Thriller inégal, mais qui bénéficie d’une introduction ébouriffante, Le sang des innocents mérite une seconde chance auprès des fans de Dario Argento tant il demeure son dernier bon film, doté d’une réalisation qui sait être inventive.
Synopsis : À Turin, un tueur assassine des jeunes filles dans des circonstances identiques à celles d’une série de meurtres perpétrés vingt ans auparavant. La police piétine et le commissaire Ulisse Moretti, autrefois chargé de l’enquête, reprend du service.
Dario Argento à la recherche d’un succès commercial
Critique : Après la déception commerciale et artistique de sa version du Fantôme de l’opéra (1998), Dario Argento se remet en question à l’aube des années 2000. Pour cela, il se réconcilie avec son frère cadet Claudio Argento et fonde la compagnie de production Opera Film afin de produire le premier long métrage de réalisatrice de sa fille Asia (Scarlet Diva) et son prochain giallo. Effectivement, Dario Argento souhaite retrouver le succès et envisage très sérieusement de revenir au genre qui a fait sa notoriété dans les années 70, à savoir le giallo pur et dur.
C’est dans cette perspective qu’il écrit Non ho sonno (traduire : Je n’ai pas sommeil) qui deviendra Le sang des innocents pour l’exploitation française. Pour son auteur – aidé comme souvent par Franco Ferrini au scénario – il s’agit de prendre la suite des Frissons de l’angoisse (1975) en revenant tourner dans la ville de Turin, dont il explore ici des quartiers plus modernes et périphériques. Afin de mettre toutes les chances de son côté, le cinéaste respecte à la lettre les règles qu’il a lui-même établies dans ses premiers essais.
Le sang des innocents compile tous les éléments propres au giallo
L’assassin est un tueur psychopathe ganté de noir et qui se sert d’armes blanches pour tuer un maximum de femmes. Il lance à ses trousses la police, mais aussi deux enquêteurs indépendants que sont un vieux policier à la retraite (très juste Max von Sydow) et un ancien témoin (Stefano Dionisi, au jeu plus fragile) qui a vu sa mère mourir sous les coups du maniaque. Le principe est donc bien celui d’un whodunit tout à fait classique, ce que pourront regretter les amateurs d’un Dario Argento plus aventureux et explorateur de formes novatrices.
Ici, le cinéaste semble vouloir réaffirmer son statut de maître absolu du genre qu’il a aidé à populariser dans les années 70. Il le démontre d’ailleurs parfaitement lors des vingt premières minutes du thriller. Effectivement, en faisant l’économie des dialogues (peu présents), il signe une introduction absolument brillante qui rappelle à quel point l’artiste est un maestro dès qu’il s’agit de créer un suspense tendu.
Une longue séquence introductive qui place la barre très haut
Durant cette longue séquence, il suit la fuite d’une prostituée poursuivie par un tueur en série au cœur d’un train lancé à toute vitesse. Grâce à une maestria formelle qui n’avait plus vraiment été d’actualité depuis les années 80, Dario Argento livre ici l’une des meilleures séquences de sa carrière. Pour cela, il a bénéficié d’un tournage réellement effectué dans un train de nuit sur un tronçon réservé pendant quelques nuits. Dans cet espace contraint, le réalisateur fait preuve d’un réel génie en exploitant le lieu dans toutes ses potentialités.
Bien évidemment, après une telle démonstration de force, Le sang des innocents ne peut que décliner sur la durée, notamment lors des séquences d’enquête qui constituent toujours le point faible des films du maestro. Le thriller n’est jamais ennuyeux car le cinéaste inclus suffisamment de scènes de meurtres qui sont, à chaque fois, des moments plus inspirés. On signalera notamment l’audace de ce long plan-séquence où la caméra suit un tapis rouge et ne filme que les pieds des protagonistes pour se terminer par un meurtre particulièrement gore dont on ne verra que le résultat.
Le retour des Goblin ajoute une plus-value indéniable aux images
Dans ce domaine d’ailleurs, le réalisateur offre un nombre conséquent de scènes à la violence crue et au gore qui tache avec la complicité du maquilleur Sergio Stivaletti, visiblement en pleine forme. Enfin, pour accompagner les images parfois inégales du maestro, il fallait bien réunir à nouveau le groupe mythique des Goblin, et ceci malgré des tensions toujours importantes au sein du combo. En réalité, la plupart des morceaux ont été composés par chaque membre indépendamment, avant d’être enregistrés par le groupe entier. Le résultat est plutôt réussi et ressuscite le temps d’un film le brio de la musique de film italienne des années 70. On ne pourra pas en dire autant des compositions ultérieures de Claudio Simonetti pour les prochains Argento.
Certes, Le sang des innocents manque clairement d’ambition sur le plan narratif – il s’agit d’un simple polar du samedi soir – et il pâtit d’une interprétation assez terne (notamment de la part de Stefano Dionisi et de Chiara Caselli, dépourvus de charisme), mais il s’agit assurément du dernier vrai bon film de son auteur, après une descente aux enfers longue de près de vingt ans, et ceci même si Lunettes noires (2022) sonne l’heure d’une rédemption artistique. Au moins, Le sang des innocents demeure un incontournable pour tous les aficionados du maestro pour sa seule séquence inaugurale, un chef d’œuvre de vingt minutes que l’on peut quasiment revoir comme un court métrage génial.
Une présentation à Fantastic’Arts en 2002
Sorti au mois de janvier 2001 en Italie, Le sang des innocents a connu un joli succès en Italie en se plaçant à la dixième place annuelle des films italiens diffusés (53ème place si l’on compte aussi les films venus de l’étranger). Malgré un budget plutôt élevé, le thriller a été une bonne affaire car il s’est vendu dans le monde entier. En France, il est sélectionné à Gérardmer au Festival qui s’appelle encore Fantastic’Arts au mois de janvier 2002. Toutefois, le long métrage n’est pas en compétition et s’offre donc surtout une plateforme pour son lancement au mois de mars 2002.
Programmé par le distributeur Pretty Pictures pour une sortie la semaine du 13 mars 2002, le thriller s’expose dans 17 salles à Paris-périphérie et mobilise 233 fans lors de sa première séance. Il achève son premier jour avec 1 371 Franciliens à son bord, puis 12 787 en fin de première semaine.
Seul film du cinéaste à sortir en salles en France dans les années 2000
Sur la France entière, le train s’arrête dans 52 cinémas et termine sa première semaine à 17 079 noctambules. Le ratio Paris-province démontre la prévalence du public parisien cinéphile, tandis que les régions boudent le thriller. Face à des salles désertes, les exploitants se débarrassent très vite du thriller qui termine son exploitation avec 29 001 entrées dont 15 612 rien qu’à Paris et sa périphérie. Une bien mauvaise affaire pour son distributeur. Cette déception condamnera tous les films suivants du réalisateur à demeurer inédit dans les salles françaises, et ceci jusqu’à Dracula 3D (2011).
Aujourd’hui, le long métrage peut être redécouvert en blu-ray dans une superbe version restaurée grâce à l’éditeur Extralucid Film. Le toilettage des images permet de réévaluer à la hausse le spectacle en lui offrant des images de cinéma, contrairement au souvenir peu agréable de la piètre version DVD des années 2000.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 13 mars 2002
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Dario Argento, Max von Sydow, Stefano Dionisi, Chiara Caselli, Gabriele Lavia, Roberto Zibetti
Mots clés
Cinéma italien, Giallo, Les tueurs fous au cinéma, Festival de Gérardmer 2002, Les trains au cinéma