Les forbans de la nuit : la critique du film et du blu-ray (1950)

Thriller, Film noir | 1h36min (version US) / 1h41min (version UK)
Note de la rédaction :
8/10
8

Note des spectateurs :

Exilé en Europe, Jules Dassin tourne à Londres Les forbans de la nuit, un film noir sinueux au cœur d’une cité de l’ombre où les âmes sombres rivalisent à l’écart de toute morale. La réalisation stylisée, totalement iconique, est magnifiée en HD. A redécouvrir de toute urgence.

Synopsis : Après avoir rencontré Gregorius, une légende de la lutte, Harry Fabian décide d’organiser des combats pour s’enrichir, défiant le caïd local. Habitué des combines douteuses, il enchaîne les arnaques pour parvenir à ses fins, mais très vite la situation commence à lui échapper…

Critique : Après La cité sans voiles et son introspection sans concessions de New York, Jules Dassin connaît des troubles dans l’Amérique de la chasse aux sorcières et se voit contraint d’aller tourner son prochain film à Londres. Exilé, le réalisateur américain qui tournait pour le compte de Daryl Zanuck, nabab légendaire de la Fox, est aux commandes d’un film noir de fin de cycle, et pourtant puissamment intrigant et abîmé, où on lui impose Gene Tierney, égérie du genre, dans un rôle un peu à contre-emploi, éloigné du charisme vénéneux du personnage de Laura qu’elle incarnait pour Preminger une demi-décennie plus tôt. Tierney démarrait une période dépressive et suicidaire qui allait l’écarter d’Hollywood tout au long des années 50, malgré ce changement d’air Londonien. Elle ne tient d’ailleurs qu’un rôle secondaire dans le film, malgré sa présence en haut de l’affiche.

Night and the City (1950)
Copyrights 1950 Twentieth Century Fox 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation
Directed by Jules Dassin
Richard Widmark, Googie Withers

La vraie vedette, c’est Richard Widmark, alors au seuil d’une longue carrière, intense tout au long du métrage ; il incarne Harry Fabian, un anti-héros peu charismatique tant son personnage s’acharne à baigner dans un environnement trouble et mafieux, dans l’opacité des nuits londoniennes, où prostitution et combats de lutte clandestins dans des bouges et autres night-clubs louches servent de cadre sublime à cette étrangeté mal appréciée par les Londoniens qui ont rejeté la vision dépravée de leur cité. Si les femmes ont par ailleurs un rôle important dans ce microcosme de truands, le personnage de Harry Fabian, petite frappe arriviste qui connaîtra un destin assez funeste pour une oeuvre de cette époque, demeure le jouet central du fatum, un pion qui essaie de prendre en main son destin, mais qui faillit toujours, manipulé par tous, sauf par sa bien-aimée qu’il rejette pour l’amour du risque.

Peu aimé des Américains qui n’y ont vu qu’un film sans rédemption dans lequel il est difficile de distinguer le bon dans l’humain, Les forbans de la nuit est pourtant une oeuvre esthétiquement remarquable, qui fait baigner la capitale britannique dans une lumière fantasmagorique et vénéneuse, dans des décors réels de ruelles que l’on imagine aujourd’hui ne plus exister tant la métropole a été cassée pour être reconstruite à la verticale. Vertigineux dans ses plans, audacieux, et intrinsèquement tragique, à l’image de la figure paternelle du lutteur exsangue, le film mal-aimé par Dassin jusqu’à sa mort, au début des années 2000, tant il lui rappelle un moment sombre de son histoire personnelle, est une remarquable leçon de cinéma, qui valait bien l’édition collector impressionnante proposée par l’éditeur Wild Side.

Frédéric Mignard

Richard Widmark dans Les forbans de la nuit de Jules Dassin

Night and the City (1950)
Directed by Jules Dassin
Shown: Richard Widmark
Copyrights 1950 Twentieth Century Fox 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation /

Voir en VOD

Sorties de la semaine du 29 décembre 1950

Le Combo blu-ray / DVD

Compléments & packaging : 5/5

Il est difficile de faire mieux en matière de packaging. Cet imposant coffret, au touché gracieux, très épais et au graphisme magnifique, est constitué d’un fourreau et d’un ouvrage qui, à lui seul, vaut le détour. Un grand format de plus de 200 pages réalisé par un passionné de Dassin, qui a longtemps été en contact avec lui, en l’occurrence Philippe Garnier ; il y partage notamment ses correspondances contradictoires avec le cinéaste. Tous les aspects du film, du casting, de l’auteur, sont partagés. Mais on notera l’effort fait sur le choix des documents, tous déclinés dans une splendide définition : les photos d’époque sont magnifiques, les affiches illustratives nombreuses, et on adore le graphisme contemporain qui impose le respect quant à la démarche.

Le DVD et le Blu-ray sont insérés dans des pages cartonnées qui les mettent soigneusement à l’abris et les galettes sont facilement accessibles.

Pour la partie audiovisuelle des compléments, l’on mentionnera la présence d’une version alternative du film, plus longue, affublée d’une musique plus douce, pour la sortie britannique. Elle a été commandée par Zanuck lui-même qui n’a pas cherché à tenir Dassin informé de son existence. Ce dernier l’a découverte à son insu des décennies plus tard. Cette présence d’un montage forcément non-approuvé par le défunt cinéaste est un must. Rien ne nous dit que Dassin de son vivant ait pu voir ce cut.

Autre supplément rare, la présence d’une émission de 1999, Le Club, tenu par trois éminents critiques français, qui sont face à leur idole. Les questions démontrent une vraie connaissance du sujet. L’occasion de cet entretien exclusif était la ressortie miraculeuse des Forbans de la nuit, par les Acacias, à la fin des années 90. L’intégrale de l’émission est proposé, soit plus de 50 minutes où le réalisateur devenu rare, mais toujours aussi mythique confirme, dément, et donne sa version d’une réalité historique qui a souvent été contrefaite.

On apprécie aussi l’intervention de 42 minutes d’un spécialiste du film noir, Glenn Erickson, qui décortique le film, dans toutes ses étapes -sa genèse, son tournage, sa sortie-, et revient longuement sur la version britannique qu’il analyse. Passionnant !

Affiche des Forbans de la nuit (Night and the City) de Jules Dassin

Copyright Twentieth Century-Fox Productions

L’image : 5/5

Magnifique restauration 4K qui permet au noir et blanc de livrer toutes ses subtilités. Le travail du chef op d’époque est sublimé alors que l’on profite de l’ambiance prégnante d’une ville européenne, de vieilles pierres, d’étroites ruelles, ou d’une place en grand-angle, dans des proportions rendues accessibles par la restauration fine. Jamais le film n’est apparu dans un apparat de perfection qu’est celui offert par ce rendu numérique.

Format : 1.33, 16/9e comp 4/3

Le son : 4/5

On évitera la version française, peu naturelle, excessivement vocale et frontale, sans grand intérêt. Elle fragilise même le jeu de Widmark, un comble !

En revanche, la version originale en DTS HD Master Audio ne laisse aucun doute quant au travail pointilleux effectué pour une résurrection en bonne et due forme. La vraie force de la piste réside dans son dynamisme, ce qui relève de l’exploit pour une oeuvre de cette époque.

Critique du film et test blu-ray : Frédéric Mignard

Copyrights 1950 Twentieth Century Fox 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation / Copyright : Droits et conception graphique Wild Side Vidéo

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