cette descente en enfer est très loin d’être tous publics.
Compléments : 4 / 5
Trois interviews permettent d’approfondir le film sur 1h20mn. La première, nécessaire, mais qui a le rythme très lent du cinéaste, est essentiel pour obtenir des clés à la compréhension du film ; le réalisateur danois justifie notamment son approche explicite de la violence (34mn). La deuxième interview est celle du spécialiste en art pop expérimental Pacôme Thiellement, qui revient sur la figure du psycho killer ; il est suivi par un entretien avec le critique Stéphane du Mesnildot qui passe au crible l’œuvre du Danois fou depuis son premier long, The Element of Crime (1984), qui explorait déjà le genre du thriller.
Image : 4 / 5
Une belle image où la haute définition apporte une précision réelle au malaise de Lars von Trier qui gère remarquablement l’espace, jusque dans sa profondeur, pour accentuer l’aura de cauchemar. La restitution de son cinéma n’appelle pas à la perfection des canons des produits commerciaux et le détail aurait pu parfois être grossi, mais la copie est belle, avec une colorimétrie pas trop chargée et une esthétique froide qui hante les horreurs psychologiques de cette psychanalyse damnée.
Son : 4 / 5
DTS HD Master Audio, exclusivement en version originale, puisqu’il ne semble pas exister de version française du film, le distributeur Les Films du Losange ayant axé la carrière du Lars von Trier sur les salles art et essai. Le 5.1 pendant deux heures ressort essentiellement lors des inserts du Fame de David Bowie ou lors des éléments musicaux qui ponctuent le métrage, la dernière séquence, dite de “catabase”, donne lieu à une spatialisation plus marquée. Le blu-ray dispose aussi d’une piste stéréo.
Critique de Frédéric Mignard