Madame de… est, avec Lola Montès, le plus beau film de Max Ophuls : une tragédie des sentiments magnifiée par l’interprétation légendaire de Danielle Darrieux.
Synopsis : Pour payer une dette de jeu, Madame de… vend les boucles d’oreille en forme de cœur que son mari lui a offertes. Quelque temps plus tard, le baron Donati dont elle est amoureuse lui fait cadeau des mêmes boucles d’oreille.
« Je ne vous aime pas, je ne vous aime pas, je ne vous aime pas… »
Critique : Adapté d’un roman à succès de Louise de Vilmorin à l’aide de la scénariste Annette Wademant, dialogué par le subtil boulevardier Marcel Achard, Madame de... avait toutes les autres apparences de la production commerciale de prestige des années 50 : un trio de stars au firmament, un récit romanesque, des décors luxueux de Jean d’Eaubonne, des costumes d’époque de Georges Annenkov et Rosine Delamare… Bref, tout ce qu’un certain François Truffaut dénigrera dans un célèbre article vilipendant les artifices du « cinéma de scénaristes » de la Qualité française aurait pu imprégner l’écran. Le public fut séduit sans faire toutefois un triomphe au film, la critique de l’époque fit la moue. En fait Madame de…, sans doute l’œuvre la plus touchante de Max Ophuls, ne saurait être assimilée avec le tout-venant de cette production pré-Nouvelle Vague, incarnée pour le mieux par Claude Autant-Lara (Le Rouge et le Noir) ou René Clément (Gervaise), et pour le pire par Jean Delannoy (La Princesse de Clèves) ou Richard Pottier (Caroline chérie).
Et à l’instar du couple formé par le général (Charles Boyer) et Louise, le film n’est que « superficiellement superficiel ». Poursuivant la peinture des désillusions amoureuses au centre de Lettre d’une inconnue, La Ronde et Le Plaisir, Ophuls narre la métamorphose d’une jeune femme bourgeoise ne trouvant un sens à sa vie qu’à travers des achats de toilettes et la fréquentation de bals où de plus ou moins séduisants soupirants lui font une cour assidue ou éphémère. « Je dois vous prévenir, je suis paraît-il d’une coquetterie infernale ». La rencontre du bel ambassadeur aux tempes grises (Vittorio De Sica) est le détonateur de l’éveil d’un sentiment amoureux qu’elle ne semblait plus éprouver depuis belle lurette.
Madame de… ou les vertiges de l’amour
Une valse, deux valses, un jour, une semaine… « On ne danse plus à Paris » ? – C’est pour vous laisser le temps de faire de la politique étrangère ». Au fil des soirs, la futilité de la drague fait vite place à l’amour naissant et aux dangers du risque imminent : « Vous ne me demandez pas des nouvelles de mon mari ? – Non… – Vous avez raison, il rentre demain ». La ronde du rapprochement sentimental transforme Louise : la séductrice frivole devient une femme consumée par la passion amoureuse. Mais le bonheur implose en plein vol, les petits mensonges des compromissions et l’ordre moral imposé par Monsieur l’éloignant inexorablement du baron. « La femme que j’étais a fait le malheur de celle que je suis devenue », susurre Louise à sa fidèle nounou (Mireille Perrey), qui assiste à la décomposition physique et morale de l’éternelle midinette des soirées mondaines. La force du scénario est d’avoir incrusté le « MacGuffin » des boucles d’oreille : objets de luxe source de gains et de déclarations de flammes amoureuses, passant de mains en mains, de Paris à Istanbul, et occasionnant à plusieurs reprises une marge au bijoutier de la famille (Jean Debucourt). Au fil de l’évolution psychologique de Louise, elles deviennent un fétiche dont on ne peut se séparer, puis une relique religieuse.
Critique de Gérard Crespo