Les enragés est un thriller frustrant qui grille ses cartouches dans des personnages masculins pathétiques. L’échec en salle fut sinistre car la première fiction de Pierre-William Glenn est loin d’être déshonorante, à bien des aspects.
Synopsis : Marc et Laurent, deux marginaux inquiétants, échouent un soir dans une vaste propriété isolée au milieu de la campagne. Marc découvre avec stupéfaction qu’il est chez son idole, la vedette de cinéma Jessica Melrose, dont il est fou. Après une nuit étrange, au matin Jessica rencontre les deux “explorateurs” qui vont lui faire vivre une journée de cauchemar éveillé…
Un chef opérateur exceptionnel, une œuvre très attendue
Critique : Film malaisant et malaimé, Les enragés est tombé dans l’oubli. La première fiction de Pierre-William Glenn, qui s’était essayé au court et au documentaire sportif, était extrêmement attendue par les professionnels et cinéphiles. Le cinéaste était, dans les années 70 et au début des années 80, le chef opérateur de Tavernier, Truffaut, Corneau… Une star dans sa catégorie. Le nom de Glenn était associé aux grandes réussites de ces années magnifiques. Il savait mettre en forme et visualiser les souhaits de réalisateurs avec lesquels il bâtissait une forte collaboration. Au risque de parfois trop tirer la couverture à lui.
Très proche de son chef opérateur, avec lequel il était ami, Tavernier décidera un moment de se tourner vers un autre directeur de la photographie pour retrouver sa propre patte. Quant à Pierre-William Glenn, il confie au magazine Première, en 1984, se lasser d’un métier dans lequel il refuse de devenir un “vieux technicien “. Il confie même avoir l’impression de s’investir de moins en moins.
“Quand on a l’impression de ne plus rien apprendre des gens, c’est qu’on est en bout de course, en bout d’évolution. Pour couronner le tout, je commençais à rentrer dans un jugement par rapport aux choses que je faisais…”
(Première n°94, janvier 1985).
Pierre-William Glenn, technicien hors pair, jamais ronflant, n’a donc pas de mal à trouver des financements auprès de Claude Berri qui coproduit Les enragés, sa première fiction longue, via la société Renn Films. Berri le distribue via AMLF. N’est-ce pas la moindre des choses quand on jouit d’une telle filmographie, acclamée par tous, lorsque le scénario est signé du vénéré Gérard Brach, nom indissociable de Polanski (Répulsion, Le locataire, Tess...), qui sortait du succès de Maria’s Lovers de Kontchalovski avec la Kinski ?
Fanny Ardant, belle, naturelle et glamour, est parfaite
Au niveau des acteurs, le film bénéficie d’une présence exquise, Fanny Ardant. Belle de sa jeunesse, abandonnant parfois le maquillage de la star pour afficher un visage nu qui frappe par sa fragilité et son incroyable beauté. L’actrice brille dans le drame et le thriller psychologique tortueux où elle est tenue en otage par deux brutes dans son immense demeure, perdue dans une campagne de conte.
Le lieu en impose dans son impressionnante structure que l’on pourrait croire empruntée à un conte gothique. Il attire inexorablement deux loubards, joués par François Cluzet et Jean-Roger Milo. Ces deux-là sont aussi fascinants dans leur relation inattendue (ils représentent deux aspects de la folie, l’une perverse et intellectuelle, l’autre bestiale et physique), mais la peinture qui en est faite est peu ragoutante. On pourrait évoquer une abjection torse, outrée par le jeu en roue libre de Cluzet, et celui de Milo qui a bien du mal à tenir dans sa tenue de cloche. Teuf Teuf et La Sueur – ce sont les surnoms qu’ils se donnent -, sont les deux facettes d’une même pièce où l’intelligence et la bêtise crasse, la sophistication et la rustrerie s’acoquinent dans des déviances morales qui les conduisent jusqu’à une tentative de viol qu’un élément quasi surnaturel, et pourtant scientifiquement rationnel, vient stopper.
Des personnages masculins grotesques
Le personnage de Cluzet, Teuf-Teuf, est invariablement attiré par le travestissement et pousse son complice répugnant à commettre l’intolérable. Manipulateur azimuté, fasciné par la beauté glamour de l’otage qui n’est autre qu’une actrice de grande renommée dont il est grand fan ; Teuf glisse dans la spirale du drame où le jeu des ignares, face au jeu de l’actrice professionnelle, se heurte à la vérité du talent.
Les enragés subit le scénario de Gérard Brach
Dans cette confrontation, le scénariste Gérard Brach oublie les enjeux essentiels pour capter le public. Le huis clos prend des distances avec la réalité qui déteint sur le vide laissé par l’absence de vrais personnages secondaires. L’intensité des émotions est également diminuée par les excentricités du duo de forcenés qui braillent dans un scénario au potentiel élevé mais s’égarant dans l’aigreur.
Pierre-William Glenn n’est pas un mauvais bougre derrière sa caméra. Il sait investir l’espace, même si le scénario ne lui permet pas d’en tirer plus qu’il n’en faut. La photo est belle et les qualités plastiques sont essentielles à cette œuvre ratée qui sortira dans la quasi-clandestinité en janvier 1985. Deux ans plus tard, Pierre-William Glenn réitèrera derrière la caméra, cette fois-ci aux commandes d’un budget de science-fiction européenne impressionnante. Ce sera Terminus, avec Johnny Hallyday, un accident industriel qui mettra à mal ses ambitions de cinéaste.