Adaptation un peu timide du roman d’Emile Ajar, La vie devant soi vaut surtout le détour pour l’interprétation magistrale de Simone Signoret au sommet de son talent. Elle illumine l’écran de sa seule présence.
Synopsis : L’histoire de Mme Rosa, vieille prostituée de Belleville, et de ses protégés, les mômes abandonnés par leurs parents, dans un milieu difficile ou Arabes, Noirs et juifs se côtoient.
L’adaptation littérale du plus grand canular littéraire de ces dernières décennies
Critique : En 1975, un certain Emile Ajar reçoit le prix Goncourt avec son roman La vie devant soi qui décrit un Paris interlope et populaire ultra-violent et misérable à l’aide d’un langage ordurier et heurté qui séduit l’académie. Même si des doutes commencent à naître autour de cet auteur sorti de nulle part, la mystification opérée par Romain Gary, véritable auteur du livre, ne sera révélée qu’à sa mort. Cette histoire incroyable a d’ailleurs donné lieu au film Faux et usage de faux (Heynemann, 1990) avec Philippe Noiret et Robin Renucci.
Lorsque le réalisateur israélien Moshé Mizrahi décide d’adapter le roman La vie devant soi, il ignore donc tout de cette mystification littéraire et tente donc de traduire au mieux une œuvre qui s’appuie sur un style puissant et original. Deux options s’offraient à lui : soit tenter de traduire l’effervescence littéraire du romn par un style foncièrement original et déstabilisant, soit affadir le propos en se livrant à une transcription fidèle des grandes étapes narratives du livre. Mizrahi a plutôt suivi la deuxième voie, sans doute plus simple, mais qui tend à vider le bouquin de son essence.
Plongée dans le Paris de toutes les couleurs et origines
En l’état, Moshé Mizrahi opère un choix qui s’avère déterminant pour le film qu’il souhaite réaliser : il remplace le quartier de la Goutte d’Or connu pour sa population d’origine populaire et misérable, par le celui de Belleville plus directement touché par l’immigration. Le cinéaste entend ainsi parler d’un Paris rarement montré à l’écran à l’époque, à savoir celui où les Noirs, les Arabes et les juifs sont bien obligés de cohabiter au sein d’immeubles insalubres. Au cœur de cette population bigarrée, d’anciens résidents comme cette Madame Rosa incarnée par Simone Signoret, tentent de survivre.
Le personnage est marqué par un vécu particulièrement gratiné puisque Rosa est une rescapée d’Auschwitz qui s’est ensuite livrée à la prostitution. Désormais, elle s’est reconvertie en garde d’enfant pour les prostituées qui ne peuvent pas s’occuper de leur progéniture. Au milieu d’une ribambelle de gosses, Madame Rosa est liée à Momo, un gamin arabe qu’elle a recueilli il y a une dizaine d’années et dont elle refuse de se séparer.
Une vision du livre fondée sur l’empathie envers les personnages
Là où les relations entre le gamin et la vieille dame étaient parfois tendues dans le bouquin, à cause des dérives violentes du gosse, Moshé Mizrahi préfère insister sur leurs points communs, blessures et liens indéfectibles par-delà la mort. Sans doute inquiet par la dimension sordide du livre, Mizrahi a donc volontairement adouci le propos, ce qui lui a valu de fortes critiques à l’époque de la sortie du film. Aujourd’hui, le long-métrage paraît pourtant encore très fort, jetant un regard sans concession sur la prime adolescence.
Certes, Mizrahi évite les effusions de violence, mais il parvient à rendre sympathique le petit Momo, et développe l’empathie que l’on peut éprouver pour cette Madame Rosa, pourtant pleine de préjugés raciaux. On apprécie toutefois son discours qui vise à démolir toute forme de communautarisme pour privilégier l’humanisme. Quant à la volonté du cinéaste de militer pour le droit de chaque être humain à choisir sa fin de vie, elle ne peut que nous toucher au plus profond.
Simone Signoret, une grande comédienne au sommet
Porté par l’interprétation dantesque d’une Simone Signoret impressionnante, La vie devant soi est sans doute trop sage dans sa réalisation qui ressemble à s’y méprendre à celle d’un téléfilm. C’est le plus gros défaut de cette œuvre pourtant puissante et qui émeut par la puissance de conviction de son interprète principale. Signoret, qui se livre ici sans fard, était devenue l’une de nos plus grandes actrices et elle a très largement mérité son César de la meilleure actrice, tant elle est formidable. Il est plus étonnant de retrouver La vie devant soi au palmarès des Oscars en tant que meilleur film en langue étrangère.
Sorti en novembre 1977, La vie devant soi a connu un magnifique succès au box-office français en se hissant à la neuvième place annuelle avec près de 2 millions de spectateurs conquis, malgré un sujet pas facile. Un score qui démontrait la popularité intacte d’une très très grande actrice, au sommet de son talent.