Adaptation fougueuse et lumineuse du roman Little Women, Les Filles du Docteur March est souvent plombé par son discours féministe lourd, mais toujours sauvé par le charisme de ses interprètes, toutes formidables.
Synopsis : Une nouvelle adaptation des Quatre filles du Docteur March qui s’inspire à la fois du grand classique de la littérature et des écrits de Louisa May Alcott. Relecture personnelle du livre, Little Women est un film à la fois atemporel et actuel où Jo March, alter ego fictif de l’auteur, repense à sa vie.
Critique : Être femme. Cette réflexion sur la place et la condition de la femme était le moteur du décalé Lady Bird, précédente réalisation de la comédienne Greta Gerwig, en 2017, qui réalisait un petit chef-d’œuvre d’excentricité qui menait de nombreux combats en les gagnants sur tous les fronts, notamment celui de l’humanité. Le film avait été tourné avant l’ère #Metoo et sorti durant le déclin de l’ère Weinstein qui a donné un certain pouvoir à Greta Gerwig, devenue depuis chantre d’un nouveau féminisme post-Weinstein.
Son adaptation moderne et personnelle de Little Women, en revanche, puisqu’il s’agit tout de même d’une énième adaptation pour jeunes filles modèles, que l’on a même soupé en manga dans les années 80, n’a aucune raison d’être de la part d’une auteure aussi originale dans tout ce qu’elle entreprend (Frances Ha, c’était elle !), si ce n’est que d’être prétexte à un énième discours féministe pédagogue à la Captain Marvel, mais cette fois-ci avec le style et le ton des histoires initiatrices pour jeunes filles que Jane Austen aimait écrire au XIXe siècle de l’autre côté de l’Atlantique. Le combat est louable, on ne le critiquera pas, le film est même bon. On y reviendra. Toutefois l’écriture pose problème.
Les Filles du Docteur March et la contradiction de l’explicitation
Au sein du même film, Greta Gerwig ose deux contradictions qui rendent le film boiteux. La première, intéressante, consiste à dynamiter la chronologie, à ne pas expliciter les événements par les mots, de réfléchir au processus d’écriture, et de s’assimiler entièrement au personnage de Jo qui devient un véritable double de la réalisatrice. Il est important de ne pas lâcher la trame cinq minutes pour reconstruire la linéarité des événements qui s’enchaînent avec ellipses pour tenir sur une durée de 2h15, sans jamais ennuyer.
La condition de la femme au XIXe siècle pour les Nuls
Toutefois, à ces efforts de narration moderne, Gerwig semble moins douée pour les dialogues qu’elle accumule comme poncifs d’un féminisme de plateau de télévision. Oubliant qu’elle tourne un film avec des personnages qui sont ceux d’une époque qu’elle travestit de fantasmes plus contemporains, elle se sent contrainte de mettre des mots, des phrases qui systématiquement stabilotent l’absurdité d’une condition, ce qui diminue systématiquement la portée du film, moins incisif, devenant ainsi un énième exemplaire de la collection de vulgarisation jaune « Pour les Nuls ». Le film fera fureur dans les collèges.
Les délices d’une littérature de bonne nature à la Jane Austen
On comprend aisément ce qui a conduit Greta Gerwig à aborder ce classique de la littérature féminine, à savoir illustrer le devoir de solidarité des femmes entre elles, dans un monde d’hommes, où ces derniers sont d’ailleurs assez bienveillants par ailleurs, ou du moins très effacés, puisque l’on nage en fait dans une bienveillance de littérature à la Jane Austen, loin de la noirceur plus intéressante des bouquins des sœurs Brontë. L’auteure-réalisatrice réussit son pari, notamment sur ce point-là, puisque les personnages qui, chez d’autres, seraient apparus mielleux, insupportables de bons sentiments, ne sont que délices qui évoquent les bonnes adaptations de Jane Austen dans les années 90, notamment celle d’Ang Lee, dont le scénario avait été écrit par Emma Thompson, Raison et sentiments, sans la même rigueur d’écriture, mais toujours avec le même bonheur de voir des personnages délicieux prendre vie à l’écran.
Un casting de haut vol
L’éclat des actrices y est pour beaucoup. Certes, Emma Watson est éteinte comme son personnage, mais Saoirse Ronan est l’illustration même d’un jeu de conviction, de ceux qui portent entièrement une œuvre sur leur dos. En électron libre de la famille, garçon manqué ou du moins jeune femme qui refuse les conventions sociales, elle est tout simplement formidable. Encore un cran au-dessus, on retrouve Florence Pugh. La vedette de Midsommar et surtout du diamant noir The Young Lady, film qui pourrait donner une belle leçon aux Filles du Docteur March dans son récit puissamment féministe, l’actrice déploie des qualités qui permettent à son personnage, que l’on pourrait croire essentiellement vain et orgueilleux, d’être beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Les Filles du Docteur March est une œuvre naturellement harmonieuse
En 2020, Les filles du Docteur March est une aberration qui démontre une fois de plus l’incapacité de Hollywood à se régénérer, manifestant toujours dans les ouvrages du passé, adaptés plus qu’il n’en faut, son incapacité à faire émerger des personnages nouveaux. Désolé, on a encore le souvenir amer de la niaiserie avec Wynona Rider, Claire Danes et Kirsten Dunst, qui était sortie en salle en 1994.
Toutefois, l’harmonie générale, le bonheur de retrouver des jeunes vedettes douées dans un univers confiné aux bienséances d’un XIXe siècle, ici américain, durant la guerre de Sécession, confèrent de nombreux atouts à cette production généreuse, magnifiquement mise en musique par Alexandre Desplat, qui mérite l’Oscar, et resplendit de nombreux joyaux.
Critique : Frédéric Mignard