Le cas du docteur Laurent apparaît de nos jours comme un film d’une belle modernité dans son traitement de la femme et sa lutte pour le respect qui leur est dû. Les acteurs, tous formidables compensent la réalisation très académique de Le Chanois.

Synopsis : Le docteur Laurent quitte Paris pour s’installer à la campagne dans un village des Alpes provençales. Son premier contact avec le village, c’est une rencontre brutale avec une femme qui est en train d’enfanter dans des douleurs terribles. Elle crie depuis des heures comme une bête déchirée. Le médecin décide de passer à l’action. Il a lu des brochures sur une nouvelle méthode d’accouchement sans douleur. Mais la femme, méfiante, le fait mettre à la porte et le village, intrigué, se ligue contre lui…

Production Cocinor, Coniex, Sedif – Logo promotionnel original

Retour au film social pour Le Chanois

Critique : Réalisateur connu pour son engagement communiste durant les années 30, Jean-Paul Le Chanois a tourné après-guerre un certain nombre de films dramatiques où sa fibre sociale pouvait s’exprimer. Toutefois, il remporte surtout les faveurs du grand public grâce à une comédie populaire interprétée par Robert Lamoureux : Papa, maman, la bonne et moi (1954). Ce triomphe qui réunit 5,3 millions de Français hilares a de quoi motiver la réalisation d’une suite intitulée Papa, maman, ma femme et moi (1956) qui regroupe encore 3,7 millions de spectateurs.

Devenu un réalisateur de premier plan aux yeux de l’industrie, Jean-Paul Le Chanois peut s’atteler à un projet qui répond davantage à ses préoccupations sociales : l’écriture avec René Barjavel du Cas du docteur Laurent (1957). Effectivement, le cinéaste entend faire la promotion auprès des populations rurales des nouvelles découvertes scientifiques en matière d’accouchement sans douleur.

© 1956 TF1 Droits Audiovisuels – Roissy Films / © 2019 Coin de Mire Cinéma. Tous droits réservés.

Un film à thèse porté par de beaux personnages

Même si le but du long-métrage est bien d’avoir une portée didactique, les auteurs ont eu l’intelligence de baser leur script sur le vécu des personnages. Nous suivons donc l’arrivée du docteur Laurent (impérial Jean Gabin) dans un petit village typique des Alpes-Maritimes où il doit prendre la relève du vieux médecin local (excellent Henri Arius). Dès son arrivée, le docteur est confronté à un accouchement difficile qui affecte beaucoup la mère de famille jouée par Silvia Monfort. Le spectateur entre ainsi de plain-pied dans un monde où enfanter dans la douleur est encore une tradition, d’autant que cela correspond aux Écritures saintes.

© 1956 TF1 Droits Audiovisuels – Roissy Films / © 2019 Coin de Mire Cinéma. Tous droits réservés.

Le nouveau docteur va donc devoir lutter contre les superstitions et les habitudes locales pour pouvoir imposer une nouvelle vision de l’accouchement où le corps de la femme est respecté, et le rôle des maris pris en compte. Pour cela, le docteur pourra s’appuyer sur le soutien de la jeune fille indigne magnifiquement interprétée par la lumineuse Nicole Courcel (Rendez-vous de juillet, de Jacques Becker, La Marie du port de Marcel Carné, et évidemment Papa, maman, la bonne et moi de Le Chanois), alors sous contrat chez Cocinor. Enceinte d’un homme qui n’assume pas son rôle, la jeune fille est naturellement rejetée par la communauté. Toutefois, les deux êtres vont se rapprocher et finir par convaincre la majorité des femmes du village de se révolter contre l’ordre établi.

Un dernier quart d’heure un peu appuyé, mais qui comporte une scène très osée pour l’époque

Certes, la patte du réalisateur est parfois un peu lourde, notamment dans le dernier quart d’heure qui apparaît comme trop didactique et scolaire, mais Le cas du docteur Laurent apparaît de nos jours d’une belle modernité thématique. Tout d’abord parce qu’il donne le beau rôle aux femmes qui sont appelées à s’unir et lutter contre une société résolument patriarcale – rappelons que le film date de 1957 ! – mais aussi parce qu’il prend le parti du respect de l’individu face aux pressions de la communauté, pas toujours très éclairée. Il le fait sans jugement mais milite au contraire pour une sortie de l’obscurantisme par l’éducation, y compris celle des femmes.

Enfin, même si la réalisation de Le Chanois est extrêmement classique, le cinéaste a osé montrer un accouchement en gros plan et en direct, ce qui a déclenché l’indignation de certains spectateurs à l’époque. On saluera d’ailleurs l’engagement de Jean Gabin dans cette entreprise qui, a priori, ne correspondait pas vraiment à ses idées personnelles. Il campe un médecin particulièrement crédible et aimable. Il faut dire qu’après une longue traversée du désert, l’acteur retrouvait son statut de star depuis environ 1954 avec les triomphes successifs de Touchez pas au grisbi, French Cancan, Gas oil et La traversée de Paris.

Les archives de CinéDweller. Extrait du Film Français n°669, du 22 mars 1957. Tous droits réservés.

Un beau succès inscrit sur la durée

Signalons également la beauté des paysages naturels, mais aussi des décors réalisés dans les studios de la Victorine à Nice, permettant au cinéaste de reconstituer une partie du village lors de superbes séquences de déambulations nocturnes.

Sorti sur les écrans parisiens en avril 1957, le long-métrage a cumulé 398 066 entrées sur la capitale. Ses résultats en province – auquel le film est davantage destiné – sont nettement plus satisfaisants. On notera que Le cas du docteur Laurent est d’ailleurs sorti dès le mois de mars en province où il s’est peu à peu imposé avant la grande sortie officielle du mois d’avril. Cette stratégie régionale a permis au film de se hisser à la troisième place du classement national à la mi-avril, faisant donc de cette stratégie un succès. Le long-métrage a ainsi voyagé de région en région tout au long d’une exploitation dont on estime qu’elle a finalement cumulé 2,7 millions de futures mamans sur toute la France. Un pari donc réussi pour un film à but essentiellement didactique qui a permis de faire évoluer les mentalités encore étriquées de l’époque. Quant à Gabin et Jean-Paul Le Chanois, ils renouvelleront leur collaboration sur l’adaptation des Misérables de Victor Hugo l’année suivante. Ils se retrouveront encore avec la comédie Monsieur (1964) et Le jardinier d’Argenteuil (1966).

Après avoir connu plusieurs éditions en DVD, Le cas du docteur Laurent est désormais proposé dans l’indispensable collection de l’éditeur Coin de Mire dans un superbe médiabook qui offre une copie HD de toute beauté.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties parisiennes de la semaine du 3 avril 1957

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© 1956 TF1 Droits Audiovisuels – Roissy Films / Affiche : Jean Mascii. Tous droits réservés.