Les Charnelles : la critique du film et le test blu-ray (1974)

Erotique, Film de l'Etrange | 1h27min
Note de la rédaction :
6/10
6
Les charnelles, affiche France

  • Réalisateur : Claude Mulot
  • Acteurs : Katia Tchenko, Francis Lemonnier, Anne Libert, Patrick Penn
  • Date de sortie: 20 Fév 1974
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Les Enfants de la nuit (titre de tournage)
  • Titres alternatifs : Les Charnelles (titre de sortie salle), Les Jouisseuses, Emotions secrètes d'un jeune homme de bonne famille, Nevro (titre VHS), Sins of the Flesh (Etats-Unis), Sex Without Love (Royaume-Uni)
  • Année de production / Fin de tournage : 1973 / 30 juillet 1973
  • Scénariste(s) : Claude Mulot (sous le pseudo de Frédéric Lansac), Jean-Paul Guilbert
  • Directeur de la photographie : Jacques Assuérus
  • Compositeur : Eddie Vartan
  • Société(s) de production : T.C. Productions
  • Distributeur (1e sortie) Alpha France
  • Distributeur (reprise) :
  • Editeur(s) vidéo : Iris Télévision / Télé Vidéo Films (VHS, Février 1981), Proserpine (VHS, sous le titre Nevro, version remontée d'1h13), Le Chat qui fume (Combo DVD, Blu-ray, UHD, version intégrale)
  • Date de sortie vidéo : Février 1981 (TVF, VHS), Juillet 2020 (Blu-ray)
  • Box-office France / Paris Périphérie : 134 819 entrées (64e position annuelle sur Paris, 6e position annuelle pour un film érotique)
  • Formats : Couleurs (35mm, Eastmancolor) / Mono
  • Illustrateur / Création graphique : Frédéric Domont, Melki (VHS)
  • Classification : Interdit de visa en 1973 ; Interdit aux moins de 18 en 1974 après coupe du distributeur ; Interdit aux moins de 18 ans et classé X en 1976
  • Crédits : ©Alpha France, Le Chat qui Fume, Frédéric Domont, Melki
Note des spectateurs :

Œuvre de transition dans la carrière de Claude Mulot, Les charnelles est un film étrange qui mélange le drame névrosé, le suspense glauque et l’érotisme sous différentes formes. Un digne représentant de la folie douce de son auteur sur le mode ténébreux.

Synopsis : Psychologiquement instable, perverti par sa belle-mère dans des jeux sexuels particulièrement troubles, Benoît Landrieux, jeune homme marginal vivant dans l’ombre de son riche industriel de père, est devenu un voyeur à l’adolescence. Seule sa déviance lui permet désormais de retrouver sa virilité. Sa rencontre avec Jean-Pierre et Isabelle, couple de paumés vivant de larcins, va l’entraîner dans une folle cavale marquée par des actes de violence de plus en plus graves, jusqu’à atteindre le point de non-retour.

Claude Mulot désabusé

Critique : Après les échecs de ses films d’auteur de cinéma de genre (La rose écorchée, La saignée) et le triste flop de Profession : aventuriers, avec Nathalie Delon, une fantaisie d’aventures lumineuses, Mulot est désemparé. Le glissement progressif du cinéma français vers des projets plus osés lui permet de trouver dans Les charnelles (titre de sortie putassier, très loin de la réalité du titre de travail, Les enfants de la nuit) un pont entre le cinéma sombre et tordu qu’il affectionne et le cinéma à caractère pornographique dans lequel il signera ses plus gros succès sous pseudo (Le sexe qui parle, La femme objet).

Tu seras porno, mon film !

Pour Les charnelles, que distribue Alpha France, grand pourvoyeur de productions coquines dans les années 70 et 80, l’auteur utilise le pseudo de Frédéric Lansac, du nom du personnage principal de La rose écorchée qu’il porte particulièrement dans son cœur. Le mélange de sexe, de noirceur, les scènes de voyeurisme gratuites, une tentative de viol intransigeante et la misogynie globale du film, consterneront la commission de classification qui lui refuse un visa de sortie. Le distributeur se voit contraint d’amputer le film d’une bonne vingtaine de minutes pour proposer un montage salle d’1h11 aberrant. Au bout d’un an et un nouveau montage, le métrage est autorisé à sortir, en 1974, avec une interdiction aux moins de 18 ans dans le circuit Lord Byron à Paris. Il y rencontre un certain succès se hissant en sixième position des films dits de charme cette année-là sur la capitale.

En 1976, le film devient officiellement pornographique. De par son sujet, de façon rétrospective, la commission de classification, sans chercher à revoir le film, le bannit des productions traditionnelles et l’estampille d’un X, puisqu’entre-temps, devant la prolifération des productions pour adultes dans les circuits classiques, le ministre de la Culture décide de ghettoïser la production sexuellement explicite en lui infligeant cette lettre de l’infamie. Une injustice pour une œuvre qui n’est en rien pornographique, mais le reste encore officiellement aujourd’hui, puisqu’il faudrait que les ayants-droits paient pour repasser le film devant la commission, dans le cadre d’une ressortie salle par exemple.

Les charnelles, réinventé en VHS et en blu-ray

Dans les années 80, les flying jaquettes viennent à la rescousse des Charnelles. Melki, pour Proserpine, invente un visuel fort, avec une typo tranchante très eighties, et peut-être est-il lui-même responsable du nouveau titre du film rebaptisé pour l’occasion Nervo. Pour une œuvre qui fait basculer la névrose d’un homme dans la thérapie meurtrière, il y a là de l’idée. Le montage est différent, car la vidéo n’est pas soumise aux caprices de la commission de classification. Le film gagne une poignée de minutes. Pour en savoir plus, on vous renvoie vers l’excellent ouvrage de Philippe Chouvel, Claude Mulot Cinéaste Ecorché (Editions du Chat qui fume) qui compare les deux montages. On n’en fera pas la paraphrase.

Entretien Laurent Melki Frédéric Mignard

Illustration : Laurent Melki / Montage : Frédéric Mignard CREEPSHOW © 1982 Laurel Show Inc. All Rights Reserved. Under exclusive license from Warner Bros.

Il faudra attendre l’année 2020 pour redécouvrir l’œuvre de Lansac/Mulot. L’auteur, mort noyé accidentellement à la fin des années 80, redevient à la mode des amateurs de curiosités du terroir, grâce au travail de l’éditeur culte Le Chat qui fume. Par sa griffe, le matou du bis livre une restauration 4K superbe de la version intégrale d’un film qui, soudainement, renaît de ses cendres. La durée d’1h27 minutes n’est pas une évidence, tant le film est étrange, mais elle permet d’effectuer un joli travail sur la sociologie du cinéma de cette époque.

Un thriller trouble et obsessionnel

Avec une musique inquiétante, obsessionnelle, composée par Eddie Vartan, frère de Sylvie, père de Michael, oncle de David, beau-frère de Johnny, le film iconoclaste s’apparente immédiatement à cette catégorie des films dingues des années 70. Le titre vend des gloutonneries. Le ton musical, l’ambiance sombre générale et le rapport au sexe, aliéné, frustré, usurpé, monnayé, outragé, et donc très malsain, transforme le gentil film érotique en vrai drame psychologique aux relents de thriller obsessionnel.

La qualité de l’interprétation – le jeu dérangeant du regretté Francis Lemonnier mort trop tôt dans les années 90 ou la vraie présence au-delà de sa sensualité d’Anne Libert, égérie de Jess Franco -, permet au film d’obtenir un cachet réel. Loin d’être plaisant – l’agressivité et la fureur de la scène de tentative de viol sur cette pauvre Katia Tchenko, dans la fange -, suscite des questionnements, quand les saynètes érotiques que le cinéaste éparpille pour vendre le film ennuient profondément tant elles sont irréelles par rapport à l’intensité dramatique du film.

Les charnelles, affiche France

© Alpha France

L’impuissance comme métaphore du rapport des classes

Le contexte social est fort évocateur. Les charnelles est profondément ancré dans une dichotomie des comportements sociaux, dans sa peinture des classes et des différents individus qui l’illustrent, avec des codes attendus en fonction même des genres de chacun. Une scène est révélatrice des préoccupations de Mulot. Avec l’aval du personnage principal, un jeune loubard des classes populaires (le très bon Patrick Penn, révélé par Guy Gilles) va usurper le temps d’une nuit l’identité de ce fils d’industriel fortuné qui reproche à son père de ne pas lui permettre de vivre une existence entièrement oisive. La manipulation, l’arrière-plan sur la toute-puissance financière et l’impuissance sexuelle, nourrisent vraiment la psychologie folle des personnages que l’on prendrait plaisir à analyser plus longuement. Car on retrouve bien là la qualité d’écriture de Claude Mulot, cinéaste tantôt dépeint comme un être jovial et attendrissant par certains ou comme un misogyne par d’autres. Dans tous les cas, il est vu en rébellion avec sa propre classe sociale, et avec ces zones d’ombre qui caractérisent son cinéma.

Bienvenue dans le patrimoine français

Malgré son classement X, il est évidemment impossible de regarder Les charnelles comme un film pornographique, n’y de chercher à y voir un quelconque film érotique. Honorons plutôt l’identité singulière de cet authentique objet de cinéma de l’étrange qui peut désormais trouver sa place dans notre patrimoine du cinéma. Sa restauration 4K est un honneur.

Frédéric Mignard

Sorties de la semaine du 20 février 1974

Jaquette Nevro - les Charnelles, VHS

© Melki

Box-office :

Sorti de façon tumultueuse après avoir été totalement interdit en raison de son extrême violence (notamment en raison de sa scène de viol notoire), dans une version tronquée d’environ 20 minutes pour pouvoir convenir aux exigences de la commission de classification de l’époque, Les charnelles est sorti logiquement en février 1974, avec une interdiction aux moins de 18 ans.

Suce pas ton pouce !

Alpha France a pu le proposer au cinéma le Lord-Byron, le Capitole, l’Atlas, le Ciné-Nord, les Vedettes, le Cinévog Bastille, à La Gaité, au Latin.

Pour son premier jour d’exploitation, il prend la première position des nouveautés de la semaine, avec 6 674 spectateurs, devant Les violons du bal de Michel Drach, avec Jean Louis Trintignant, Suce pas ton pouce, Le totem du sexe, Kung fu n’y va pas de main morte, Wan Chung le redoutable Karateka, Daddy et La femme cette inconnue.

La première semaine est glorieuse pour le distributeur Alpha France qui s’offre une publicité dans le Film Français pour se vanter des 40 779 entrées du film en première semaine. Concrètement, cela aboutit à une très belle cinquième place hebdomadaire derrière Lacombe Lucien, Papillon, Les Quatre Charlots mousquetaires et Le permis de conduire.

Les charnelles plus fort que Mondwest

Les charnelles permet au cinéma Le Cinévog d’afficher le 6e meilleur taux de remplissage de la semaine sur Paris, avec 7 893 spectateurs. L’Atlas, lui, s’offre le 13e meilleur taux de remplissage de la semaine, avec 6 290 spectateurs.

En 2e semaine, face à une grosse concurrence (Les Chinois à Paris, blockbuster du rire français, et Magnum Force, un Eastwood), Les charnelles glisse en 7e place avec 30 875 spectateurs, mais se positionne devant Mondwest le film de science-fiction américain qui essuie un patent revers (27 123 entrées dans 11 salles).

Il faut attendre la 5e semaine d’exploitation pour voir Les charnelles figurer sous la barre des 10 000 spectateurs, avec 9 580 spectateurs dans désormais 5 cinémas.

Les Charnelles de Claude Mulot (Frédéric Lansac) est sur CinéDweller

© Alpha France

Le test blu-ray

Les charnelles bénéficie de tous les égards de la part du Chat qui Fume qui lui offre l’élégance de ses éditions collectors limitées, avec son packaging digipack et trois disques. Un blu-ray du film, la copie Ultra-HD, et si l’éditeur s’est engagé à ne plus sortir ses films sur DVD, il propose quand même un DVD bonus accueillant en fait l’avant-dernier film de Mulot, le très rare et mineur Black Venus avec l’icône des Japonais, Florence Guérin, et la peu connue Joséphine Jacqueline Jones. Quel cadeau !

Les suppléments & packaging : 5 /5

Si l’on n’aura pas eu notre interview tant espérée de Katia Tchenko, au moins, Le Chat n’a pas lésiné sur les entretiens passionnants des collaborateurs (et amis) de Mulot qui contextualisent un peu l’œuvre, mais parlent surtout du cinéaste ou de leur carrière. C’est le cas de l’héroïne du film, Anne Libert, une égérie dont la présence ici est forcément énorme. Elle évoque longuement sa carrière, sa candeur et naïveté à ses débuts et l’étrange milieu du cinéma, tout en reconnaissant la générosité des tournages et des auteurs comme Franco ou Mulot, avec lesquels elle a pris beaucoup de plaisir à tourner.

Gérard Kikoïne (un habitué des bonus du Chat qui fume) est de retour pour 27 minutes qui célèbrent son amitié avec le réalisateur Claude Mulot, duquel il a énormément appris. Le futur nabab du cinéma osé est particulièrement ému à la fin lorsqu’il évoque la tragédie de son ami et décide d’écourter la discussion. Effectivement, la discussion est émouvante.

Un autre proche de Claude Mulot, Didier Philippe-Gérard s’épanche sur leur collaboration, le travail et l’amitié qu’il avait pour lui, ainsi que le caractère un peu sombre de l’auteur. On entre davantage dans la psychologie du cinéaste.

Les Charnelles, packaging DVD

Design : Frédéric Domont

Une interview #MeToo incompatible

L’interview la plus longue et la plus riche sur un plan cinématographique revient au parrain du X, Francis Mischkind, créateur d’Alpha France (entre autres). Le distributeur, producteur, éditeur vidéo est très didactique quant à sa présentation de la production pornographique de l’époque, son évolution et explique clairement les décisions politiques et économiques qui ont décidé le ministre de la Culture de Valéry Giscard d’Estaing à stigmatiser le cinéma dit pornographique. La nostalgie de Mischkind et son analyse du féminisme contemporain n’est pas #MeToo compatible, vous voilà prévenus.

A la suite des entretiens, en bonus, Le Chat permet de découvrir deux scènes supplémentaires des Charnelles. L’intérêt narratif est nul, puisqu’elles servent à rallonger le film sur certains territoires et ainsi obtenir une durée canonique. Elles ne sont là qu’à titre d’illustration de ce à quoi un montage peut servir. Un générique alternatif a été déterré, et la piste musicale trouble de Vartan a été isolée. Si l’on ajoute à ces extras la présence en DVD du film Black Venus, c’est un 5/5 catégorique que mérite cette édition parfaite.

Image : 4.5 / 5

L’éditeur délivre un permis de jouissance. La restauration 4K est splendide et satisfait tous les critères d’évaluation que l’on peut avoir pour un classique. Alors pour une œuvre aussi rare… Grâce au nettoyage numérique, bien peu de plans sont restés outragés ; le film est propre, avec une vraie texture épidermique. On est très loin du naufrage d’un Lisa et le diable en blu-ray qu’un éditeur concurrent a pu présenter en blu-ray récemment.

Son : 4 / 5

Du français DTS-HD Master Audio en 2.0 qui retentit de son score hypnotique. Les dialogues sont parfaitement débroussaillés. Cette édition n’est que du bonheur.

Acheter le film sur le site de l’éditeur

Les Charnelles, jaquette blu-ray Le chat qui fume

Design : Frédéric Domont

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