Le Caire confidentiel, premier vrai succès du futur réalisateur de La Conspiration du Caire, Tarik Saleh, entre aisément au panthéon des grands films noirs.
Synopsis : Le Caire, janvier 2011, quelques jours avant le début de la révolution. Une jeune chanteuse est assassinée dans une chambre d’un des grands hôtels de la ville. Noureddine, inspecteur revêche chargé de l’enquête, réalise au fil de ses investigations que les coupables pourraient bien être liés à la garde rapprochée du président Moubarak.
Critique : Accueilli en France en période estivale après deux prix prestigieux, l’un américain, le Grand Prix de la World Compétition à Sundance, l’autre à Beaune, pour un Grand Prix qui était loin d’être anodin, Le Caire Confidentiel est a priori réalisé par un inconnu, un certain Tarik Saleh.
Le succès surprise du clippeur de Lykke Li
Cet ancien graffeur, réalisateur de documentaires (l’un sur Guantanamo, un autre sur la révolution cubaine) est alors pourtant connu comme clipper pour le tube I follow Rivers, chanson de sa compatriote Lykke Li, dont on garde tous en tête les images enneigées troublantes, et dans lequel on trouvait déjà la vedette de Le Caire Confidentiel, Fares Fares.
Pour le polar de sa révélation sur le grand écran, après l’inédit Tommy (2014), le Suédois frappe fort avec une œuvre qui, une fois de plus, se délocalise. Cet amoureux de l’Histoire du monde, et grand spécialiste des opprimés, avait décidé cette-fois ci d’infiltrer l’Histoire récente égyptienne, à l’orée du Printemps Arabe et du soulèvement de la Place Tahrir.
Un regard sans concession sur le système gangrené par la corruption
Délaissant l’approche purement documentaire pour évoquer les événements qui allaient mener le peuple à se révolter contre la présidence autoritaire de Moubarak, Saleh opte pour un mariage percutant entre la fiction (le thriller de chambre d’hôtel avec soupçons politiques) et le réalisme du reportage, puisque c’est bien au contexte historique qui s’ébroue en filigrane que l’auteur s’intéresse.
Avec sa caméra scalpel d’homme de la réalité, il porte un regard sans concession sur le système gangrené par la corruption, un état policier étroitement lié aux affaires, une nébuleuse opaque, abjecte, de sexe, de drogue et de sang, dans lequel le cinéaste propulse le spectateur occidental, choqué en 2017 pour de petites histoires de piston, au cœur de l’Assemblée nationale. Un autre monde.
La peinture de l’Egypte au début de la décennie 2010, est celle d’une caricature de justice, où l’on se débarrasse éhontément des témoins gênants (les dommages collatéraux que représentent les immigrés d’Afrique noire, des parias sans identité qui ne parlent même pas la langue). Le réalisateur y révèle des petits arrangements entre meurtriers et complices que sont les grands représentants de l’état, flics, voyous et politiciens véreux.
Un final d’une noirceur absolu dans un embrasement d’émotions
Le twist final, particulièrement effarant de noirceur, opère le déminage de tout un système où la culture elle-même, et par ailleurs la femme, utilisée, abusée, bafouée, et, in fine, éliminée, sont exposées. L’auteur déboulonne tout un système macho-mafieux avec un savoir-faire épatant, dans un genre codé, le polar, peu éloigné dans son efficacité des classiques américains (narration, suspense). Mais ce qui octroie une identité singulière à ce bain en eaux troubles, c’est bien le rôle important donné à la cité, véritable métaphore des crispations humaines, sociales et religieuses. La terrifiante capitale en effervescence, entre quartiers chics et taudis pour réfugiés, se fait l’enceinte de contrastes insupportables. Son instabilité, sa véhémence mènent aux remous d’une population échaudée, d’une jeunesse cultivée en quête d’éveil, et d’une partie des classes populaires qui courbe l’échine face à la toute puissance des nantis.
Une révolution à la tentation de violence naît sous nos yeux, lors d’une séquence admirable, mariant la fumée des échauffourées à celle des flingues de la répression de l’état, s’inscrivant dans une logique filée de l’image de la cigarette et de sa fumée, omniprésente dans cette citadelle invivable où le cancer de la rancœur se métastasait depuis longtemps dans ses quartiers.
Box-office de Le Caire Confidentiel
Les distributeurs indépendants français aiment beaucoup sortir des polars européens, asiatiques ou du Moyen-Orient durant l’été. L’objectif est évidemment de promouvoir un film choc et de susciter la curiosité en offrant une alternative aux sempiternels divertissements américains. Ils profitent d’une première au festival de Reims ou anciennement Beaune et d’une belle place au palmarès, d’un prix du jury ou d’un grand prix. Cela propulse ce type d’œuvre qui, a priori, sans grand nom sur l’affiche, n’a pas les arguments pour s’exposer face aux géants américains.
Et pourtant, cette formule s’avère souvent gagnante pour nos distributeurs qui ont du flair, puisqu’ils dénichent des bijoux vénéneux qui conservent un certain attrait tout au long de l’été grâce à un bouche-à-oreille solide et à la possibilité pour les spectateurs de profiter des vacances afin de voir d’autres films qu’ils n’auraient pas le temps de découvrir lors d’une période à l’agenda professionnel ou universitaire chargé.
Le thriller iranien La Loi de Téhéran, par exemple, avait dépassé les 160 000 entrées durant l’été 2021, un an après le grand confinement, faisant preuve d’une régularité exceptionnelle. En 2022, Metropolitan FilmExport proposera Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi. On mentionnera également un grand nombre de polars asiatiques comme Limbo ou J’ai rencontré le diable, ainsi que des polars scandinaves.
En 2017, durant l’été, Le Pacte proposera le film espagnol aux relents glauques d’un Seven, Que Dios nos perdone de Rodrigo Sorogoyen ; un peu plus tôt, en juillet, Memento proposait de son côté son uppercut, Le Caire Confidentiel. Ce dernier sera le sleeper de la saison, un succès considérable sur la durée, puisqu’avec une première semaine à 74 000 spectateurs, le distributeur pourra encore compter sur 43 000 spectateurs en 4e semaine. Le long métrage de Tarik Saleh passera 10 semaines au-dessus des 10 000 spectateurs hebdomadaires pour finalement achever sa carrière au-dessus de la barre des 380 000 spectateurs. On peut considérer ce résultat comme énorme pour une coproduction suédoise dont l’action se situe en Égypte, et donc tournée en langue arabe.
Dans son cas, le Grand Prix au festival de Beaune et des critiques dithyrambiques ont largement contribué à ce succès unique dans le monde. Unique, c’est le moins que l’on puisse dire, puisque Le Caire Confidentiel accomplira l’essentiel de ses recettes en France où ce sont pas moins de 3 400 000 $ qui seront amassés sur notre sol. Son 2e meilleur territoire, l’Espagne, se situe très loin derrière avec à peine 284 000 $. Les États-Unis suivent avec à peine 81 000 $, malgré un Grand Prix à Sundance.
Un véritable lien se crée entre la France et le réalisateur Tarik Saleh : celui-ci voit Le Caire Confidentiel nommé au César du meilleur film étranger en 2018. Quatre ans plus tard, l’auteur est cette fois-ci en sélection officielle au Festival de Cannes avec La Conspiration du Caire. De nouveau pour le cinéaste, il s’agira d’un succès essentiellement français avec plus de 500 000 spectateurs sur l’ensemble de l’Hexagone et de nouveau une belle nomination aux César, toujours dans la catégorie des meilleurs films étrangers.