L’amour est un chien de l’enfer est un petit chef d’œuvre de sensibilité et de poésie sur des thèmes difficiles comme l’apprentissage de la sexualité et même la nécrophilie. Un classique du cinéma belge actuellement disponible sur Netflix.
Synopsis : Harry, enfant, croit que la vie ressemble aux contes de fées. Un ami plus âgé lui démontre le contraire. Dix ans plus tard, en 1962, adolescent boutonneux, Harry découvre que l’amour lorsqu’on souffre d’une disgrâce physique est hasardeux, souvent injuste et que l’alcool procure un oubli salutaire.
Un court-métrage qui va devenir un long
Critique : En 1983, le jeune Dominique Deruddere sort de l’école de cinéma et collabore à la réalisation du long-métrage Brussels by Night (Didden, 1983) qui révolutionne le cinéma flamand. Effectivement, le cinéma local est plutôt dominé par des sujets historiques et centrés sur la vie des ruraux dans les temps anciens. Avec ce long-métrage, les deux compères bousculent ces conventions en tournant à Bruxelles dans un style proche du cinéma-vérité qui étonne. Marc Didden propose alors à Deruddere de lire les œuvres de l’écrivain américain Charles Bukowski. Petit à petit, l’idée d’adapter un des poèmes de l’auteur trash fait son chemin et les deux complices parviennent à tourner le court-métrage A Foggy Night en 1985.
Très contents du résultat final, les deux hommes reçoivent la proposition d’étendre ce court en long-métrage. Il est alors décidé de scinder le film en trois parties et de faire du segment déjà existant le final d’un film qui évoquerait trois nuits dans la vie d’un homme. Le premier segment évoque la naissance du désir chez un préado qui sort ainsi violemment du monde de l’enfance, le second est consacré à la jeunesse du héros et le troisième celui sur l’âge adulte. Une constante demeure à chaque fois, à savoir la déception d’un jeune homme romantique, confronté à la dure réalité des relations amoureuses.
L’amour est plus froid que la mort
A travers le film, on retrouve bien entendu l’atmosphère particulière des œuvres de Bukowski, avec ce goût immodéré pour la provocation, les ambiances alcoolisées et le dégoût envers l’espèce humaine en général. Pourtant, le premier volet est entièrement imaginé par Dominique Deruddere et Marc Didden qui se sont inspirés de leurs propres souvenirs d’enfance. D’ailleurs, c’est cette première partie qui emporte immédiatement l’adhésion par sa poésie et le jeu absolument naturel du gamin Geert Hunaerts et de son ami joué par Michael Pas. L’éveil à la sensualité est réalisé avec beaucoup de sensibilité, même si une certaine forme de perversité s’invite déjà, notamment lorsque le jeune héros cherche à profiter des charmes d’une donzelle endormie. Scène qui fait écho au segment final, de loin le plus extrême puisque cette fois, la femme en question est morte.
Il fallait vraiment tout le sens de la poésie de Dominique Deruddere pour évoquer un thème aussi terrible que la nécrophilie sans jamais tomber dans le voyeurisme, mais en montrant d’où part le personnage principal et où il arrive lorsqu’il est au bout de sa vie, noyé dans les vapeurs de l’alcool. Le cinéaste démontre aussi la difficulté d’être un homme lorsqu’on est affublé d’un physique disgracieux, voire repoussant comme dans le film. Enfin, l’auteur traite de la terrible déception que l’on peut ressentir au moment de l’adolescence, entre les rêves d’enfant et la réalité si prosaïque de l’existence.
Une esthétique expressionniste de toute beauté
Pour cela, l’auteur crée un espace fantasmatique marqué par une esthétique expressionniste qui a été inspirée à l’auteur par le Coup de cœur (1981) de Francis Ford Coppola avec Nastassja Kinski. Il utilise aussi des couleurs primaires fortes, des éclairages au néon, ainsi que des décors qui se dénoncent comme tels. Ainsi, le spectateur de L’amour est un chien de l’enfer n’est plus tout à fait dans la réalité, ni même dans un rêve, mais dans une espèce d’entre-deux fantasmé qui ravit les sens et démontre le raffinement extrême de Deruddere sur le plan esthétique.
Bouleversant à plusieurs reprises, L’amour est un chien de l’enfer est donc un petit bijou du cinéma d’auteur européen qui est aujourd’hui un peu oublié. Acheté dans le monde entier et diffusé avec un certain succès aux Etats-Unis, le long-métrage a permis au cinéaste de s’exiler le temps d’une grosse production internationale intitulée Bandini (1989) avec Joe Mantegna et Faye Dunaway. Cette fois, le succès ne fut pas au rendez-vous, renvoyant Deruddere dans son pays. En France, L’amour est un chien de l’enfer a d’abord été diffusé au Festival de Sète en 1988 où il a obtenu le Grand Prix Georges Brassens.
Un bijou méconnu en France, désormais disponible sur Netflix
Puis, il est sorti en toute discrétion au mois de juin 1989. On notera au passage que la même histoire de Bukowski a inspiré le comédien Patrick Bouchitey qui en a donné une version longue dans son premier long de réalisateur, l’excellent et dérangeant Lune froide (1991). Depuis cette époque, le métrage n’est disponible que par le truchement d’un DVD paru en Belgique au cours des années 2000. Toutefois, il est important de signaler que ce petit chef d’œuvre fait désormais partie du catalogue de Netflix. L’occasion de le redécouvrir dans une copie très correcte qui fait honneur à l’esthétisme de ce très beau film.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 7 juin 1989
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Dominique Deruddere, Josse De Pauw, Geert Hunaerts, Michael Pas, Gene Bervoets