En réduisant la vie de Napoléon à une succession d’événements sans lien autre que sentimental, Ridley Scott est passé à côté de son sujet et livre une œuvre désincarnée, inintéressante et mal interprétée. Un sacré fiasco !
Synopsis : Fresque spectaculaire, Napoléon s’attache à l’ascension et à la chute de l’Empereur Napoléon Bonaparte. Le film retrace la conquête acharnée du pouvoir par Bonaparte à travers le prisme de ses rapports passionnels et tourmentés avec Joséphine, le grand amour de sa vie.
Napoléon, une version cinéma loin d’être définitive
Critique : La mise en route de ce Napoléon (2023) a été plutôt rapide pour une production d’une telle ampleur – on parle tout de même d’un budget conséquent tournant autour de 200 millions de dollars. En fait, le projet initié en 2020 n’aurait clairement pas pu voir le jour sans l’apport fondamental d’Apple Studios qui s’est d’ailleurs réservée la primeur d’une version longue du film de plus de quatre heures qui sera diffusée prochainement sur leur plateforme Apple TV+.
Pour Ridley Scott, cinéaste majeur qui atteint tout de même l’âge respectable de 85 ans, il s’agit d’un véritable rêve de gosse que de pouvoir porter à l’écran l’épopée napoléonienne. Si ce sujet historique pouvait étonner de la part d’un cinéaste d’origine britannique, Scott nous a habitué à se sortir de sacrées gageures en matière de film historique. Ainsi, il fut autrefois diablement inspiré par l’époque moyenâgeuse si l’on en juge par son excellent travail sur Kingdom of Heaven (2005) et plus récemment sur Le dernier duel (2021). Toutefois, le cinéaste pêche souvent par excès de rapidité et peut également nous décevoir à intervalles réguliers.
Napoléon réduit à sa fiche Wikipédia
Malheureusement, la version courte de Napoléon (2h38min tout de même) actuellement proposée en salles est loin d’être enthousiasmante, aussi bien sur le plan historique que cinématographique. Effectivement, en voulant embrasser l’ensemble de la riche carrière de celui qui fut général, consul, puis empereur, Ridley Scott a sans aucun doute vu trop grand. En réalité, on accusera surtout le scénario inepte de David Scarpa (qui ne s’est guère illustré jusque-là puisque Tout l’argent du monde ne fait pas partie des grandes réussites de Ridley Scott). L’auteur semble avoir recopié servilement une fiche Wikipédia, établissant une liste de tous les événements marquants de la vie de Napoléon et leur attribuant ensuite cinq minutes de film chacun.
Afin de donner l’illusion d’un semblant d’écriture, David Scarpa n’a rien trouvé de mieux que de donner corps à l’amour entre Napoléon et Joséphine de Beauharnais et de construire toute la colonne vertébrale du film autour de leur relation houleuse. Bien évidemment, cette épine dorsale un peu faible ne justifie aucunement toutes les séquences de bataille et surtout l’abandon par les auteurs de tout contexte géopolitique pour lui préférer une romance à deux balles dont on se serait bien passé. Au lieu d’humaniser Napoléon, cette romance détourne le spectateur de l’essence même du personnage dont les actes nous échappent complètement.
Une romance qui interdit toute réflexion politique conséquente
En découpant ainsi son film, Ridley Scott le condamne non seulement à l’illustration plate de moments iconiques, mais aussi à créer des raccourcis narratifs qui entraînent parfois des contresens quant à la politique et même la personnalité de Napoléon. Même si l’on reconnaît le droit d’un auteur à prendre des libertés avec le matériau historique, que dire du déplacement de la mort de Joséphine de plus d’un an pour la faire coïncider avec le retour de Napoléon lors de l’épisode des Cent Jours ? De manière malhonnête, les auteurs laissent entendre que Napoléon serait revenu en France par amour, alors que sa dulcinée était décédée depuis un an déjà. Le reste du film est à l’avenant et ne propose que des approximations et un flou artistique certain quant aux motivations des personnages.
Visiblement conscient de cette écriture déficiente, Joaquin Phoenix a émis des doutes en début de tournage quant à sa capacité à incarner un homme qu’il n’arrivait pas à cerner. On confirme ici que l’acteur ne sait pas quoi faire de ce personnage trop grand pour lui. Le regard perdu, comme écrasé par le poids du rôle, Joaquin Phoenix – qui nous a bluffé dans Joker – fait la tronche pendant tout le film sans jamais dégager le moindre charisme. Son Napoléon en est réduit à être un personnage vulgaire, mal élevé (ce qui est plus ou moins vérifié), mais qui ne génère jamais le respect, à tel point qu’on se demande bien comment ses hommes peuvent le suivre dans son aventure européenne.
Seules les scènes de batailles tiennent la route
Face à lui, l’actrice britannique Vanessa Kirby est mieux servie et se trouve être le seul véritable atout côté casting. Dans la version courte, aucun personnage secondaire ne sort du lot puisqu’ils n’ont chacun que des scènes courtes et peu dialoguées. On ne s’attache aucunement à Barras (Tahar Rahim, perdu au milieu des autres) et l’on ne verra même pas Ludivine Sagnier qui est bien créditée au générique alors que toutes ses scènes ont été écartées de la version salle.
Pour se consoler d’un tel marasme, il reste les scènes de batailles qui sont globalement bien fichues grâce à des moyens considérables et un talent visuel de Ridley Scott qui rejaillit ici à intervalles réguliers. Même si on est loin de la mythique séquence d’Alexandre Nevski (Eisenstein, 1938), la bataille d’Austerlitz qui se termine sur la glace est un beau moment de cinéma. On se dit alors que Napoléon va enfin décoller, mais les scènes suivantes retombent dans l’illustratif pur et simple. Même la retraite de Russie n’a droit qu’à deux minutes à l’écran alors que ce moment est fondamental pour expliquer la suite des événements.
Napoléon version salle, une ébauche ?
Loin de nous l’idée de condamner d’avance l’entreprise générale de ce Napoléon qui, dans sa version longue devrait durer plus de quatre heures. Peut-être alors la vision de Ridley Scott nous apparaîtra-t-elle pleinement ? Pour l’heure, le spectacle proposé en salles ressemble davantage à une ébauche, un vague brouillon un peu trop scolaire, fort mal construit et qui ne rend aucunement hommage au travail réalisé sur les costumes, les décors et la photographie.
En sortant de ce Napoléon, le spectateur aura surtout le sentiment qu’il n’a toujours rien compris à l’homme, encore moins au réformateur de génie (pas une mention du Code Civil et des modifications fondamentales de nos institutions) et certainement pas non plus au stratège militaire. En définitive, en souhaitant aborder l’intégralité de la geste napoléonienne, Ridley Scott est consciencieusement passé à côté de son sujet. Un comble !
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 22 novembre 2023
Biographies +
Ridley Scott, Ludivine Sagnier, Vanessa Kirby, Joaquin Phoenix, Tahar Rahim, Rupert Everett
Mots clés
La Révolution française au cinéma, Fresque historique