Meurtre est l’une des plus belles réussites d’Alfred Hitchcock à la naissance du cinéma parlant grâce à une réalisation expressionniste qui conserve des traits du septième art muet. A (re)découvrir en salles.
Synopsis : Un acteur est choisi comme membre d’un jury au cours du procès d’une jeune femme accusée d’avoir assassiné une amie. Convaincu de l’innocence de la jeune femme, l’acteur décide de prouver son innocence en recherchant le véritable assassin.
Un style expressionniste encore présent malgré les contraintes sonores
Critique : Au tout début du parlant, Alfred Hitchcock connaît une période d’incertitude où il accepte notamment les commandes de la compagnie British International Pictures qui entendait exploiter au plus vite cette nouveauté technique. Parmi les premières œuvres sonores d’Hitchcock, Meurtre (1930) est sans aucun doute l’une de ses plus belles réussites. Tout d’abord parce qu’il aborde ici un genre qui lui va comme un gant, à savoir le film policier, et notamment le whodunit. Ensuite parce qu’il ne va pas être limité par l’aspect théâtral du matériau d’origine.
Effectivement, Meurtre est inspiré de Enter Sir John, un roman de Clemence Dane et Helen Simpson. Même si le cinéaste s’avère contraint par un système sonore qui n’est pas encore totalement au point, imposant parfois des plans statiques, Hitchcock reprend un style qui a fait le succès de son chef d’œuvre Les cheveux d’or (The Lodger, 1927), à savoir un style expressionniste notamment dans la conception des décors dus à John Mead. Ainsi, dès la première séquence, le spectateur est plongé dans une ambiance sombre où la caméra virtuose du cinéaste parcoure les façades des maisons tandis que résonne le cri d’une femme dans le lointain.
Du film de procès au pur whodunit
La suite peut sembler un peu plus routinière lorsque le long métrage se mue en un film de procès dans le style de 12 hommes en colère (Sidney Lumet, 1957). Effectivement, tout accuse la jeune Diana (Norah Baring, sans grand charisme) du meurtre d’une rivale sur le plan amoureux. Dès lors, le jugement semble écrit d’avance, même si l’acteur John Menier (un excellent Herbert Marshall dans l’un de ses premiers rôles à l’écran) doute des évidences. A partir de là, l’homme, aidé d’un régisseur malin (très bon Edward Chapman) et de son épouse délurée (amusante Phyllis Konstam), vont se mettre à la recherche du véritable coupable du meurtre en question.
© Carlotta Films / Affiche : Jennifer Dionisio pour Darkstar, l’étoile Graphique. Tous droits réservés.
Dès ce film séminal, on retrouve les thèmes chers au futur auteur du Faux coupable (1956), à savoir l’erreur judiciaire et la lutte d’un innocent pour prouver sa bonne foi. Certes, Alfred Hitchcock ne semble pas vraiment croire en son intrigue principale, mais il l’agrémente justement d’éléments personnels qui lui donnent tout son sel. Tout d’abord, il fait souvent preuve d’un humour à froid so british qui sera ensuite sa marque de fabrique.
L’un des premiers films à évoquer, sans la nommer, l’homosexualité
Ensuite, il ose déjouer la censure de l’époque en clamant qu’un des personnages doit cacher sa condition de métis. Or, le spectateur contemporain verra immédiatement que ce protagoniste est assurément un homosexuel jouant les travestis au théâtre et dont les postures efféminées (habilement évoquées par l’acteur Esme Percy) ne peuvent laisser de doute. On retrouve ici un thème qui sera encore plus prégnant dans le futur chef d’œuvre d’Hitchcock La corde (1948). D’ailleurs, on peut estimer que Meurtre fait partie des premiers films britanniques à sous-entendre une sexualité différente de la norme.
Outre cette audace, le cinéaste termine son film avec une brillante séquence de suspense se déroulant lors d’une représentation de cirque. On songe dès lors aux fins spectaculaires postérieures de L’homme qui en savait trop (1956) ou encore de L’inconnu du Nord-Express (1951). Meurtre s’avère donc d’une belle efficacité, même si parfois limité dans sa réalisation par les contraintes sonores de l’époque. Assurément, il contient en germe tout ce qui fera le sel d’une œuvre en devenir.
Meurtre, un film disponible en vidéo, mais à redécouvrir en salles
Pour être complet, signalons que le film a été tourné simultanément en allemand avec un casting différent, mais dans les mêmes décors par Hitchcock lui-même. Cette version allemande est connue dans sa filmographie sous le titre Mary (1930). Resté inédit durant les années 30 en France, Meurtre est finalement sorti lors d’une rétrospective le 6 octobre 1976 en même temps qu’A l’est de Shanghai (1931). Par la suite, Meurtre a été exploité dans la vaste collection VHS consacrée à Alfred Hitchcock par les éditions Atlas dans les années 90, avant d’être édité par Studiocanal en DVD à la fin des années 2000 et plus récemment en blu-ray (2021).
Malgré ces multiples possibilités de découvrir le long métrage, Meurtre est repris en salle par Carlotta Films dans sa rétrospective de 10 films de jeunesse du maitre du suspense à partir du 2 avril 2025. Il rejoint ainsi Le Masque de cuir (1927), Laquelle des trois ? (1928), À l’américaine (1928), The Manxman (1929), Chantage (1929), Junon et le paon (1930), The Skin Game (1931), À l’est de Shanghai (1931) et Numéro 17 (1932), dont il constitue l’une des plus belles réussites.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 octobre 1976
Les sorties de la semaine du 2 avril 2025
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© 1930 Studiocanal Limited / Affiche : Jennifer Dionisio pour Darkstar, l’étoile Graphique. Tous droits réservés.
Biographies +
Alfred Hitchcock, Herbert Marshall, Edward Chapman, Phyllis Konstam
Mots clés
Cinéma britannique, Policier, L’injustice au cinéma, Les premiers films sur l’homosexualité