Adaptation un peu trop statique d’une pièce de théâtre, The Skin Game est une œuvre mineure d’Alfred Hitchcock, mais qui demeure intéressante à découvrir pour tout cinéphile qui se respecte.
Synopsis : Les Hillcrist, riches propriétaires terriens voient leur environnement transformé par l’installation d’un industriel, M. Hornblower. Celui-ci bouleverse le calme bucolique de la région avec ses usines. Lorsqu’un terrain mitoyen de la propriété des Hillcrist, la Gentry, est mis en vente, ils s’affrontent dans une vente aux enchères, remportée par Hornblower…
Le remake parlant d’un ancien film muet
Critique : Lorsqu’il aborde la réalisation de The Skin Game (1931), Alfred Hitchcock se trouve à un moment quelque peu incertain de sa carrière. Effectivement, le réalisateur a débuté à l’époque du muet où il a pu signer un chef d’œuvre majeur intitulé Les cheveux d’or (The Lodger, 1927) où il a mis en application les recettes de l’expressionnisme avec un talent fou. Ensuite, il s’est encore distingué avec Chantage (1929), mais le passage au parlant semble moins probant. Il faut dire que le réalisateur travaille alors pour la British International Pictures (BIP) qui entend exploiter la révolution du sonore au maximum. Comme bon nombre de ses collègues de l’époque, Alfred Hitchcock doit donc accepter de réaliser des adaptations de succès théâtraux pour mettre en évidence le procédé sonore, plutôt que la maestria visuelle.
Le voilà donc en charge de tourner une version parlante du film The Skin Game (B.E. Doxat-Pratt, 1921), par ailleurs une adaptation de la pièce à succès écrite par John Galsworthy en 1920. Afin de s’assurer un succès immédiat, le cinéaste choisit de reconduire le comédien Edmund Gwenn qui a créé le rôle de l’industriel Hornblower sur les planches. Il l’oppose au comédien de théâtre chevronné C.V. France qui joue donc le rôle de son antagoniste Hillcrist, et convoque aussi Helen Haye dans le rôle de son épouse (elle-même étant déjà du casting théâtral).
Un drame typique de l’époque à l’aspect trop théâtral
Car The Skin Game n’est aucunement un polar ou un thriller, mais bien un drame qui oppose deux voisins richissimes dont l’un veut développer économiquement la région en industrialisant les lieux, tandis que l’autre est un vieil aristocrate qui souhaite conserver l’héritage de ses aïeux. A partir de là, la rivalité va prendre des proportions terribles qui iront jusqu’au déshonneur et, pire, à la mort d’un protagoniste tiers. Sur le modèle éprouvé du mélodrame, le film déploie une histoire qui s’avère intéressante grâce à l’implication de tous les acteurs, très bien dirigés. On peut également trouver quelque résonnance avec notre présent dans cette opposition entre tenants de l’écologie et adeptes de la modernisation à tout prix.
© Carlotta Films / Affiche : Jennifer Dionisio pour Darkstar, l’étoile Graphique. Tous droits réservés.
Toutefois, la limite principale de The Skin Game tient en son aspect théâtral que le jeune Hitchcock tente de masquer sans pleinement y parvenir. Les entrées et sorties des personnages évoquent inévitablement le découpage des pièces en différentes scènes et la caméra s’avère souvent statique, notamment à cause de la prise de son compliquée qui empêchait l’équipe de se déplacer sur le plateau, sans interférer avec la piste sonore. Les seuls moments où Hitchcock se fait plaisir interviennent lors des quelques extérieurs muets où il utilise de beaux mouvements de caméra. Dès que le son refait son apparition, le statisme s’impose.
Une rareté à redécouvrir en salles grâce à Carlotta Films
Cependant, cela n’empêche nullement le cinéaste de s’amuser, notamment lors de la séquence de vente aux enchères où il se sert habilement d’un montage très cut pour créer un réel suspense fonctionnant à plein régime. On peut donc légitimement estimer que The Skin Game est une œuvre mineure au sein du brillant corpus du cinéaste, sans pour autant être déshonorant puisque le film se suit de manière agréable de bout en bout. Il ne faut tout simplement pas attendre grand-chose d’exceptionnel et se souvenir des conditions complexes dans lesquelles ont été réalisées ces premières bandes sonores, avec des contraintes techniques particulièrement difficiles.
Selon Encyclociné, le film aurait été distribué en province en France dans les années 30, mais sa sortie parisienne, elle, est totalement exclue. Depuis, le long métrage a été édité par Studiocanal en 2005 dans un coffret DVD intitulé Alfred Hitchcock – Les premières œuvres – 1929-1931. Toutefois, il est proposé pour la première fois en salles en France à partir du mercredi 2 avril 2025 par Carlotta Films pour quelques séances ponctuelles au Pathé Les Fauvettes ou encore au Champo – Espace Jacques Tati, ainsi que dans quelques cinémas de province.
Ceci dans le cadre d’une rétrospective de dix films comprenant également Le Masque de cuir (1927), Laquelle des trois ? (1928), À l’américaine (1928), The Manxman (1929), Chantage (1929), Meurtre (1930), Junon et le paon (1930), À l’est de Shanghai (1931) et Numéro 17 (1932). The Skin Game mérite un coup d’œil, essentiellement réservé aux complétistes souhaitant tout découvrir du maître du suspense.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 2 avril 2025
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© 1931 Studiocanal Limited / Affiche : Jennifer Dionisio pour Darkstar, l’étoile Graphique. Tous droits réservés.
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Alfred Hitchcock, John Longden, Edmund Gwenn, C.V. France
Mots clés
Cinéma britannique, Drame, Le chantage au cinéma, Le suicide au cinéma, Carlotta Films