Les enragés : la critique du film (1985)

Thriller | 1h35min
Note de la rédaction :
4/10
4
Les enragés, affiche (1985)

  • Réalisateur : Pierre-William Glenn
  • Acteurs : François Cluzet, Fanny Ardant, Jean-Roger Milo, Marie-Christine Rousseau
  • Date de sortie: 09 Jan 1985
  • Année de production : 1984
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Les enragés
  • Titres alternatifs :
  • Scénaristes : Gérard Brach
  • D'après l'œuvre de :
  • Directeur de la photographie : Jean-Claude Vicquey
  • Monteur : Thierry Derocles
  • Compositeur : Vincent Gemignani, Alain Lecointe, Jacky Riot
  • Producteurs : Michelle de Broca, Claude Berri, Jérôme Clément
  • Sociétés de production : Fildebroc Renn Productions FR3 Films CNC
  • Distributeur : AMLF
  • Distributeur reprise : -
  • Date de sortie reprise : -
  • Editeur vidéo : Proserpine (VHS)
  • Date de sortie vidéo : 1985
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 52 470 entrées / 15 608 entrées
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Interdit aux moins de 13 ans
  • Formats : Couleurs
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : Photo affiche © Dominique Issermann. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1985 Pathé, Fildebroc. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Les enragés est un thriller frustrant qui grille ses cartouches dans des personnages masculins pathétiques. L’échec en salle fut sinistre car la première fiction de Pierre-William Glenn est loin d’être déshonorante, à bien des aspects.

Synopsis : Marc et Laurent, deux marginaux inquiétants, échouent un soir dans une vaste propriété isolée au milieu de la campagne. Marc découvre avec stupéfaction qu’il est chez son idole, la vedette de cinéma Jessica Melrose, dont il est fou. Après une nuit étrange, au matin Jessica rencontre les deux “explorateurs” qui vont lui faire vivre une journée de cauchemar éveillé…

Un chef opérateur exceptionnel, une œuvre très attendue

Critique : Film malaisant et malaimé, Les enragés est tombé dans l’oubli. La première fiction de Pierre-William Glenn, qui s’était essayé au court et au documentaire sportif, était extrêmement attendue par les professionnels et cinéphiles. Le cinéaste était, dans les années 70 et au début des années 80, le chef opérateur de Tavernier, Truffaut, Corneau… Une star dans sa catégorie. Le nom de Glenn était associé aux grandes réussites de ces années magnifiques. Il savait mettre en forme et visualiser les souhaits de réalisateurs avec lesquels il bâtissait une forte collaboration. Au risque de parfois trop tirer la couverture à lui.

Très proche de son chef opérateur, avec lequel il était ami, Tavernier décidera un moment de se tourner vers un autre directeur de la photographie pour retrouver sa propre patte. Quant à Pierre-William Glenn, il confie au magazine Première, en 1984, se lasser d’un métier dans lequel il refuse de devenir un “vieux technicien “. Il confie même avoir l’impression de s’investir de moins en moins.

“Quand on a l’impression de ne plus rien apprendre des gens, c’est qu’on est en bout de course, en bout d’évolution. Pour couronner le tout, je commençais à rentrer dans un jugement par rapport aux choses que je faisais…”

(Première n°94, janvier 1985).

Pierre-William Glenn, technicien hors pair, jamais ronflant, n’a donc pas de mal à trouver des financements auprès de Claude Berri qui coproduit Les enragés, sa première fiction longue, via la société Renn Films. Berri le distribue via AMLF. N’est-ce pas la moindre des choses quand on jouit d’une telle filmographie, acclamée par tous, lorsque le scénario est signé du vénéré Gérard Brach, nom indissociable de Polanski (Répulsion, Le locataire, Tess...), qui sortait du succès de Maria’s Lovers de Kontchalovski avec la Kinski ?

Fanny Ardant, belle, naturelle et glamour, est parfaite

Au niveau des acteurs, le film bénéficie d’une présence exquise, Fanny Ardant. Belle de sa jeunesse, abandonnant parfois le maquillage de la star pour afficher un visage nu qui frappe par sa fragilité et son incroyable beauté. L’actrice brille dans le drame et le thriller psychologique tortueux où elle est tenue en otage par deux brutes dans son immense demeure, perdue dans une campagne de conte.

Le lieu en impose dans son impressionnante structure que l’on pourrait croire empruntée à un conte gothique. Il attire inexorablement deux loubards, joués par François Cluzet et Jean-Roger Milo. Ces deux-là sont aussi fascinants dans leur relation inattendue (ils représentent deux aspects de la folie, l’une perverse et intellectuelle, l’autre bestiale et physique), mais la peinture qui en est faite est peu ragoutante. On pourrait évoquer une abjection torse, outrée par le jeu en roue libre de Cluzet, et celui de Milo qui a bien du mal à tenir dans sa tenue de cloche. Teuf Teuf et La Sueur – ce sont les surnoms qu’ils se donnent -, sont les deux facettes d’une même pièce où l’intelligence et la bêtise crasse, la sophistication et la rustrerie s’acoquinent dans des déviances morales qui les conduisent jusqu’à une tentative de viol qu’un élément quasi surnaturel, et pourtant scientifiquement rationnel, vient stopper.

Des personnages masculins grotesques

Le personnage de Cluzet, Teuf-Teuf, est invariablement attiré par le travestissement et pousse son complice répugnant à commettre l’intolérable. Manipulateur azimuté, fasciné par la beauté glamour de l’otage qui n’est autre qu’une actrice de grande renommée dont il est grand fan ; Teuf glisse dans la spirale du drame où le jeu des ignares, face au jeu de l’actrice professionnelle, se heurte à la vérité du talent.

Les enragés subit le scénario de Gérard Brach

Dans cette confrontation, le scénariste Gérard Brach oublie les enjeux essentiels pour capter le public. Le huis clos prend des distances avec la réalité qui déteint sur le vide laissé par l’absence de vrais personnages secondaires. L’intensité des émotions est également diminuée par les excentricités du duo de forcenés qui braillent dans un scénario au potentiel élevé mais s’égarant dans l’aigreur.

Pierre-William Glenn n’est pas un mauvais bougre derrière sa caméra. Il sait investir l’espace, même si le scénario ne lui permet pas d’en tirer plus qu’il n’en faut. La photo est belle et les qualités plastiques sont essentielles à cette œuvre ratée qui sortira dans la quasi-clandestinité en janvier 1985. Deux ans plus tard, Pierre-William Glenn réitèrera derrière la caméra, cette fois-ci aux commandes d’un budget de science-fiction européenne impressionnante. Ce sera Terminus, avec Johnny Hallyday, un accident industriel qui mettra à mal ses ambitions de cinéaste.

 

Frédéric Mignard

Les semaines de la sortie du 9 janvier 1985

Les enragés, affiche (1985)

Copyrights : Pathé Distribution (Ex AMLF) – Photo : Dominique Issermann

Box-office :

Sortie la semaine du 9 janvier 1985, Les enragés a dû faire face à une concurrence impitoyable. A nous les garçons, comédie adolescente avec le jeune Franck Dubosc ouvrait dans 40 salles (premier jour à 9 328). Nadine Trintignant rassemblait un beau casting dans L’été prochain (4 913 entrées dans 26 salles). Quatre très grands films d’auteur marquaient leur époque : Kaos des frères Taviani (1 732 entrées, 17 salles), Love Streams de John Cassavetes était proposé par UGC dans 8 cinémas (1 729), Jim Jarmusch était révélé au public dans son second film, Stranger than Paradise, une merveille qui le portait à 3 156 entrées dans 7 salles ; Rupert Everett, Colin Firth et Cary Elwes étaient les trois révélations du triomphal Another Country (3 802 entrées, 12 écrans), production britannique mêlant espionnage et homosexualité.

Si l’on ajoute 11 écrans pour Le pape de Greenwich Village, avec Mickey Rourke et Daryl Hannah (1 191, 11 salles), 9 écrans pour la reprise de La nuit des morts vivants (831) et 14 écrans pour le film bis Savage Streets, les rues de l’enfer, avec Linda Blair (2 192), le flux était vraiment tendu.

En fait, le plus gros concurrent pour Les enragés était probablement Train d’enfer de et avec Roger Hanin, autre thriller social, qui disposait de 28 salles et 6 568 voyageurs en première semaine. Il sera un succès conséquent, avec un vrai discours sur le racisme dans une France anti-beur.

Dans un contexte bouché, Les enragés manque de notoriété

Dans de telles conditions, Les enragés, avec ses critiques mixtes, était forcément sacrifié (on ne vous parle pas des films en continuation qui étaient nombreux à bien se maintenir). Pourtant AMLF avait réussi à lui trouver 24 écrans et avait soutenu la campagne d’affichage sur Paris. Pour son premier jour, Fanny Ardant ne séduit que 1 442 curieux, soit le 9e meilleur score pour une nouveauté ce mercredi-là. Une gifle ? Non, une claque !

Le résultat est tragique à l’issue de la première semaine. Le film de Pierre-William Glenn rate le top 15 face aux continuations du Pécas Brigade des mœurs ou les scores solides du cinéma indépendant étranger (Kaos, Stranger than Paradise et surtout Another Country). Logiquement, c’est A nous les garçons qui s’en sort le mieux, avec 76 090 entrées ; la teen comédie se positionne derrière Cotton Club de Coppola.

Avec 10 840 spectateurs dans 24 salles, Les enragés n’effectue que deux percées à plus de 1 000 spectateurs par écran, au Gaumont Berlitz et au Miramar. Ailleurs, les salles sont vides. Il était pourtant exploité au George V, au Gaumont Ambassade/Halles/Convention, au Bastille, au Quintette Pathé, au Lumière, à la Maxeville, au Mistral, aux Images et à la Fauvette.

Un flop total qui ne restera que 3 semaines à l’affiche

AMLF ne peut maintenir le film sur le grand écran en deuxième semaine. Les enragés perd 19 salles pour ce 2e tour. Désormais, restreint au Gaumont Ambassade/Halles/Berlitz, à la Bastille et aux Parnassiens, le drame prend en otage 3 629 spectateurs pour un score déraisonnable de 14 469 spectateurs en 14 jours.

En 3e semaine, il ne lui reste plus que 2 sites : l’Ambassade et les Parnassiens, pour un score misérable de 1 139 entrées et un total douloureux de 15 608 victimes.

Le film est retiré de l’affiche.

Sur la France, Les enragés connaîtra cette même inexistence aux yeux du public, avec une micro-place en 25e position pour sa première semaine de lancement.

Le déficit de notoriété autour de l’œuvre grandira avec le temps. Les enragés apparaît en VHS chez Prosperine, se retrouve diffusé sur Canal+, TPS… et sort très vite de la mémoire collective. Mais y était-il déjà entré ? Cela, c’est une autre histoire.

Frédéric Mignard

Fanny Ardant en VHS dans Les enragés

Copyrights : Pathé Distribution (Ex AMLF) – Photo : Dominique Issermann

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