Une brillante réflexion sur le vivre-ensemble en temps de repli communautaire où les clichés bobos sont savoureusement moqués sans arrière-pensée moralisatrice. La valeur humaine de cette Lutte des classes est très élevée. Michel Leclerc, après Le nom des gens, fait encore mouche.
Synopsis : Sofia et Paul emménagent dans une petite maison de banlieue. Elle, brillante avocate d’origine maghrébine, a grandi dans une cité proche. Lui, batteur punk-rock et anar dans l’âme, cultive un manque d’ambition qui force le respect ! Comme tous les parents, ils veulent le meilleur pour leur fils Corentin, élève à Jean Jaurès, l’école primaire du quartier. Mais lorsque tous ses copains désertent l’école publique pour l’institution catholique Saint Benoît, Corentin se sent seul. Comment rester fidèle à l’école républicaine quand votre enfant ne veut plus y mettre les pieds? Pris en étau entre leurs valeurs et leurs inquiétudes parentales, Sofia et Paul vont voir leur couple mis à rude épreuve par la « lutte des classes ».
La couleur des gens
Critique : Gentrification, bien-pensance de Gauche, une réalité. Communautarisme, retour des pratiques religieuses, une autre réalité. Face à ces deux situations qui déplaisent et nourrissent préjugés et insultes, Michel Leclerc, le plus bobo des nos réalisateurs depuis sa jeunesse “télé-pirate” des années 90, qu’il racontait dans le truculent Télé Gaucho, et qui s’est fait un nom au cinéma avec le pas très Sarko Le nom des gens, en 2009, est conscient de qui il est et des dérives autour de ceux qui l’entourent. Prêcher pour sa paroisse laïque, c’est aussi accepter la complexité d’une situation que certains pourraient dépeindre comme favorable à l’insertion sociale, à la mixité, mais qui, in fine, crée bien des incompréhensions et des heurts. Bref, Michel Leclerc s’attaque aux chimères de la mixité sociale.
Cette mixité, contrainte par le prix des loyers parisiens qui poussent les jeunes familles à déborder en proche banlieue, crée dans cette comédie franche, culottée, mais jamais insultante ou moralisatrice, bien des embarras, notamment quand la marmaille de familles blanches et ouvertes d’esprit, se retrouve dans des écoles ghettoisées et précaires. Ces “Gauchos” bien comme il faut découvrent alors que leurs enfants subissent le basculement dans la minorité, notamment religieuse… C’est que les fils d’athées sont peut-être les seuls en classe à être issus d’un environnement non-croyant. Idem par rapport aux idées de bienveillance assénées à cette jeunesse d’un Paris chaleureux… Il faut accepter toutes les différences, y compris celles des hommes qui se marient avec d’autres hommes, alors qu’on n’est pas forcément pro mariage qui est la réalisation d’un diktat religieux et d’un système passéiste…
La lutte des classes en 2019, Marx ou Charlie?
Alors Michel Leclerc s’amuse. Il met en scène des parents qui essaient d’user de passe-droits pour parachuter leur mômes dans des écoles privées ou d’autres quartiers mieux nantis… Et quand on parle du personnage de vieux rockeur qui prend conscience de sa propre obsolescence, joué par Edouard Baer, l’association des mots “écoles” et “privées” sonne comme une injure qui prend tout son sens lorsque le directeur de l’un de ses établissements bien sous-tous rapports découvre sur Youtube la vidéo de jeunesse de son groupe injuriant le pape…
Le phénomène de gentrification est solidement commenté, dans un réalisme cosmopolite que l’on ne connaît que trop bien. Sauf que le réalisateur dézingue les clichés sans trop d’embarras, car jamais il ne se rabaisse à juger et à trahir son amour pour le genre humain, pour l’entraide et la communauté, dans le sens noble du terme. Car ce qu’il aime avant tout, c’est le brassage, le mélange, la grande partouze de cultures qui ne veut pas forcément s’excuser pour avoir blasphémé.
Sa “lutte des classes” version 2019, ce n’est plus Marx, mais plutôt Charlie qui l’habite, avec finesse et une grosse dose d’autodérision. Avec ses acteurs irrésistibles, elle compte parmi ses meilleurs films.