Polar classique et rigoureux qui flingue une certaine bourgeoisie provinciale, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre s’impose comme un volet réussi de la saga portée par Jean Gabin.
Synopsis : Le commissaire Maigret reçoit chez lui la visite d’une amie, la Comtesse de Saint-Fiacre qu’il n’avait pas vue depuis quarante ans. Elle vient lui montrer une lettre anonyme qui lui annonce sa propre mort, laquelle aurait lieu le lendemain. Maigret l’accompagne le soir même en son château. Il éprouve une sensation pesante dans cette bâtisse délabrée. Le lendemain matin, on découvre la Comtesse morte. Le médecin conclut à un décès naturel mais Maigret déclare : non c’est bien un crime…
Gabin et Delannoy de retour après un premier volet lucratif
Critique : En 1958, le réalisateur Jean Delannoy et la star Jean Gabin connaissent un énorme succès avec une première adaptation de Simenon mettant en vedette le commissaire Maigret. Réunissant plus de 3 millions de spectateurs dans les salles françaises, Maigret tend un piège s’est même positionné à la 14ème marche du podium annuel. De quoi susciter l’envie d’une suite que le producteur Jean-Paul Guibert appelle de ses vœux.
Toutefois, il se heurte au refus initial de Jean Delannoy et Jean Gabin qui ne souhaitent pas se laisser enfermer dans une franchise qui les accaparerait. Visiblement persuasif – en promettant sans aucun doute une revalorisation salariale – Jean-Paul Guibert parvient finalement à convaincre les deux hommes qui rempilent, ainsi que Michel Audiard pour un deuxième volet très attendu par le grand public.
Une critique acerbe de la bourgeoisie provinciale
Cette fois, les artistes envisagent d’adapter un roman de 1932 intitulé L’affaire Saint-Fiacre où Maigret retrouve une ancienne connaissance dans le village imaginaire de Saint-Fiacre. Simenon s’était inspiré du village de Paray-le-Frésil, non loin de Moulins, pour créer ce lieu typique de la petite province française. Il fait s’y dérouler une intrigue qui implique le commissaire de manière indirecte puisqu’il se trouve bien loin de sa juridiction. L’intérêt du livre vient de sa description assez sombre et sans concession d’une certaine bourgeoisie provinciale qui ne songe qu’à préserver les apparences.
Michel Audiard a d’ailleurs conservé cette particularité du roman initial, injectant une bonne dose de fiel dans ses dialogues, plutôt vachards envers une certaine aristocratie décadente. Jean Delannoy nous plonge dans une atmosphère de fin de règne où les anciens aristocrates se font dépouiller de leurs biens par des êtres veules et intéressés. Cette ancienne aristocratie terrienne est clairement en voie de disparition (symbolisée ici par la disparition de la comtesse incarnée avec talent par Valentine Tessier), d’autant que les descendants dilapident l’argent dans une société de consommation qui les laisse sans un sou. On adore d’ailleurs la prestation de Michel Auclair en jeune rentier condescendant, mais conscient de sa propre décadence.
Chronique des petites bassesses humaines
Autour de cette élite moribonde gravite un petit peuple d’envieux qui ont sans aucun doute un lien avec le meurtre de la vieille aristocrate. Parmi eux, Robert Hirsch compose un gigolo pathétique avec juste ce qu’il faut de fausseté, mais on apprécie également Paul Frankeur en médecin peu regardant.
Dans ce grand bal des faux-culs, le commissaire Maigret se balade avec nonchalance, tout en déployant une langue vipérine qui ravira tous les amoureux d’un verbe acerbe. Taillés sur mesure par Audiard pour l’ogre Jean Gabin, les dialogues sont absolument savoureux et participent grandement à la jubilation ressentie par le spectateur. Ce jeu de massacre débouche sur une scène de repas final où l’on retrouve l’influence d’Agatha Christie. Il s’agit ici de réunir l’intégralité des protagonistes pour dévoiler l’identité du coupable. Certes classique, le whodunit est parfaitement maîtrisé par un Jean Delannoy inspiré, d’autant que la révélation finale arrive encore à nous surprendre.
Un nouveau succès pour Gabin
Réalisé de manière classique, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre (1959) appartient de manière évidente à un certain cinéma issu de la qualité française. Toutefois, il procure encore beaucoup de plaisir grâce à la maestria des acteurs impliqués, tous formidables, et à l’excellente tenue du scénario.
Maigret au cinéma
Sorti au mois de septembre 1959, le long-métrage trouve son public en devenant leader des entrées sur Paris durant deux semaines d’affilée (il est alors à l’affiche du Berlitz, du Wepler et du cinéma Le Paris). Il fait alors face à la nouveauté Hercule et la reine de Lydie. Il fonctionne également beaucoup en province, au point de dépasser les 2,8 millions de spectateurs, légèrement en retrait par rapport au premier opus, mais dans des eaux très satisfaisantes. Maigret et l’affaire Saint-Fiacre a ensuite été un champion des diffusions télé, tout en étant régulièrement édité, aussi bien en VHS qu’en DVD. Dernièrement, il a rejoint la prestigieuse collection Coin de mire avec ses magnifiques mediabooks.
Critique de Virgile Dumez