Plongée au cœur d’une machine totalitaire criminelle, Rendez-vous avec Pol Pot mêle adroitement fiction, images d’archives et évocation poétique dans une écriture parfaitement maîtrisée. Le résultat est exigeant, mais ô combien enthousiasmant.
Synopsis : Cambodge en 1978, trois journalistes français sont invités par les Khmers rouges à réaliser une interview exclusive du chef du régime, Pol Pot. Le pays semble idéal. Mais derrière le village Potemkine, le régime des Khmers rouges décline et la guerre avec le Vietnam menace d’envahir le pays. Le régime cherche des coupables, menant en secret un génocide à grande échelle. Sous les yeux des journalistes, la belle image se fissure, révélant l’horreur. Leur voyage se transforme progressivement en cauchemar.
Inspiré d’une histoire vraie…
Critique : Séduit par le livre témoignage Les Larmes du Cambodge : l’histoire d’un autogénocide d’Elizabeth Becker, le cinéaste Rithy Panh trouvait cette histoire vraie parfaite pour illustrer les dérives totalitaires du régime khmer rouge. Effectivement, la journaliste a été conviée à rencontrer le dictateur Pol Pot quelques jours seulement avant la chute du régime en 1978. La reporter était accompagnée d’un photographe américain et d’un idéologue écossais favorable au régime, mais l’aventure a tourné au drame.
Traumatisé par le génocide cambodgien qu’il a vécu dans sa chair en perdant une grande partie de sa famille, le réalisateur Rithy Panh souhaitait initialement reconstituer toute cette histoire dans une œuvre de fiction ample. Pourtant, cela aurait nécessité des moyens qui ne sont aucunement à sa portée. Plutôt que d’abandonner, le réalisateur a choisi de contourner les difficultés financières en réfléchissant aux moyens à sa disposition pour transposer au mieux cette intrigue. Ainsi, il a eu recours à des petites figurines en argile pour évoquer les passages nécessitant des moyens conséquents, tandis qu’il insère des images d’archives pour compenser les manques de sa reconstitution historique.
Rendez-vous avec Pol Pot, une œuvre-somme
Avec Rendez-vous avec Pol Pot, Rithy Panh opère donc une synthèse saisissante de toute son œuvre passée. Ainsi, il aborde à nouveau la fiction, mais en incrustant dans les plans des images d’archives réelles et en retrouvant la technique d’animation de figures d’argile déjà à l’œuvre dans son documentaire L’image manquante (2013). Il nous propose de suivre le périple de trois Français qui correspondent parfaitement à leurs modèles historiques. Parmi eux, on trouve une journaliste consciencieuse – très juste Irène Jacob – un photographe un peu trop curieux – parfait Cyril Gueï – et un idéologue communiste qui rêve de voir la révolution prolétarienne en action – Grégoire Colin au rôle complexe.
Sans jamais chercher l’épate visuelle ou l’esbroufe d’un cinéma d’aventure, Rithy Panh aborde l’horreur du régime khmer avec une réelle dignité et une qualité d’écriture remarquable. Comme les témoins venus visiter les fermes collectives modèles du régime, le spectateur découvre petit à petit la réalité d’un pouvoir autoritaire qui terrorise la population. La visite offerte aux Occidentaux prend rapidement l’allure d’une vaste blague tant les ficelles s’avèrent grotesques. Les travailleurs présentés n’osent pas parler et semblent tétanisés face à ceux que l’on peut appeler leurs bourreaux.
Derrière la propagande, l’horreur
Dans Rendez-vous avec Pol Pot, l’atmosphère devient rapidement irrespirable tant l’ensemble du long métrage fonctionne sur un vaste mensonge propagandiste. Petit à petit, le cinéaste démonte la mécanique du totalitarisme communiste et en révèle les rouages insidieux. Puisque seule la collectivité révolutionnaire compte, alors la vie humaine individuelle n’a plus aucune valeur. Dès lors, peu importe que vous soyez protégés par votre statut de journaliste ou d’Occidental puisque la folie meurtrière s’est emparée du système entier.
Si le spectateur s’attache immédiatement aux pas des deux journalistes qui mettent rapidement à jour la supercherie, on doit saluer la performance de Grégoire Colin qui offre à son personnage une très belle évolution intellectuelle. L’homme, complètement aveuglé par son idéologie, prend peu à peu conscience de l’ampleur de son erreur. L’entretien final avec Pol Pot resté dans l’ombre (on pense alors au colonel Kurtz d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola) fait froid dans le dos tant il montre la folie aveugle de ces hommes hors de toute réalité. Pendant ce temps, un peuple entier a été massacré avec une estimation comprise entre 1,5 à 2 millions de morts. Il ne faut donc jamais oublier cette énième page sombre de l’histoire du communisme, idéologie mortifère qui a entrainé la mort de plusieurs dizaines de millions de victimes depuis sa création.
Un film mémoriel essentiel, mais peu vu lors de sa sortie
C’est ce que nous montre avec une dignité absolue Rendez-vous avec Pol Pot, une œuvre puissante et admirable qui ne cherche justement jamais à avoir recours au chantage émotionnel. De manière adroite, le long métrage cherche au contraire à saisir ce qui se cache derrière les images de propagande générées par le régime. En cela, on adore cette séquence où les ouvriers peignent des grands panneaux représentant des paysages luxuriants afin de masquer la réalité moins favorable au régime. L’ironie sous-jacente fait d’ailleurs froid dans le dos quand on sait que cela a pour vocation de masquer des massacres de masse.
Réalisé par un cinéaste désormais pleinement maître de son art, Rendez-vous avec Pol Pot a été présenté dans la section Cannes Première du Festival de Cannes 2024, avant d’être proposé en salles au début du mois de juin suivant. Diffusé de manière assez surréaliste dans 167 cinémas, le long métrage n’a attiré que 22 975 curieux lors de sa semaine d’investiture. Pourtant, Dulac Distribution a injecté encore plus de copies en montant à 206 salles en deuxième septaine, ce qui n’a pas empêché une chute de 38 % des entrées avec seulement 14 182 retardataires. Cette fois, la troisième semaine voit une chute d’environ 50 % et seuls 7 629 rescapés ont fait le déplacement. Finalement, le métrage a terminé sa carrière au bout de dix semaines, cumulant 52 736 entrées. Désormais, le film d’art et essai est disponible en DVD et VOD.
Critique de Virgile Dumez
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Rithy Panh, Grégoire Colin, Irène Jacob, Cyril Gueï
Mots clés
Cinéma français, Drame historique, Les génocides au cinéma, La dictature au cinéma, Films sur le journalisme