Film inégal, La rue chaude est toutefois une œuvre ambitieuse portée par une belle réalisation et une interprétation féminine de grande classe. Et puis le générique mythique signé Saul Bass vaut à lui seul le détour.
Synopsis : Un homme arrive à la Nouvelle-Orléans à la recherche de son ancienne petite amie, une artiste qui travaille maintenant dans un bordel.
Un roman sulfureux largement modifié et édulcoré
Critique : Quand il accepte de tourner La rue chaude (1962), Edward Dmytryk est au sommet de sa notoriété sur le plan du box-office puisqu’il vient de tourner quelques beaux succès comme Le bal des maudits (1958) et le western L’Homme aux colts d’or (1959). Pourtant, il ne trouve pas si facilement du travail à Hollywood où sa réputation est toujours entachée par ses dénonciations lors de la chasse aux sorcières, au même titre que son collègue Elia Kazan. Finalement, il accepte de réaliser cette adaptation très libre du roman de Nelson Algren La rue chaude, publié en 1956.
En réalité, les nombreux scénaristes qui se sont succédé à l’adaptation ont été contraints par la censure hollywoodienne de transformer l’intégralité de l’intrigue, bien trop sulfureuse, afin de la rendre acceptable. Ainsi, le personnage principal n’est plus un être cynique et opportuniste, mais bien un incorrigible romantique qui fera tout pour tirer l’amour de sa vie des griffes de la prostitution. En fait, le produit fini n’a plus grand-chose de commun avec le roman d’origine et il convient donc de le considérer comme une œuvre autonome par rapport à son modèle littéraire.
Un couple central peu crédible
Il faut dire que le cinéaste a fait face à de nombreuses difficultés pendant le tournage, largement tributaire des désirs de ses producteurs. Ainsi, Dmytryk a été forcé d’accepter Laurence Harvey et Capucine dans le rôle du couple central, alors même que les deux acteurs ne correspondent pas du tout aux personnages. Le premier apparaît comme trop raide et guindé pour faire un héros romantique crédible, tandis que la seconde arbore des toilettes Pierre Cardin d’un luxe ostentatoire alors qu’elle est censée être une prostituée sensuelle et désirable. Ce couple de cinéma qui se détestait dans la vraie vie ne fonctionne jamais vraiment et c’est ce qui a attiré sur le film des critiques acharnées. Bien entendu, il s’agit d’un réel défaut à ne pas négliger, mais La rue chaude propose d’autres éléments qui viennent en grande partie compenser cette faiblesse centrale.
© 1962 Famous Artists Productions -Columbia Pictures / © 2021 Wild Side Vidéo. Tous droits réservés.
Effectivement, Edward Dmytryk semble s’être fait plaisir avec les rôles féminins secondaires. Ainsi, il offre à Anne Baxter un rôle de veuve follement amoureuse de son nouveau pensionnaire qu’elle maîtrise sur le bout des doigts au point d’être bouleversante. La toute jeune Jane Fonda – dont ce fut la deuxième apparition à l’écran seulement – illumine le film de sa présence dès les premières minutes et compose un rôle de jeune femme libre absolument enthousiasmant. Elle écrase tout simplement son partenaire de jeu par sa faconde et sa présence face à la caméra.
Un des premiers films avec un personnage lesbien assumé
Enfin, comme un passage de relais, la vétérane Barbara Stanwyck s’impose magistralement dans le rôle de la tenancière du bordel. La star, qui était elle-même lesbienne dans le plus grand secret, est ainsi la toute première vedette internationale à incarner un personnage lesbien sur grand écran. Certes, le mot n’est jamais prononcé, mais son amour pour le personnage de Capucine est tellement aveuglant que cela en devient même troublant à plusieurs reprises. On notera d’ailleurs que le hasard a fait que le long-métrage est sorti en France la même semaine qu’un autre film consacré au lesbianisme, à savoir La rumeur (Wyler, 1962).
Ainsi, La rue chaude est une œuvre étrange, quasiment bicéphale, puisqu’elle délivre à la fois une intrigue romantique finalement très académique sur le plan moral, tout en se permettant des pas de côté par rapport à la bienséance de l’époque. Tout d’abord, la localisation de l’intrigue dans un bordel est pour le moins audacieuse, et les nombreux sous-entendus lesbiens ajoutent un piment qui est malheureusement absent des dialogues.
Un générique inoubliable et une bande originale inspirée
La rue chaude propose également plusieurs éléments qui font de cette œuvre mal aimée une pièce à redécouvrir. Tout d’abord le générique proposé par Saul Bass en ouverture et en clôture est tout bonnement génial. Nous suivons les évolutions d’un chat noir sur plusieurs mètres avec en surimpression sur son pelage les crédits des artistes. A la fin du film, le matou marche sur un journal qui annonce ce qu’il est advenu des personnages principaux. Il s’agit d’un nouveau coup de génie de la part du mythique Saul Bass. On doit aussi noter l’excellence de la partition musicale d’Elmer Bernstein, ainsi que la belle fluidité de certains mouvements d’appareil dans le bordel. Ainsi, la caméra accompagne régulièrement les protagonistes à travers les étages dans un même mouvement gracieux.
Une œuvre injustement mal aimée qui mérite d’être redécouverte
Assassiné à sa sortie par les critiques, La rue chaude a conservé à travers les décennies sa sale réputation, alors même que le long-métrage a gagné en intérêt avec le temps. Echec commercial en son temps, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France (avec seulement 186 272 curieux au mois d’avril 1962), La rue chaude a été largement oublié, au point de ne jamais sortir sur support physique dans nos contrées.
Il a donc fallu attendre novembre 2021 pour que l’éditeur Wild Side Vidéo lui consacre un très beau Mediabook avec un DVD, un blu-ray et un livre de 50 pages. On signalera que la copie blu-ray est tout bonnement superbe et que le supplément vidéo explicatif de François Guérif (33min) est tout à fait éclairant sur les difficultés rencontrées par le cinéaste sur un tournage explosif.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 avril 1962
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