Silence de Martin Scorsese, réflexion sur la foi fascinante, est surtout une magistrale leçon de cinéma qui apaise dans sa ferveur et épate par son intelligence, au-delà de tout prosélytisme déplacé.
Synopsis : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.
© 2016 FM Films, LLC
Un projet de plus de 20 ans pour Martin Scorsese
Critique : Scorsese met sous Silence ses ambitions commerciales (Les infiltrés, Shutter Island, Hugo Cabret) avec un long métrage de 2h40m à contre-courant de la production américaine contemporaine. Loin de l’élan cool d’un Loup de Wall Street propice aux attentions des sphères jeunes des réseaux sociaux, le cinéaste délivre avec Silence (2017) une œuvre contemplative sur un sujet religieux et austère, peu fédérateur pour la clientèle des multiplexes. L’auteur revient en fait au spirituel de La Dernière tentation du Christ ou de Kundun, délaissant l’action, ici inexistante, malgré la présence -toutefois rare à l’écran- de Liam Neeson au casting. Il entretenait le projet d’une adaptation du roman de Shusaku Endo de 1966 depuis 1991, envisageant tour à tour des acteurs comme Daniel Day-Lewis, Benicio Del Toro et Gael Garcia Bernal, dans les rôles principaux, mais n’a finalement pu trouver les financements et lancer la production qu’en avril 2013. Il n’avait d’ailleurs pas encore achevé le tournage du Loup de Wall Street quand les premiers contrats ont été signés. Il devra néanmoins attendre un an et demi pour achever la course aux financements et démarré le tournage de ce film fleuve à Taiwan, en 2015.
Un traitement rigoureux du sentiment religieux
Malgré sa grande ferveur personnelle, il ne se laisse point aller aux bons sentiments chrétiens chers aux productions destinées aux apôtres du Tea Party américain, en lieu et place de leçon de catéchisme. Scorsese, le Croyant, mène une profonde réflexion personnelle sur la foi qu’il met en scène au XVIIe siècle, dans un contexte historique insolite pour nous Occidentaux, le Japon médiéval, insoumis face aux efforts de christianisation du Vatican. Le thème est passionnant, nous ramenant aux heures noires d’une conquête du globe par les Européens, en guise de prémices à une forme de mondialisation du culte.
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Silence puise sa force dans l’accomplissement d’une union entre ténèbres et lumières, un big bang né du choc des cultures qui se résistent, des fois qui se contredisent. L’épopée à la poésie biblique pose son combat sur la terre nippone où les nouveaux Chrétiens, fraîchement convertis par les missionnaires du bout du monde, sont humiliés, torturés, jusqu’à la renonciation de leur foi qui passe par l’outrage, le blasphème et le sacrilège de la part du Chrétien qui devra insulter son culte. Le supplice peut être plus élevé pour l’envahisseur catholique, crucifié. Psychologiquement, le prêtre, contraint à se détourner de sa croyance, si, philosophiquement, il en est capable, est conduit à un supplice japonais. En cela réside l’incroyable ressource narrative du film… la rétractation possible du mystique dans ses convictions comme suspense ultime. Cette dynamique sert de sujet métaphysique à un thriller original, où les mots, pensées et décisions sont extrêmement pesés, sur fond d’agonies sacrificielles, qui invitent à une réflexion universelle, peu importe ses convictions personnelles.
Un thriller portant la soumission mentale
Scorsese, visiblement tourmenté par les atrocités commises au nom de la foi dans les années 2010 – massacres de Chrétiens, guerres aux impies, terrorisme… – substitue à notre époque la barbarie de la période impérialiste du Christianisme chez les barbares japonais. A priori, la religion catholique y est dépeinte dans sa bonté et sa générosité… le grand inquisiteur est à trouver du côté du peuple à assouvir par sa croyance, un peuple éclaté en îles et villages où les ténèbres de l’isolement, de l’ignorance, et de la répression font régner un sentiment prégnant de peur.
Las de tout manichéisme, Silence de Martin Scorsese étire la pensée religieuse à son paroxysme, confrontant les dogmes, exposant les contradictions, et surtout faisant montre de la relativité des cultes et cultures qu’il renvoie à l’intimité, à l’individualité, au respect des différences et du pluralisme. Une approche salutaire lors d’une décennie de tous les dangers où l’obscurantisme se réappropriait la raison pour réimposer les hiérarchies des cultes.
Affiche teaser © Metropolitan FilmExport © 2016 FM Films, LLC
Un Silence de mort aux Oscars
De ce voyage plus métaphysique qu’ésotérique transparaît un formidable sentiment d’apaisement, où les convictions de chaque spectateur sont préservées, sur fond de cinéma total, celui d’un maître du visuel et de l’art narratif, qui parvient encore à nous surprendre par la puissance cinégénique de ses transes. Les nouvelles recrues que sont Andrew Garfield et Adam Driver épousent la rigueur de son cinéma, avec une fièvre similaire à celle des DiCaprio et De Niro en leurs temps.
Relevant du miracle, Silence a prolongé l’aura du réalisateur de Taxi Driver sur la cinématographie indépendante américaine, nonobstant le désaveu commercial du film aux USA où même les Golden Globes et surtout l’Académie des Oscars le désavoueront, avec une minuscule nomination technique pour ces derniers. Depuis, le pays de l’auteur s’est enferré dans le complotisme, l’obscurantisme et la haine trumpistes. Et Scorsese a réalisé l’un de ses pires films pour la plateforme Netflix. On en reste coi.
Sorties de la semaine du 8 février 2017
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