L’événement, Lion d’Or à Venise 2021, témoigne d’images choc pour dénoncer l’insupportable dilemme imposé aux femmes jusqu’au milieu des années 70 : avorter et risquer sa vie ou ne pas avorter et hypothéquer son avenir.
Synopsis : France, 1963. Anne, étudiante prometteuse, tombe enceinte. Elle décide d’avorter, prête à tout pour disposer de son corps et de son avenir. Elle s’engage seule dans une course contre la montre, bravant la loi. Les examens approchent, son ventre s’arrondit.
Critique : Étudiante brillante, Anne qui a vu sa mère (formidable Sandrine Bonnaire) s’échiner toute sa vie à faire tourner son bar-restaurant, entend bien poursuivre le plus loin possible son cursus universitaire. Dans une ambiance dont les vêtements, le décor et même le phrasé évoquent les années 60 sans en restituer la couleur, afin de préserver l’intemporalité du sujet, des jeunes gens dansent sur des rocks endiablés, tandis que des jeunes filles pérorent, entre fantasme et réalité, autour de l’acte sexuel toujours tabou.
C’est au cœur de cette époque où le désir des femmes n’est pas reconnu et où l’avortement (dont le mot ne sera jamais prononcé tout au long du film) est considéré comme un meurtre passible d’emprisonnement, qu’Anne découvre cette grossesse qu’elle est bien déterminée à ne pas mener à son terme. Dès lors, elle sait qu’elle va devoir mener un combat sans merci contre la société qui la condamne. Rattrapée par le cynisme de celui qui est responsable de son état, lâchée par ses amies que sa situation choque ou affole, trahie par un corps médical frileux, elle ne peut compter que sur elle-même.
L’avortement, sujet brûlant qui enflamme nos sociétés et le cinéma
A l’heure où le droit à l’avortement reste fragile quand il n’est pas tout simplement remis en cause comme ce fut récemment le cas au Texas ou en Pologne, Audrey Diwan s’appuie sur le roman autobiographique d’Annie Ernaux et signe, sans drame ni jugement, un témoignage fort et délibérément cru sur le chemin de croix imposé à une jeune fille dont le seul crime est de vouloir disposer de son corps. Les gestes plus lents, les malaises et le corps plus lourd, l’isolement dont elle est victime et dont elle finit par se faire complice, le décompte sur typo rouge du nombre de semaines de grossesse s’accumulent pour enfermer chaque jour davantage Anne dans une prison de solitude à laquelle les autres n’ont pas accès.
Le choix du format 1.37 place l’héroïne au centre du récit, une manière de permettre au spectateur de vivre immédiatement les événements et de partager avec elle la moindre de ses émotions. Une héroïne à qui la toute jeune actrice franco-roumaine Anamaria Vartolomei (vue récemment dans La bonne épouse et Just Kids) prête sa délicatesse autant que sa détermination, accompagnant avec brio la brutale transformation d’une jeune fille brillante et désinvolte en un petit soldat qui, les poings serrés et les yeux baissés, entend bien se lancer à l’assaut d’un monde ennemi dont les codes et la morale ont fait d’elle une pestiférée.
L’événement, une œuvre qui marque
Condamnée à quitter les chemins médicalisés, elle s’aventure sur des sentiers tortueux qui donnent lieu à des scènes d’un réalisme que certains jugeront choquant mais qui s’avère pourtant essentiel pour décrire au plus près la douleur physique et morale subie par les femmes avant qu’en 1974 la combative Simone Veil ne parvienne à adoucir leur sort.
L’événement, grâce à sa limpidité et à son dépouillement, marque durablement les esprits tout en rendant hommage à celles qui se sont battues, parfois au prix de leur vie, pour que le droit à l’avortement soit enfin reconnu comme un fondamental.