Description glaçante d’un cas clinique, Les intranquilles confirme la capacité de Joachim Lafosse à s’emparer de la thématique des troubles familiaux. Leïla Bekhti et Damien Bonnard sont parfaits.
Synopsis : Leïla et Damien s’aiment profondément. Malgré sa bipolarité, il tente de poursuivre sa vie avec elle sachant qu’il ne pourra peut-être jamais lui offrir ce qu’elle désire.
La bipolarité et l’engagement amoureux
Critique : Joachim Lafosse a souvent abordé les affres des relations parentales ou conjugales. On songe au huis clos opposant une mère et ses fils dans Nue propriété (2006), à la radioscopie d’un cas d’infanticide (À perdre la raison, 2012) ou au récit de deux époux séparés mais contraints de continuer à cohabiter dans L’économie du couple (2016). Les intranquilles est fidèle à ce cadre, qu’il greffe à la thématique de l’influence de la maladie sur une cellule familiale. Son film n’est pourtant pas un énième dossier médical de l’écran, même si le spectateur en apprend beaucoup sur la bipolarité. Les premières séquences décrivent le quotidien a priori balisé d’un de ces couples bourgeois bohèmes dont le cinéma français est friand, de La lutte des classes de Michel Leclerc à Bergman Island de Mia Hansen-Løve. Damien est peintre et passionné par son art, au point de lui consacrer ses heures de sommeil. Leïla restaure des meubles anciens. Ils vivent avec leur petit garçon dans une villa cossue où l’harmonie semble régner.
Mais quand Damien tient à réparer une bicyclette à deux heures du matin, passe des heures à préparer un repas grandiose, et veut rouler des kilomètres pour se procurer quelques glaçons, le spectateur comprend que quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête. Les intranquilles n’est pas seulement la description minutieuse d’un cas clinique. C’est aussi et surtout une réflexion pertinente sur les capacités et les limites du sentiment amoureux. L’intranquillité dont il est question est donc celle de Leïla tout autant que de Damien. Le scénario est nuancé et subtil, les dialogues sont justes et bien écrits, ce qui n’a pas empêché des changements et une souplesse relative pendant le tournage.
Les intranquilles ou l’influence de Pialat et Cassavetes
Joachim Lafosse précise ainsi dans le dossier de presse : « Pendant les répétitions, je n’ai pas caché aux acteurs que j’ignorais comment le film se terminerait. La mère et le fils pouvaient partir ensemble, le mari et la femme tomber dans les bras l’un de l’autre, je n’en savais rien. Et je n’en ai rien su jusqu’au dernier jour, et même jusqu’à la dernière heure. Au matin du tournage de cette dernière scène, j’ai demandé à Leïla et Damien ce qu’ils souhaitaient qu’il arrive aux personnages, nous avons choisi de nourrir la fin du film de tout le vécu du tournage ». Ce dispositif pourrait sembler roublard et lelouchien. Il contribue en fait à la force d’un long métrage qui distille un authentique suspense et une réelle ambiance oppressante. Il y a plutôt du Pialat ou du Cassavetes dans la démarche du réalisateur, comme l’atteste la magnifique séquence où Leïla et son beau-père sont désemparés face au comportement déroutant de Damien, en attendant le secours des urgences psychiatriques.
Le réalisateur est bien épaulé par la collaboration de l’artiste visuel Piet Raemdonck pour les séquences se déroulant dans l’atelier de peinture. Mais il faut également citer le remarquable montage de Marie-Hélène Dozo qui apporte au film un rythme soutenu. Enfin, les interprètes sont en harmonie totale avec leurs personnages. Damien Bonnard parvient à éviter le cabotinage qu’une telle composition aurait pu apporter. Leïla Bekhti est parfaite en compagne à la fois patiente et au bord de la crise de nerfs. Dans un rôle plus effacé, Patrick Descamps est d’une sobriété exemplaire. Même si film peut parfois sembler répétitif dans son déroulement narratif (mais c’est le sujet qui veut cela), Les intranquilles est hautement recommandable et a bien mérité sa sélection en compétition officielle cannoise.
Critique de Gérard Crespo