Suite d’un succès phénoménal au box-office, Smile 2 est indéniablement une course à l’effroi, percutante et souvent brillante, même si son arrière-plan narratif (les coulisses de la préparation d’une tournée mondiale pop) peut paraître superficiel. En apparence toutefois, tant les lectures multiples du sous-texte sont riches et jubilatoires.
Synopsis : À l’aube d’une nouvelle tournée mondiale, la star de la pop Skye Riley (Naomi Scott) se met à vivre des événements aussi terrifiants qu’inexplicables.
Submergée par la pression de la célébrité et devant un quotidien qui bascule de plus en plus dans l’horreur, Skye est forcée de se confronter à son passé obscur pour tenter de reprendre le contrôle de sa vie avant qu’il ne soit trop tard.
©️ Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Critique : Film dingue, mais inlassablement joueur, Smile 2 – le sourire qui tue est bien la suite d’un énorme succès du cinéma horrifique. Son prédécesseur était un remake non avoué de Ring et autres japoniaiseries autour de malédictions surnaturelles à conjurer en refilant le mal à d’autre. Son succès avait tourné au phénomène dans le genre, en dépassant les 200M$ de recettes dans le monde, dont plus de cent millions de dollars amassés aux USA où le marché était laminé par la crise de la Covid 19. Au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, la production à petit budget de Paramount avait ni plus ni moins dépassé le million d’entrées, se hissant à tout jamais dans la liste des plus gros cartons jamais générés par une production de ce genre.
En tant que sequel qui se respecte, Smile 2 va donc plus loin, avec le talent indéniable d’un jeune cinéaste, Parker Finn, qui maîtrise le genre, et ose mettre en scène ses visions de cinéaste perturbé de la narration. Le budget semble avoir grossi, la mise en scène, glaciale, est somptueuse. D’aucuns l’accuseront de se regarder le nombril et de se laisser aller à la vanité de plans vertigineux. Le montage, lui-même élégamment élaboré et admirable, va faire tressaillir ceux qui ne jurent que par la sobriété. Smile 2, production saisissante, n’est pas là pour se la jouer sobre.
Retour sur Smile 1
En tant que deuxième volet qui doit aller beaucoup plus loin, Smile 2 a considérablement rajeuni sa cible. Un paradoxe, puisque l’on passe d’une interdiction aux moins de 12 ans à une interdiction aux moins de 16 ans en France, puisque de l’horreur viscérale et craspec, Smile 2 en a plein son sourire forcé, jouant la carte de l’efficacité redoutable dans l’horreur, voire la monstruosité qui fait du pied, ou du moins jette un rictus, à The Substance de Coralie Fargeat, qui est son cousin dégénéré d’un troisième âge ricanant. Quand The Substance, fable grotesque et jouissive joue du body-horror qu’ont érigé en art Frank Henenlotter (Basket Case, Elmer le remue méninges) et David Cronenberg dans les années 70 et 80, s’inspire de modèles antédiluvien, Smile 2 applique sa propre vision du body-horror, dans une jeunesse bien contemporaine, des personnages trop jeunes au premier abord.
©️ Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Effectivement, on retrouve dans cette suite l’environnement pop que M. Night Shyamalan avait débroussaillé deux mois avec Trap. Elle cracherait presque au visage des adultes, avec sa ribambelle de personnages superficiels et insipides, à l’image d’une époque d’influenceurs scotchés à leurs selfies : “souriez, vous êtes photographiés…” A la vie, à la mort.
Smile 2 ancre donc son récit dans l’horreur des pop stars faussement proprettes que sont les Taylor Swift, Ariana Grande, Sabrina Carpenter… Bref, des repoussoirs pour tout spectateur adulte qui se respecte qui ne peut envisager de se nourrir de fadeur érigé en tête d’affiche.
Pourtant, Parker Finn, comme son nom le suggère, est bien fin ; il est surtout fin connaisseur de l’Amérique de son époque, pays malade qu’il va disséquer, en s’attaquant méthodiquement aux maux d’une société névrosée, minée par l’épidémie des opioïdes, avec ses overdoses en série terrassant toutes les classes sociales. A l’instar du personnage principal, cela commence par des bobos physiques qu’il faut apaiser à coup d’anti-douleurs addictifs, et cela finit dans la crise paranoïaque et la démence. Et de démence, Smile 2 n’en manque pas, puisque le réalisateur-scénariste s’attaque à cette autre mal américain, la crise de la santé mentale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’équilibre psychologique de la protagoniste, ancienne droguée repentie, qui revient sur les devants de la scène après un accident de la route meurtrier, est pour le moins précaire.
Toutes ces crises qui gangrènent la chair et l’esprit se combinent dans un climat de paranoïa adroitement retranscrit. En lieu et place de jumpscares stériles, le film d’épouvante cérébral et physiologique de Parker Finn s’amuse à multiplier les hallucinations parfaitement chorégraphiées, qui ont l’ironie du sourire forcé et du rire jaune salvateur pour s’extirper des cauchemars assez traumatisants.
Naomi Scott dans Smile 2 – ©️ Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Smile 2 a la substance des films d’horreur à plusieurs niveaux de lecture
Smile 2 aime l’outrance et le mauvais goût, dans un écrin de luxe et un design froid et arrogant, faussement propret, qui est celui de sa propre réussite. Le scénario foutraque mais passionnant de Mister Finn est bâti sur un millefeuille de pistes, comme celle de la success-story à la Britney Spears, chanteuse adolescente dont on se souvient de la descente aux enfers dans les années 2000, avec une jeune star ici manipulée par une mère solidement jouée par Rosemarie DeWitt. Avec cette mère qui s’applique dans les coulisses à vouloir profiter de sa petite poule aux œufs d’or, dans son propre orgueil de matriarche à la vie personnelle ratée, l‘héroïne (jeu de mot dont on ne peut qu’être accro) porte toute la pression d’un environnement qui broie sa jeunesse sur l’autel de la réussite et du rêve américain ultime.
Smile 2 le sardonique déroule sciemment un chemin de croix inévitable à son égérie pop, avec en guise de progression narrative la mise à mort médiatique et professionnelle, en forme d’apothéose lors d’un final à la contagiosité sans limite et à l’ironie totale, qui explique bien deux heures dix d’un projet ambitieux qui, décidément, ne manque pas de choses à dire.
Lukas Gage “SMILE 2” ©️ Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Avec Paramount à ses côtés pour épauler son fantasme d’un biopic non avoué des dernières années de Michael Jackson et de sa tournée This is it, Parker Finn surprend. Si son jeune public n’y verra que du feu et que certains adultes regretteront l’absence de personnages qui ont un peu plus les pieds sur terre, pour notre part, on se soulignera l’incroyable prestation d’une actrice que l’on croyait fade, voire mauvaise. Naomi Scott, que l’on avait détestée en princesse Jasmine dans le nanar Disney Aladdin de Guy Ritchie, en 2019, est la révélation indéniable de ce projet malade. Quelle soit repentante, borderline, en crise, terrassée par ses propres démons mentaux ou par une entité diabolique réellement flippante, elle incarne avec brio les multifacettes d’une pop star adulée par des centaines de milliers de jeunes gens. Tour à tour capable de chorégraphies impériales sur scène ou d’afficher des fêlures profondes, lors des moments de déchirures plus intimistes, elle est surtout capable de sombrer dans des abîmes de douleurs, tour à tour physiques et mentaux, et ne cesse d’étonner par la variété de son talent.
La jeune star de ce sequel écrase à elle seule tout le reste du casting, et surtout de celui du premier Smile, dont on se souvient de l’interprétation terne de l’actrice personnelle Sosie Bacon. Les autres acteurs de Smile 1 étaient d’ailleurs à l’avenant, inexpressifs, sans âme… Avec Naomi Scott, cette suite a gagné en incarnation et en sous-texte.
Radical, Smile 2 est un film d’épouvante drôle et torturé, sardonique et perturbant, fallacieusement superficiel. On se repaît de son ironie, on applaudit le choix d’une jeune actrice loin d’être interchangeable, et surtout on ne peut que louer ses qualités de production horrifique percutante, dont l’efficacité ne transige nullement avec son intelligence. Dans le cadre d’un showbiz pop aux paillettes contemporaines gerbantes, cela relève de l’exploit.
Les sorties de la semaine du 16 octobre 2024
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Parker Finn, Rob Morgan, Kyle Gallner, Naomi Scott, Drew Barrymore